Un lecteur ami, et facétieux, a su que l'anniversaire du Scrutateur tombait le 25 avril, et que ce vendredi sonnerait mes 72 ans. Il m'envoie un texte, de Bernard Pivot, qu'il présente ainsi : « Modeste cadeau pour notre jeune scrutateur ... et ses vieux lecteurs!
Que Dieu lui prête longue vie ».
« Jeune scrutateur » me fait plaisir, même s'il faut lire le propos « cum grano salis », avec un grain de sel. En tout cas je remercie mon non moins jeune lecteur, et lui confirme que son choix est excellent, et que j'approuve et m'approprie le propos de l'illustre Bernard
Le Scrutateur.
Légende des photos.
Je ne suis pas exagérément narcissique, mais je voudrais offrir à mes amis que cela pourraient intéresser, quelques photos étalées dans le temps.
En voici les légendes :
1 ) 1957 : un qui ne sait pas encore qu'il sera scrutateur, mais qui est déjà « gâteux ». Du moins à l'égard du roi des animaux, qui n'est pas le lion, bête comme tout, mais le plus sage et le plus intelligent de tous. Ici un ancêtre de Catus Scrutatorix.
2 ) 1965, à Paris, sur une tour de Notre Dame, une apparition, celle du spectre d'un ancien familier des lieux, selon Victor Hugo : le célèbre Quasimodo !
3 ) 1965 encore, toujours à Paris. Un bal costumé. Comme dans la fameuse soirée qui hallucina Meaulnes, le héros d'Alain Fournier, le Scrutateur ( encore en herbes ) crut voir, en cette soirée là, s'interpoler les siècles et les époques. C'est ainsi, qu'au même moment il fut « aux prises », lui d'Artagnan ( évidemment ! ), sous Louis XIII, et....Lucrèce Borgia ( XV/ XVI ème siècle ), et qui, en 2014, est toujours, en elle-même, telle que l'éternité ne la change pas !
4 ) Oh! Les années sont passées. Là nous sommes en février 2014. LS qui n'a aucune idée des changements que peut apporter le temps à la machine corporelle, s'est brisé une vertèbre après une chute due à son imprudence. Le visage porte les marques de la fatigue, non d'un agacement qui viendrait de ce que le photographe aurait en appuyant sur le bouton de l'appareil prononcé une obscénité, du genre : François Hollande est un « male boug ». En tout cas la scrutation, ralentie, ne s'interrompit pas.
5 ) Ce cliché date de quelques jours. Je ne ferai pas de commentaire.
Un texte de Bernard Pivot, extrait de son livre paru en avril 2011.
Vieillir, c’est chiant. J’aurais pu dire : vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.
On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.
Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge. Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants. “Avec respect”, “En hommage respectueux”, “Avec mes sentiments très respectueux”. Les salauds! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect? Les cons! Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !
Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place. J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.
-- “Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que”…
-- Moi aussitôt : «Vous pensiez que…?
-- “Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir”.
– “Parce que j’ai les cheveux blancs”?
– “Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, çà été un réflexe, je me suis levée.-- “Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous”?
–"Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge”…
-- “Une question de quoi, alors?”
– “Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois”…»
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce. J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le déluge? Non, Mozart.
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