1 Mars 2011
CHRONIQUE D’UN SUICIDE COLLECTIF ANNONCE
En cette magnifique après-midi de février, notre cortège quitte la mairie et se dirige vers l’église dont le clocher se détache dans un merveilleux ciel de carême. Nous accompagnons la dépouille du deuxième élu pointois suicidé en moins de 5 ans. Tandis que résonne dans ma tête la marche funèbre de Chopin, je m’interroge sur les raisons du comportement individuel, contraire à notre culture de la part de deux hommes dont l’honnêteté la cordialité et la disponibilité étaient unanimement reconnues et appréciées. Je demeure également impuissant à comprendre pourquoi notre petite communauté créole refuse, collectivement, de voir les évidences et s’achemine vers le suicide de l’archipel guadeloupéen et de notre ville.
Le suicide de notre archipel
Le 14 février 2011, le Président de la République, accorde, un délai de 3 ans, aux élus guadeloupéens pour s’entendre, entre eux et nous convaincre d’adopter, hors du droit commun, la gouvernance et l’autonomie de notre territoire. Car la réforme territoriale adoptée par le Parlement, en 2010, s’inscrit dans les dispositions sur < La liberté et la responsabilité des collectivités territoriales > adoptées, en 1986, par le Conseil de l’Europe et ratifiées par la France en 2002.
Dans l’hexagone, deux visions s’affrontent dans ce domaine de la gouvernance territoriale. D’une part celle introduite par les socialistes, en 1982, avec le scrutin de liste territoriale à la proportionnelle, favorable aux populations des villes. Ce qui permet, aujourd’hui aux socialistes de contrôler l’ensemble des assemblées territoriales régionales. D’autre part, le scrutin territorial uninominal cantonal, favorable aux populations rurales et qui a été adopté par le Parlement puisque moins défavorable à la majorité présidentielle. C’est ce mode de scrutin qui pourrait devenir, en 2014, le droit commun territorial.
Face à l’enjeu de la mondialisation dans l’Océan Indien, la France a les moyens de garantir, s’ils le souhaitent, aux 100.000 habitants de l’ile de Mayotte, sa plate-forme stratégique maritime, le droit commun de la solidarité territoriale, afin de rattraper, leur retard de développement et d’équipement. Un des meilleurs économistes français, Raymond Barre, a magistralement formulé et expliqué, la nature de ce défi, en Asie, pour la France. Ses compatriotes réunionnais (1 million) ont compris que c’est le cadre du droit commun territorial, quel qu’il soit, qui leur permettra de bénéficier et de participer à cet enjeu national et européen.
Dans les départements français d’Amérique (DFA), marginalisés, comme le reste de la Caraïbe, par la mondialisation asiatique, force est de constater une première dérogation au droit commun territorial par leur refus constant de bâtir, entre eux, une solidarité territoriale européenne et caraïbe. A fortiori, de construire, comme le leur ont proposé, les réunionnais, un espace de solidarité européen avec eux. Effrayés par le poids démographique réunionnais, nos élus préfèrent se contenter d’un modeste strapontin d’appoint, au Parlement européen, siège de la délibération et de l’adoption de la stratégie européenne. Ainsi , les électeurs de la Guyane et de la Martinique, se sont contentés d’approuver, l’accord de partage de la gouvernance territoriale ,concocté par leurs élus, en dérogation avec le droit commun, et limité à l’horizon étroit de leur territoire respectif.
En revanche à la Guadeloupe, le droit commun divise les élus de l’archipel. Déjà, en 2003, la Côte sous le vent, les iles du Sud, la Grande Terre et la Basse Terre avaient rejeté massivement la proportionnelle territoriale. Car l’histoire politique de notre archipel a été construite dans les cantons « vengeurs » et les communes. Cette farouche volonté de préserver leur identité, enfouie dans le subconscient insulaire est partagée par nos voisins français de ST Bart et de ST Martin ou Hollandais de Saba, Bonaire, ST Eustache. Comme les Saintois et les Marie Galantais, ils craignent de disparaitre démographiquement et donc démocratiquement, dans une démocratie territoriale à la proportionnelle. Nier cette évidence revient à adopter, comme à Pointe-à-Pitre, un comportement suicidaire pour l’équilibre politique de l’archipel guadeloupéen.
Le suicide de notre ville
Le défi urbain est celui du XXI siècle. Pointe-à-Pitre et Basse-Terre sont les seules collectivités qui correspondant à la conception juridique et architecturale de la ville, en dépit de leur territoire exiguë et faible démographie. Il a fallu attendre décembre 2008 pour que la municipalité pointoise finisse par partager et appliquer, la raison principale de mon engagement politique, depuis 1985, à savoir, la création d’un district urbain dans l’agglomération pointoise, afin de<libérer les guadeloupéens de la tutelle financière et technique de l’administration centrale. Faire de l’agglomération pointoise dans le cadre de la décentralisation un exemple. Les réconcilier avec eux-mêmes dans la coopération intercommunale. Mieux vivre ensemble grâce à la compétence et au développement d’un personnel technique débarrassé des séquelles du clientélisme colonial>. Cette modeste et légitime ambition a, longtemps, été combattue, même dans mon camp. Les logements pointois, conçus, en 1960, pour l’Algérie, s’avèrent inadaptés à notre géographie. La nouvelle rénovation urbaine, en cours, révèle l’absence, pendant 50 ans, de vision et d’ambition urbaine de la municipalité, qui l’a conduite à une impasse démographique, budgétaire et fiscale aggravée par la délinquance et l’insalubrité.
L’impasse démographique : diminution et vieillissement de l’assise démographique. Habitants 1967 : 27.000 - 2010 : 17.408. De 1999 à 2007, le taux des plus de 60 ans est passé de 16,2 à 20,3. L’écart est de 2 à 3 par rapport à la population guadeloupéenne (14 à 17, 1).En 2040, les projections évaluent autour de 47,8 et 50 %, la population pointoise des plus de 60 ans. Ce qui entraine de graves conséquences pour leur soutien social et leur contribution fiscale et économique dans cette « démocratie » municipale de 15.000 électeurs dont des milliers, selon la formule de la Poste «n’habite pas à l’adresse indiquée » sur la liste électorale.
L’impasse fiscale : une coupable complaisance et un lâche aveuglement permettent d’assommer et rançonner le contribuable pointois. Car pour tenter de combler le déficit abyssal, devenu structurel de la Caisse des écoles, les bases de l’assiette de la taxe foncière ont été, à la demande de la municipalité, « provisoirement » augmentées de 1996 à 1999 de + 38,09 % et jamais réactualisées. Tandis que la part communale de 2000 à 2006 était maintenue autour de 38 %. La création de la zone franche urbaine (ZFU) a opportunément amorti la vigueur de ce coup de massue. Puisque c’est le contribuable national qui en assume la charge dans le budget communal. Mais la fin prochaine de cette exonération augmentera le désarroi et accélèrera l’exode fiscal existant vers la périphérie, déjà, plus accueillante.
Quatre conditions pour éviter le suicide collectif des impasses démographique, fiscale et budgétaire, liées entre elles :
-Préserver l’identité politique des cantons de notre archipel, même si le nouvel équilibre démographique réduit à 2 cantons, la représentation territoriale pointoise.
-Renforcer l’intercommunalité en transférant et mutualisant les compétences budgétaires et les moyens humains.
-Conserver la solidarité nationale du droit commun pour garantir face aux risques sismiques et cycloniques, l’application par les compagnies d’assurances de la clause de « catastrophes naturelles », inexistante, dans les collectivités d’outremer non départementales.
-Contrôler, dans les quartiers du Carénage et de Lauricisque, les appétits des spéculateurs fonciers publics et privés, avides de permis de construire, comme nous l’avons commencé pour la façade maritime dans le port de Pointe-à-Pitre.
Le suicide collectif, comportement propre aux lemmings, ces petits mammifères scandinaves, est contraire à l’héritage culturel esclavagiste, qui bien que considérant les captifs, comme du bétail les christianisèrent. Ceci dans l’intérêt de leur maitre, afin que l’épouvante de l’enfer, introduite dans leur conscience, empêche les très nombreux suicides du début de la traite. Cette évidence, peut être difficile à appréhender, devrait s’imposer à tous nos « acteurs politiques », soucieux d’échapper à une manipulation diabolique qui conduit au suicide collectif.
Louis Dessout (Fév. 2011)