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26 Juin 2009
Le discours du 25 juin de Nicolas Sarkozy en
Martinique.
( Nous publions, pour information, et spécialement à l'intention de nos lecteurs de la métropole -nombreux- le discours prononcé hier
à Fort de France, par le président de la République? Nous le faisons sans parti pris, et sans longs commentaires pour l'instant, dans l'attente des déclarations de cet après midi en
Guadeloupe.
Juste l'expression d'un regret : celui d'avoir entendu M.Sarkozy reprendre à son compte une contre vérité. Celle selon laquelle en mettant à l'honneur les anciens combattants de la
seconde guerre mondiale la France réparait un oubli, et une injustice, vieux de soixante ans. C'est évidemment faux, mais très politiquement correct. Nous savons bien, ici, que les résistants
antillais ont été nombreux, et, depuis lors, très justement et très souvent glorifiés pour leur courage, et leur patriotisme. D'ailleurs, dans ses Mémoires de guerre, (publiés de 1954 à 1959) le
général de Gaulle leur rendait déjà justice, et nommait, entre autres, le Guadeloupéen Paul Valentino comme un de ces scrutateurs lucides de l'actualité historique des années 40. On ne peut
blâmer M.Sarkozy de cet oubli. Il n'était pas né, et n'est pas considéré comme un spécialiste de l'histoire antillaise. Il n'en est pas de même pour les inspirateurs de son discours. Et ces
petites distorsions à l'histoire ne sont pas de petite importance. La réalité historique est plus complexe que ce qu'on en dit aujourd'hui. Sait-on par exemple que le propre fils du gouverneur de
la Martinique, à l'époque, Joël Nicol, rejoignit la dissidence, en quittant subrepticement la Martinique sur un voilier appartenant à son propre père (gouverneur vichyste), en compagnie de
deux Martiniquais Roger Ganteaume et Louis de Lucy de Fossarieu, qui a raconté toute cette aventure dans le deuxième volume de ses Souvenirs (Ma Dissidence, En temps Robè. Journal d'un béké).
Si Le Scrutateur ne rétablissait pas les "petits faits vrais", chers aux historiens sérieux, qui le ferait?
E.Boulogne).
( Louis de Lucy, Roger Ganteaume, Joël
Nicöl).
Mes chers compatriotes,
Nous voilà réunis devant le Monument aux morts de la ville
de Fort-de-Fance.
Aujourd'hui, j'ai voulu que tous les Français rendent
hommage aux derniers représentants d'une génération de
femmes et d'hommes exceptionnels, qui prirent un jour tous
les risques par amour de leur pays, par amour de la France.
Mesdames et Messieurs, aujourd'hui nous honorons une
page injustement oubliée de notre Histoire nationale, nous
honorons une aventure extraordinaire qui était tombée dans
l'oubli.
Aujourd'hui, nous réparons une injustice.
Il y a soixante six ans, le 24 juin 1943, débutait à Fort-de-
France une insurrection qui allait rétablir la République aux
Antilles.
Ce jour là, les habitants de Fort-de-France s'étaient donné
rendez-vous sur la Savane, comme aujourd'hui, pour
déposer une gerbe devant leur Monument aux morts.
Ils voulaient manifester leur attachement à la patrie. Ils
voulaient se souvenir par une minute de recueillement, du
douloureux armistice de 1940 qu'ils n'avaient jamais
accepté.
L'Amiral Robert, représentant du Maréchal Pétain aux
Antilles, voulut interdire leur rassemblement. Les habitants
de la Martinique virent dans cette interdiction une injustice
et une insulte faites à leurs morts.
Et parce que cette décision leur était tout simplement
insupportable, ils bravèrent l'interdiction des autorités.
Ils ne pouvaient accepter qu'on leur refuse un droit
élémentaire : celui d'honorer leurs pères, ces fils et petits-fils
d'esclaves qui avaient prouvé leur indéfectible attachement
à la République en versant l'impôt du sang durant la Grande
Guerre.
Depuis trois ans, ils avaient enduré de terribles souffrances.
Depuis trois ans, ils avaient connu la faim et les privations.
Depuis trois ans, ils avaient subi l'arbitraire d'un régime
autoritaire et liberticide.
Ils avaient vu disparaître les acquis d'un siècle de luttes et
de conquêtes républicaines.
Ce jour là, le 24 juin 1943, le peuple de Fort-de-France
disait non. Il disait non à l'Amiral Robert et il disait non au
régime de Vichy.
Ce jour là, l'insurrection spontanée de la Martinique faisait
basculer les Antilles dans le camp du Général de Gaulle et
des Alliés.
Les Antillais n'avaient pas attendu 1943 pour proclamer leur
attachement à la République.
Dès le 1er juillet 1940, l'avocat guadeloupéen Paul
Valentino avait montré l'exemple. Défiant le Gouverneur
Sorin, il invitait ses collègues conseillers généraux à rallier
le Général de Gaulle.
Au même moment, au Tchad, l'ancien Gouverneur de la
Guadeloupe, Félix Eboué, qui avait été également le
Secrétaire général de la Préfecture de la Martinique,
répondait à l'appel de l'homme du 18 juin.
Paul Valentino faisait preuve de la même lucidité lors d'une
séance extraordinaire du Conseil général de la
Guadeloupe : « Français nous sommes, Français nous
voulons rester, et si l'Allemagne règne sur la métropole
française, elle ne régnera pas en Guadeloupe où nous
saurons revendiquer les prérogatives que nous accorde la
législation française ».
Pétri d'esprit républicain, Valentino croyait au droit. C'est
pourquoi il fut le premier à invoquer une vieille loi de la
Troisième République, la loi Treveneuc, pour déclarer illégal
le nouveau régime, né sous la botte allemande.
René Cassin, l'éminent juriste de la France Libre et futur
rédacteur de la « Déclaration universelle des droits de
l'Homme », s'inspira du même raisonnement pour déclarer
Vichy hors-la-loi.
Mesdames et Messieurs, le 1er juillet 1940, les Antilles
donnaient l'exemple à la Métropole et à tout un peuple
abattu par la défaite.
Il est un autre exemple éclatant que les Antilles donnèrent à
la France en ces temps de malheur.
Entre 1940 et 1943, des milliers de jeunes gens comme
Henri Hélénon, Guy Cornély, et Passionise Tome quittèrent
leurs îles pour rallier le camp de la liberté.
Ces authentiques résistants, on les appelait les «dissidents
».
Ces hommes et ces femmes dont beaucoup n'avaient pas
vingt ans voulaient se battre pour la France, cette France
qu'ils aimaient passionnément. Ils voulaient être dignes de
leurs pères qui étaient morts au champ d'honneur. Ils étaient
prêts aux sacrifice suprême.
Dans le secret de leur coeur, ces Hommes avaient
longuement mûri leur décision : ils étaient décidés à partir.
C'était une décision difficile à prendre : beaucoup d'entre
eux la gardèrent secrète pour ne pas être trahis, ou pour ne
pas faiblir au moment du départ.
Certains allaient pourtant trouver leurs parents, avec le
même serrement au coeur que le jeune résistant de
métropole qui allait voir son père pour lui annoncer qu'il
quittait le domicile familial pour rejoindre la Résistance.
Les dissidents laissaient derrière eux leur village et le
cimetière où reposaient leurs ancêtres. Ils quittaient ceux
qu'ils aimaient, leurs familles, leurs proches, leurs fiancées.
Ils étaient paysans, ouvriers ou simples étudiants. Ils
quittaient leur île pour la première fois et s'apprêtaient à
affronter la plus grande épreuve de leur existence.
Ils avaient peur. Peur de mourir et de partir. Peur de ce saut
vers l'inconnu. Pourtant, ils affrontèrent par milliers la
terrible épreuve que fut cette traversée qui pouvait durer
plus de quinze heures.
Par groupes de cinq ou six, ils embarquèrent sur de fragiles
« gommiers » vers le canal de la Dominique ou de Sainte-
Lucie ou s'affrontent en de terribles courants les eaux de
l'Atlantique et de la Mer des Caraïbes.
Beaucoup ne savaient pas nager et remettaient leur
existence entre les mains de pêcheurs.
Pour déjouer les patrouilles du terrible Barfleur, qui avait
pour ordre de couler leurs embarcations, la traversée
s'effectuait par une nuit sans lune.
A quoi pensaient-ils, ces jeunes hommes durant leur
traversée ? Quelles motivations avaient pu les pousser à
tout quitter ?
Comme les premiers volontaires de juin 40 qui
franchissaient les Pyrénéens ou la Manche pour rallier le
Général de Gaulle à Londres, les dissidents voulaient se
battre.
Ils voulaient se battre par pur patriotisme et pour défendre
leur pays humilié.
Ils vouaient se battre car leurs aînés étaient tombés avant
eux pour leur permettre de vivre libres.
Cette traversée éprouvante et incertaine, cet arrachement
au quotidien et aux repères familiers, c'était le geste de tous
les résistants qui quittaient ceux qu'ils aimaient pour servir
une cause qu'ils savaient juste et supérieure à tout le reste.
Les dissidents prenaient la mer comme les premiers
réfractaires au STO prirent le maquis, pour échapper à la
servitude et au travail en Allemagne.
Les dissidents étaient animés des mêmes sentiments que
les dix-sept jeunes étudiants qui quittèrent Pau pour
embarquer à Bayonne sur un cargo pour l'Angleterre, le 21
juin 1940, parce qu'ils jugeaient insupportables l'Armistice et
la trahison de leurs chefs. La dissidence fut l'épreuve
initiatique de ces jeunes gens, elle marqua leur entrée en
résistance. Je voudrais rappeler la belle formule d'Aimé
Césaire : « la dissidence fut un département de la
résistance ».
Oui, mes chers amis, le dissident, à ce moment là, c'est
l'égal du volontaire de la France Combattante qui part en
mission secrète avec sa pilule de cyanure comme seul
viatique face à la torture. C'est le père de famille qui quitte
ceux qu'il aime pour entrer dans la clandestinité et diriger un
réseau de résistance.
Lors de sa traversée, le dissident rejoint le peuple de la nuit
qui lutte contre l'occupant.
Lorsqu'ils arrivent à La Dominique et à Sainte-Lucie pour
s'engager dans les Forces Françaises Combattantes,
combien de ces dissidents imaginent qu'ils débarqueront
bientôt dans la baie de Naples et sa battront à Monte
Cassino ?
Combien imaginent, grelottants de froid, la nuit, dans leurs
gommiers battus par les vents, qu'ils débarqueront sous le
soleil de Provence, sur la plage de Cavalaire ?
Combien d'entre eux peuvent imaginer qu'ils se battront
dans les neiges d'Alsace contre une armée allemande
repliée sur ses frontières ?
Combien d'entre eux imaginent qu'ils défendront au corps à
corps le village d'Herbsheim et résisteront à une contre
offensive qui menace Strasbourg tout juste libéré par
Leclerc ?
Non, mes chers amis, ces jeunes dissidents qui cheminent
vers la liberté ne peuvent alors imaginer ce que le destin
leur réserve.
De Sainte-Lucie à la Dominique, ils embarquent pour les
Etats-Unis.
Quelle émotion doivent-ils ressentir lorsqu'ils entrent dans le
port de New York et qu'ils passent devant la statue de la
Liberté !
Quelles sensations doivent-ils éprouver en arrivant à Fort-
Dix, le plus vaste camp d'entraînement des Etats-Unis dont
la superficie est supérieure à celle de l'île de la Martinique !
Ils découvrent avec émerveillement les grandes villes de la
côte Est. Parmi eux, il y a Henry Joseph, qui part en
permission avec quelques-uns de ses camarades, à la
découverte des gratte-ciel de Manhattan et des clubs de
Harlem.
Quel chemin parcouru, cher Henry Joseph, depuis votre
traversée en gommier ! Quel destin accompli depuis que
vous avez quitté votre chère île de la Martinique !
Et pourtant, ce n'est là que le début de votre extraordinaire
odyssée .
Le 12 octobre 1943, après une traversée de dix-huit jours, le
Bataillon antillais n°1 débarque dans le port de Casablanca.
Le 18 janvier 1944, il est intégré au sein de la prestigieuse
Première Division Française Libre qui s'est battue en Syrie,
à Bir Hakeim, en Tunisie.
Le bataillon n°1 devient alors le 21ème Groupe antillais du
DCA.
Sous les ordres du Commandant Lanlo, il fera toute la
campagne de France, jusqu'aux frontières du Rhin.
Dans les Vosges et en Alsace, les dissidents vont connaître
de terribles épreuves. Ils vont connaître le froid, la neige et
le gel. Pourtant, c'est là qu'ils livreront leurs plus farouches
et leurs plus héroïques combats.
Le 12 mars 1944, 1 175 hommes et 23 volontaires
féminines du Bataillon de marche des Antilles n°5
embarquent à Fort-de-France pour faire cap sur
Casablanca.
Ces Hommes s'illustrent dans les combats pour la libération
de Royan où le bataillon perd son chef, le lieutenant-colonel
Tourtet, celui qui avait pris la tête de la mutinerie de la
troisième compagnie de Balata, le 27 juin 1943, et annoncé
le ralliement de la Martinique à la France Libre.
Le 19 septembre 1945, le général Garbay, commandant la
première DFL, rend un dernier hommage à ses hommes : «
Des soldats des Antilles sont morts pour l'honneur du pays.
C'est donc avec une absolue gratitude que la division
accompagne aujourd'hui de ses voeux ceux qu'elle était
fière de compter dans ses rangs depuis les premiers jours
de la Résistance jusqu'à la victoire finale ».
Mes chers compatriotes, par leur participation exemplaire
aux combats pour la libération de la France, les dissidents
sont entrés dans la légende sacrée de la Seconde Guerre
mondiale.
Je veux dire aux Martiniquais et aux Guadeloupéens que
l'histoire des dissidents est un exemple pour tous les
Français et c'est pourquoi j'ai voulu que leur soit rendu
l'hommage de toute la Nation.
A l'heure où certains ont pu douter, dans un contexte de
crise, de la force du lien qui nous unit, j'ai voulu rappeler ce
que pouvait avoir de concret la fait de vivre « un destin
commun ». Notre histoire partagée et nos sangs mêlés sont
un ciment que nul ne peut briser.
Je veux dire à ces femmes et à ces hommes que la France
n'oublie pas ce qu'elle leur doit.
Je veux dire à ces femmes et à ces hommes que la nation
toute entière honore leurs choix et leurs sacrifices et qu'ils
peuvent être fiers de ce qu'ils ont accomplis.
C'est pour cela que l'Etat accompagne le projet porté depuis
de longues années par Serge Letchimy d'ériger, ici à Fortde-
France, non loin du lieu où nous nous sommes
rassemblés, un Mémorial en hommage aux dissidents.
C'est pour cela que je tiens à ce que la République honore
ceux de ses enfants qui se sont battus pour la liberté, en les
distinguant aujourd'hui comme ils le méritent.