« L'homme de parole s'affirme au coeur de la réalité humaine ambiguë comme un repère et un jalon, comme un élément de calme certitude. Et sans doute court-il le risque de solitude et le risque d'échec. On ne peut pas être vrai tout seul, et jouer seul le jeu si tous les autres trichent. Telle est du moins l'excuse facile de ceux qui s'efforcent de justifier leur manque de parole par la veulerie générale. Bien sûr si tout le monde disait vrai, il serait facile à chacun de se conformer à l'usage commun. Mais la tâche morale consiste à prendre l'initiative dans le sens de l'obéissance à la valeur et non à la coutume. Il faut être vrai sans attendre que les autres le soient, et justement pour que les autres le soient. La personnalité forte engendre autour d'elle une ambiance de vérité. L'exigence qu'elle manifeste s'avère communicative, elle entraîne les autres dans son mouvement. L'homme de vérité rayonne une lumière qui renvoie chaque témoin à lui-même et le force à se juger. Un Socrate, un Jésus, un Gandhi imposent à leurs interlocuteurs cette autorité dont ils se font eux-mêmes les premiers serviteurs. Leur parole exerce une efficacité intrinsèque qui force le consentement d'autrui ».
Georges Gusdorf (In « La vertu de force », P-U-F).