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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

En ces temps de « je m'en fichisme » il y a toujours (en France, mais pas seulement) place pour des héros. Témoignage.

En ces temps de « je m'en fichisme » il y a toujours (en France, mais pas seulement) place pour des héros. Témoignage.
En ces temps de « je m'en fichisme » il y a toujours (en France, mais pas seulement) place pour des héros. Témoignage.

Ce matin, d'un lecteur fidèle, je reçois cet éblouisant témoignage. L'article est un peu long, mais comme les lecteurs du Scrutateur ont du souffle, et ne renaclent pas devant l'effort, je publie.

Bonne lecture. (LS).

 

 

 

«J’ai une dette envers lui» : l’otage sauvée par Arnaud Beltrame se
confie au Figaro




RÉCIT - Arnaud Beltrame est mort il y a cinq ans, à Trèbes, face à un
terroriste islamiste, en échangeant sa vie avec celle d'une caissière.
Le Figaro a rencontré la quadragénaire, qui, pour la première fois,
livre son témoignage.

 

 


Il est dix heures et demie du matin lorsque Julie*, 40 ans, sort un
instant du Super U de Trèbes. Elle y travaille depuis 18 mois comme
hôtesse d’accueil et ne se doute pas encore qu’elle va être victime
d’un acte terroriste.



L’air est frais, ce 23 mars 2018. Julie frissonne, rabat le col de sa
polaire floquée “U” et allume une cigarette. Face à elle, la brume
enveloppe les blocs géométriques des magasins. Peugeot. Boulangerie
Firmin. Station-service. Du béton, des voitures et des tôles à perte
de vue.

Julie tire une dernière latte sur sa cigarette. Elle doit encore
envoyer quelques CV. Depuis quelques mois, elle a décidé qu’elle
devait retrouver un métier à la hauteur de son diplôme d’ingénieur en
HSE. Comprendre : «Hygiène-sécurité-environnement». Caissière, elle a
fait ça pour prendre du recul. Pour avoir du temps pour sa fille. Elle
l’a voulu, ce boulot tranquille.

On se dit que, si on ne travaille pas bien à l'école, on finira
caissière…(...) Et puis il y a eu l'attentat

Avant, elle travaillait dans la protection de l’environnement et de la
santé. Pour proposer des miracles, il lui avait fallu acquérir un
Bac+5. Elle s’était d’abord très appliquée à mettre en place les
objectifs «zéro accident mortel» sur les chantiers, à pousser les
usines de l’agroalimentaire à suivre les démarches HACCP, à réduire
l’empreinte carbone des entreprises désireuses de montrer patte
blanche, à évaluer les risques grâce aux dashboards, à encourager des
démarches responsables, etc. Son quotidien était rythmé par les
réunions avec le comité social et économique (CSE), le comité
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les
visites des usines, le contrôle des normes de sécurité.

Très vite, Julie a déchanté. Car derrière les beaux plans d’actions,
diagnostics de sécurité, recommandations et présentations PowerPoint,
elle a rapidement eu le sentiment de n’être qu’une sorte de marraine
la bonne fée en CDI : son travail relevait en réalité, selon elle, de
produire du boniment pour bateleurs économiques prêchant l’avenir
durable.

Un jour, ce fut trop. Elle a tout quitté. Elle s’était donné deux ans
pour reprendre pied. Cela faisait désormais un an et demi qu’elle
travaillait au supermarché U. Son CDD devait se terminer en septembre
2018. «On dit parfois que, si on ne travaille pas bien à l’école, on
finira caissière… Moi, j’avais besoin d’un boulot qui ne soit pas
envahissant, qu’on ne ramène pas chez soi le soir...
Et puis il y a eu
l’attentat», souffle aujourd’hui Julie, s’accrochant à son café comme
on s'agripperait à un radeau. Elle marque une longue pause puis
renverse sa tête en arrière, les yeux brillants vers les néons blancs
du plafond. Elle semble chercher quelqu’un du regard, avant de fermer
les yeux.
C’est presque une prière.

C’était il y a cinq ans. Et pourtant, c’était comme si c’était hier.


Après avoir fini sa cigarette, Julie est revenue dans le Super U. Elle
a jeté un regard indifférent aux produits bien alignés dans les rayons
du supermarché. À peine s’était-elle installée à l’accueil que :
«Allah Akbar». Julie s'est accroupie. À quatre pattes, elle a rejoint
un bureau, derrière l’accueil.

Elle entend des pas qui s’approchent. Les enceintes du magasin
chantonnent gaiement : «U, les nouveaux commerçants !». Des pas se
dirigent vers le bureau où Julie s’est retranchée. «Pour être en
forme…», crache une voix pédagogique dans les haut-parleurs. Les pas
se rapprochent. «Mangez au moins cinq fruits et légumes par jour !»,
s’exclame un enfant dans les enceintes. Les pas s’arrêtent. «Ah, voilà
mon otage !», s’applaudit l’homme à la matraque, déposant sur une
table à proximité une boule de chatterton.
Oui, Julie se souvient du
«gamin», Radouane Ladkim
.

« Le gamin » porte une barbe noire, un pantalon de treillis, une
doudoune, un pistolet et « une lame immense »

Julie n’a pas vu Christian, le boucher du supermarché, se faire
abattre à bout portant par le terroriste. Elle n’a pas vu non plus ce
client sexagénaire, Hervé, se faire tuer, lui aussi, d’une balle dans
la tête. Celui-ci continuait à déposer mécaniquement ses produits sur
le bandeau déroulant de la caisse, alors que le «gamin» tirait dans
tout le magasin en criant «Allah Akhbar». «Il m’a dit qu’il n’avait
pas apprécié que cet homme ne le prenne pas au sérieux. C’est pour ça
qu’il a tiré sur ce client», rapporte aujourd’hui Julie, fronçant les
sourcils comme si elle voulait se rappeler. Avant de les serrer encore
plus fort, comme si elle voulait oublier.

Des images semblent défiler derrière ses paupières. Elle baisse la
tête, se pince l’arête du nez, passe une main derrière ses cheveux
bouclés. Oui, elle se souvient. «Le gamin» porte une barbe noire, un
pantalon de treillis, une doudoune, un pistolet et «une lame immense».
Il répète la chahada, la profession de foi des musulmans, et récite
des sourates. Des propos ponctués par une voix féminine surexcitée qui
mitraille des «grâce à votre magasin U, faites encore plus d’économies
! Mercredi 28 mars, profitez de -30% sur les chocolats de Pâques
Kinder. Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés, sucrés».

Le «gamin» demande à son otage d’appeler les gendarmes. Radouane
Ladkim évoque «ses frères morts en Syrie» et Salah Abdelsam. À l’autre
bout du fil, la policière préconise à Julie de ne pas raccrocher, afin
que tout soit enregistré. «Il me parle de ses sœurs, sa mère. Il me
demande si j’ai des enfants, un compagnon», se souvient Julie, qui,
lorsque son bourreau lui pose cette question, pense à sa fille. Une
image qu’elle s’empresse de chasser de son esprit. «Sinon, je me
serais écroulée. J’essaye plutôt de discuter avec lui. Il me dit qu’il
est prêt à mourir en martyr, je lui réponds que moi, non».


«Relâche la petite dame»

Au bout de quelques instants, Julie aperçoit des képis et des
gyrophares derrière la baie vitrée. Puis apparaît, en bout de caisse,
un groupe de cinq gendarmes. Le terroriste attrape Julie et lui pose
le canon du pistolet sur le crâne et un couteau le long des côtes. Les
militaires braquent leurs fusils. «Qu’est-ce que tu veux ?», s’élève
une voix dans le bloc de gendarmes. Puis c’est le trou noir. Julie ne
se souvient pas de la suite. Elle a juste cette impression,
persistante, d’être un rempart, un mur entre deux mondes. «C’était le
Far West, je sentais que ça allait dégénérer, que ça allait tirer dans
tous les sens et que moi, je serai au milieu», se souvient Julie.

Jusqu’à ce qu’Arnaud Beltrame intervienne. «Vos gueules, reculez ! Je
prends !». Le colonel avance doucement vers le terroriste. «Il
répétait : “relâche la petite dame, elle n’y est pour rien. Je
représente l’État, prends-moi à sa place. Relâche la petite dame, elle
n’a rien fait”. Tout en disant cela au terroriste, il me fixait droit
dans les yeux. Mais à aucun moment il ne s’est adressé à moi. À aucun
moment il ne m’a fait un signe, même discrètement. Il ne faisait que
me regarder dans les yeux. Mais c’est comme si je n’existais pas,
comme si j’étais déjà hors jeu. Je n’étais plus que l’objet de la
négociation. Comme s’il parlait au terroriste à travers moi», se
souvient Julie, le visage plongé dans ses mains.

Le terroriste a accepté l’échange. Il a lâché Julie et a attrapé
Arnaud Beltrame. Julie est alors persuadée que «le gamin» va lui tirer
dans le dos. Durant des mois, elle ressentira encore une douleur vive
à cet endroit, comme si son ravisseur l’avait effectivement descendue.

Elle s’est avancée dans le magasin désormais silencieux. Un gendarme
caché dans un rayon l’a prise en charge et guidée vers l’extérieur.
«J’avais l’impression que tout mon corps lâchait. Je jurais. J’avais
besoin de frapper quelqu’un. Mon patron, qui attendait dehors, s’est
proposé. De rage, je l’ai martelé de coups de poing. Avant que
celui-ci ne me prenne dans ses bras».

Arnaud Beltrame « répétait : “relâche la petite dame, elle n'y est
pour rien. Je représente l'État, prends-moi à sa place »

Au lendemain de l’attentat, Julie demande à voir le corps d’Arnaud
Beltrame. Elle découvre un visage «marqué par les luttes qu’il a
menées pour rester en vie».
Julie pose sa main sur sa poitrine et fait
une promesse. «Dans mes tripes, je sens une rage qui me tenaille, la
colère d’avoir perdu une vie si précieuse pour l’humanité, d’avoir
perdu un homme si honorable. Je lui dis que j’essayerai de me montrer
digne de la vie qu’il a protégée en risquant la sienne».


Quelques jours plus tard, Julie reçoit une lettre de Marielle
Beltrame, l’épouse d’Arnaud Beltrame. «Marielle…», soupire-t-elle
aujourd’hui, triturant avec agitation sa médaille miraculeuse. Son
visage se crispe, sa bouche se tord. La douleur est là, intacte.
«Marielle est une femme pour laquelle j’ai beaucoup de respect. Je
n’ose même pas imaginer ce qu’elle ressent...Nous avons un lien...
particulier», poursuit-elle, tentant de reprendre ses esprits. «Dans
sa lettre, elle me disait que je ne devais pas me sentir coupable. Que
c’était le métier d’Arnaud de faire face à ce type de risques. Qu’il
avait toujours été très attaché à la notion du devoir». Durant un an,
Julie n’a pas su comment répondre à cette lettre.

À lire aussiDavid Corona, cet ancien négociateur du GIGN qui est
intervenu sur les opérations Kouachi et Arnaud Beltrame

«C’est sa foi qui m’a amenée à trouver Dieu»

Les mois qui suivirent l’attentat, Julie fut sur le qui-vive. En état
d’alerte permanent. Elle élabore des stratégies pour éviter d’être de
nouveau la cible d’un terroriste. Elle porte des habits passe-partout.
Des chaussures qui accrochent bien le sol. Elle préfère les marchés et
les magasins bio aux grandes surfaces.

Mais dans ce quotidien rempli de peurs et d’angoisses, une lumière
apparaît. Celle de la foi. Avant, Julie était «une athée dure-dure»,
assure-t-elle, le sourire aux lèvres. «Dieu est arrivé dans ma vie
comme les cailloux du petit Poucet, de manière discrète»,
rapporte-t-elle, lumineuse tout à coup. Des amis qui se convertissent,
une médaille miraculeuse de la rue du Bac qu’on lui offre, une
rencontre avec un prêtre, une messe à l’abbaye Sainte-Marie de
Lagrasse… «C’est la foi que portait en lui Arnaud Beltrame qui m’a
amenée à trouver Dieu, explique Julie, je me suis dit que, si cet
homme d’exception croyait en Dieu, alors il fallait que j’aille voir
ce qu’il en était».

Julie se met à fréquenter une paroisse. Elle participe à des dîners,
des échanges, des prières. Elle y rencontre son futur mari, Jacques*.
Un homme costaud, qui arbore une large moustache blanche à la Tarass
Boulba. Un homme qui la protège mais qui, derrière son allure de
colosse, cache un homme rieur et d’une bonhomie désarmante.

Je prie comme je n'ai jamais prié auparavant. Je convoque Arnaud, mon
père, mes ancêtres… Seule dans ma petite barque

Julie s’est ensuite engagée dans le catéchuménat pour se préparer au
baptême. Elle est baptisée en avril 2023, à Pâques. «Il n’y a pas eu
de miracle radical, pas de guérison aussi spectaculaire que subite. Je
ne fais pas partie de ces miraculés subitement guéris»,
souligne-t-elle. Car depuis l’attentat, sa vie est un chaos. Il y a
les médicaments, les injonctions des uns et des autres à aller mieux,
sa séparation avec son premier mari «qui n’a pas supporté que je me
laisse aller», la mort de son père, atteint d’un cancer, le marathon
des psychologues et psychiatres, le traitement «scandaleux» par le
Fonds de garantie des victimes, la paperasse, les démarches…

Un matin, à la messe, Julie décide de lâcher prise. «Je prie comme je
n’ai jamais prié auparavant. Je convoque Arnaud, mon père, mes
ancêtres… Seule dans ma petite barque. Je dépose armes et rames,
rapporte-t-elle dans son livre, Je me disais :“Mais ce n’est pas
possible, Arnaud ne m’a pas sauvée pour que je m’écroule quatre ans
après, pour que je vive cet enfer”». Alors Julie s’est relevée. «J’ai
une dette envers lui : je me dois de donner tout ce que j’ai comme
amour, et la prière me ramène vers la lumière». Durant ces quelques
secondes où ces deux êtres se sont croisés, le colonel Arnaud Beltrame
a insufflé à Julie cette lumière.
«À la pulsion de mort du terroriste,
il a opposé son élan de vie», écrit en préface du livre de Julie son
avocat, Me Henri de Beauregard, pour qui «la découverte d’une identité
spirituelle apparaît comme le meilleur antidote à la haine islamiste».


Reste que, aujourd’hui, Julie n’est plus vraiment Julie. Elle est
désormais «la caissière de Trèbes». Ou «l’otage du Super U», c’est
selon. Enfermée dans ce statut, condamnée à vivre avec cette étiquette
qui lui colle à la peau et qu’elle aimerait bien arracher. «Parfois
j’ai l’impression qu’on me pointe du doigt et qu’on me dit : “oh,
regarde, un otage!”», dit-elle mimant un enfant qui pointerait du
doigt un singe dans un zoo. Réduite à quelques lignes, sur Wikipédia.
À l’identité de «victime». Un «costume parfois difficile à porter».

 

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