8 Mai 2024
L'éditorialiste qui veut ces jours-ci commenter la politique est bien à plaindre. Car cette politique est infiniment répétitive centrée sur la renaissance de l'antisémitime honteusement récupéré par la gauche et l'extrême gauche, ou l'embrouillamini ukrainien.
Quand l'éditorialiste d'un blog, non rémunéré (et fier de la liberté que ce statut lui procure) il ne lui reste que le silence ou le choixd'un autre sujet, moins noble selon les critères, et je m'en félicite, du public qui honnore le scrutateur.
Ne voulant pas laisser page blanche, j'ai choisi de diriger mon projecteur sur un autre sujet, presque scatologique, au service du cacochyme président sortant des USA, à savoir le procès intenté à Trump par « dame » Dtormy Daniels.
Combien seront étonnés par les comportements de M. Trump. Ce n'est pas en France qu'on pourrait voir çà, ni... en Guadeloupe of course !
Le Scrutateur.
Les ébats oratoires de dame Stormy Daniels :
Trump m'a dit : “Je pensais que c'était ce que tu voulais, si tu voulais sortir de ta caravane…” Ça m'a vexée, je n'ai jamais vécu dans une caravane. » Stephanie Clifford, dite Stormy Daniels, a tardé à entrer dans la salle d'audience au 13e jour du procès de Donald Trump. Elle avait choisi une robe noire sobre, avec des volants sur les épaules, elle qui passe sa vie à étudier ses costumes. Une tenue qui couvrait ainsi Thunder et Lightning, ses seins ainsi surnommés, qu'elle a fait refaire à 24 ans, après avoir remarqué que les filles de son club de striptease qui avaient investi dans des implants récoltaient plus de billets verts.
Des mèches décolorées devant, noires et relevées dans une pince derrière, des lunettes qu'on ne lui voit jamais viennent compléter son look. C'est dans une voix tremblante au début, puis avec un débit de mitraillette – au point que le juge Juan Merchan puis Susan Hoffinger, la procureure, lui demandent de ralentir pour que la greffière suive – qu'elle va livrer des détails, beaucoup, trop même, dévastateurs pour Donald Trump, quitte à être parfois hors sujet.
La vie de Stephanie née Gregory, en 1979 à Baton Rouge, en Louisiane, est une histoire d'une triste banalité, dont on n'aurait jamais parlé si elle n'impliquait pas un homme qui allait devenir, un jour, alors que personne n'y croyait, et même pas lui, le président du pays le plus puissant du monde. C'est celle d'une petite fille pas élevée par une mère absente après son divorce. « J'aimerais pouvoir dire qu'elle était folle, mais même pas : c'était juste une mère très négligente », raconte-t-elle à la barre.
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Dans son livre Full Disclosure, elle raconte ces journées, quand elle avait 6 ans, où sa mère ne rentrait pas, non pas parce qu'elle était alcoolique ou droguée, mais juste, suppose-t-elle, parce qu'elle oubliait : elle enchaînait deux boulots puis passait la nuit chez son amant du moment. Stephanie se nourrissait de bretzels. Elle décrit une maison immonde de crasse, son matelas au sol, les draps pas lavés pendant des années, les rats, les cafards qui logeaient dans son support de brosse à dents, la kyrielle de beaux-pères pas franchement méchants (même si l'un d'eux, ivre, a un jour tiré un coup de fusil qui aurait pu la tuer).
Et puis le voisin qui, alors qu'elle a 9 ans, la viole, pendant un an. « J'étais une enfant, et puis je ne l'étais plus », écrit-elle. Sa passion pour les chevaux requiert de l'argent, les études sont trop chères, malgré une bourse due à ses bonnes notes, et le striptease rapporte davantage, au point qu'elle tire un trait sur l'université. Elle passe à la photo nue, au porno, qui paie mieux. Elle réussit. À 23 ans, elle écrit ses films, passe derrière la caméra, « la plus jeune réalisatrice de films pour adultes », se rengorge-t-elle. Elle gagne des prix, qui ont de la valeur dans son milieu.
Puis arrive ce jour de juillet 2006, lors d'un championnat de golf à Lake Tahoe, en Californie, où sa maison de production a « sponsorisé un trou ». (Elle rit : « Je sais, c'est marrant pour une boîte de porno. ») Elle parle en agitant ses bras tatoués et adopte une moue gênée quand elle jure – on est tout de même au tribunal. « Les filles devaient parler aux célébrités » qui participaient, « leur donner des cadeaux », puisque, selon une règle immuable, « quand les gens deviennent riches, on leur donne des trucs gratuits ».
Parmi les invités figure Donald Trump, qui s'étonne qu'elle ne soit pas qu'actrice. « Il m'a appelée “la maligne” », se rappelle-t-elle. Quel âge avait-elle, demande Susan Hoffinger ? « 27 ans. » Et Donald Trump ? « Assez pour être mon père… à peu près 60 ans. » Quand son garde du corps lui transmet que « M. Trump souhaiterait savoir si elle voudrait le rejoindre pour dîner », elle pense : « F… no ! » (un Fuck qu'elle n'ose pas formuler). Son manager la convainc d'y aller.
Le récit de la soirée, dans son livre comme à la barre, est stupéfiant. Une fois à l'accueil de son hôtel, elle appelle le garde du corps, qui lui dit de monter au penthouse. La suite est immense : « trois fois la taille de mon appartement », décrit-elle. Donald Trump est en pyjama de soie noire. Elle exige qu'il s'habille, il s'exécute. Puis parle de lui, et ceux qui sont allés à ses meetings connaissent ces tunnels où il déblatère, sans filtre et sans fin. Ulcérée (et affamée), elle lui demande : « Mais ça marche, ça, d'habitude ? Vous êtes tellement peu sûr de vous que vous crânez tout le temps, ou vous êtes juste un énorme connard ? » Il l'écoute, abasourdi, dire qu'il mérite une bonne fessée, avec un magazine qu'il vient de lui montrer, où il est en couverture. Il se tourne, baisse « un peu » son pantalon. Elle donne la fessée au futur 45e président des États-Unis.
Pour le reste, ils boivent de l'eau et discutent business. « Généralement, les gens veulent connaître les détails salaces, lui, il voulait savoir si je touchais des royalties, s'il y avait des syndicats dans le porno », raconte-t-elle. Il salue la gestion de sa carrière, lui propose de la faire apparaître dans The Apprentice, son émission de télé-réalité, même si elle objecte que jamais une grande chaîne ne prendra une star du porno. Elle lui fait penser à sa fille, « belle et intelligente ».
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C'est pour ça qu'après trois heures de conversation, quand elle sort des toilettes et le trouve posé sur le lit, en caleçon et tee-shirt, elle se fige et se demande : « Comment j'ai pu aussi mal lire la situation ? » Dans la salle du tribunal, des éclats de rire résonnent dans le public, masculins. Les femmes ont les sourcils froncés, parfois la main sur la bouche. Et l'on pense aux débats au sein du jury, entre ceux qui diront qu'elle savait où elle mettait les pieds, et celles qui répondront qu'on se « met parfois » dans des situations qu'on pense, à tort, inextricables.
Et enfin, il lui lance cette phrase : « Je pensais que c'était ce que tu voulais, si tu voulais sortir de ta caravane… » Un coup de poignard pour Stormy, qui n'a pas grandi dans une caravane, mais pas loin. Surtout, cette phrase ne figure pas dans son livre. Elle prend tout le monde de court. La défense bondit : « Objection ! » Et Hoffinger a beau dire : « Il y a des détails que vous aviez omis, dans le livre » et Stormy, répondre : « Oui, c'est une version abrégée de ce qui m'est arrivé », cette brèche annonce un contre-interrogatoire sanglant.
Par la suite, Trump l'appelle souvent, elle le met sur haut-parleur, cela fait rire tout le monde. Il l'invite au lancement de sa marque de vodka. Puis dans sa suite du Beverly Hills Hotel, où il lui fait regarder un documentaire sur les requins (qui le terrifient) tout en promettant qu'il essaie toujours de la faire participer à The Apprentice. Il tente une approche (« J'ai menti, j'ai dit que j'avais mes règles »), elle part. Peu après, il l'appelle pour lui dire qu'il ne pourra pas l'imposer dans The Apprentice et elle cesse de répondre.
La suite, ce sont les tabloïds auxquels elle refuse de parler, la peur quand elle comprend que Trump, en 2016, peut gagner la présidentielle et qu'elle pense qu'elle pourrait devenir gênante, puis l'accord de confidentialité négocié entre Keith Davidson, son avocat, et Michael Cohen, celui de Trump, au titre duquel elle devait toucher 130 000 dollars pour se taire.
C'est un témoignage accablant pour Trump, au point qu'après le déjeuner, la défense prend la parole. « Ce témoignage était trop préjudiciable au président Trump, Votre Honneur, entame Todd Blanche. Nous ne voyons simplement pas comment on revient de tout cela, en étant juste avec le président Trump, la seule solution est l'annulation. » Le juge Merchan refuse, même s'il trouve qu'il aurait « mieux valu que certaines choses ne soient pas dites » et demande à l'accusation de « dire au témoin de se limiter à répondre aux questions ».
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Le contre-interrogatoire est aussi violent qu'escompté. Il y a ce démenti au Wall Street Journal que Stormy Daniels a signé en 2018 pour respecter son accord de non-divulgation. Que faut-il croire ? Il y a cette anecdote sur un parking de Las Vegas, où Stormy Daniels raconte avoir été menacée en 2011 par un homme qui lui a dit : « Quel joli bébé, ce serait vraiment dommage qu'il arrive malheur à sa mère. Arrêtez de parler de Donald Trump. » A-t-elle pleuré, ou pas, en arrivant à son cours de gym pour jeunes mamans après ? Les versions diffèrent, selon son livre et son témoignage. « Quelqu'un vous menace, la vie de votre fille est en danger et vous ne dites rien à son père ? » demande aussi Necheles. « Mais je ne disais RIEN à son père », s'impatiente Stormy Daniels, qui ne lui avait toujours pas révélé la vérité sur sa relation avec Trump.
Il y a aussi cette fois où elle a fait intervenir Keith Davidson pour étouffer son histoire, qui allait sortir sur un site, TheDirty, puis celle où elle a voulu la vendre à InTouch, qui allait l'écrire de toute façon. Il y a ces tweets où Trump la traite de « face de cheval » et « d'ordure », mais elle le traite de « merde orange ». Il y a ce procès en diffamation qu'elle a perdu contre Trump, et pour lequel elle n'a jamais payé l'amende. Necheles est agressive, Stormy Daniels réplique. « Vous inventez tout ce que vous nous racontez, là ? » l'accuse Necheles. Stormy Daniels marque une pause. Répond par un « non » choqué.
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Qu'en retiendra le jury ? Un moment d'humiliation et de honte dans la suite, ou des dates confuses et des déclarations contradictoires ? Certains estiment que faire témoigner Stormy Daniels dans une histoire de falsification de comptes était inutile et trop risqué. Mais les procureurs étayent ainsi le deuxième volet de l'accusation. Les faits narrés par Daniels expliqueraient pourquoi Trump a acheté son silence, à la veille de l'élection de 2016. Ce qui constituerait, donc, de l'ingérence électorale. Le contre-interrogatoire se poursuivra jeudi.