La pensée du jour. (25/07/2009).
La responsabilité du philosophe
... Je n'hésiterai pas à dire que la philosophie n'a un poids et un intérêt quelconque que si elle a un retentissement dans cette vie qui est la notre et qui est aujourd'hui à tel point menacée sur tous les plans... En philosophie, il s'agit bien moins d'être un enseignant qu'un éveilleur... A l'origine d'une recherche philosophique,il y a eu un étonnement, une certaine façon de ne pas prendre pour accordé, de ne pas trouver tout naturel le donné que le futur philosophe trouvait devant lui...
Une responsabilité digne de ce nom doit déboucher sur une action. Je ne crois pas que le philosophe ait le devoir, ou peut-être même le droit, de participer à telle manifestation tapageuse... Il n'y a peut-être pas non plus grand intérêt pour lui à prodiguer sa signature au bas d'appels publiés dans les journaux. Il me semble, au contraire, que le philosophe tel que je le conçois est tenu de garder le contact avec le savant, c'est-à-dire, ici, le physicien et le biologiste, et que, d'autre part, il doit s'efforcer — c'est assurément beaucoup plus difficile — de se faire entendre des hommes qui ont la charge redoutable de diriger les affaires publiques. C'est seulement à ce niveau, à cet échelon, et dans cette position médiane qui est la sienne qu'il peut, me semble-t-il, prendre utilement la parole... Ce qui importe avant tout et ce qui lui incombe, et à lui seul, c'est une prise de conscience de ce qu'est l'homme en tant que tel, ... en tant que vocation et non point, comme ce fut le cas jusqu'à une date relativement récente, en tant que nature...
La responsabilité du philosophe envers lui-même ne peut être dissociée que par abstraction de sa responsabilité envers les autres hommes : jamais, en aucun cas, il ne lui est permis de se désolidariser de ceux-ci en s'accordant je ne sais quel statut privilégié. Une philosophie digne de ce nom ne peut, selon moi, se développer et même se définir que sous le signe de la fraternité.
Gabriel Marcel.
« Pour une sagesse tragique » (Plon, 1968).