5 Juillet 2023
1 ) Il y a beaucoup à redire sur Jean-Jacques Rousseau. Mais il était capable de profondeur. 2) Chantal Delsol.
L’aveuglement sur le rôle des familles explique pour
beaucoup la forte présence de jeunes parmi les émeutiers, explique la
philosophe Chantal Delsol. Dans une démocratie, l’éducation à la liberté est fondamentale, et seuls les parents peuvent la dispenser, argumente-t-elle.
La démocratie ne tire pas sur les émeutiers. Elle peut être la cible
de voyous qui pillent, cassent, tentent de tuer tout ce qui touche à
l’autorité, elle répond en maîtrisant sa force. Des pays comme la
Turquie, l’Iran, la Russie, la Chine, confrontés aux mêmes violences,
auraient depuis longtemps répondu par des tirs et des exécutions. Ici,
on attend patiemment que la colère passe.
Croit-on que cette exception démocratique s’établit par hasard? Ou par
la seule volonté de modération et de tolérance d’une certaine culture,
la nôtre, une culture débonnaire? Non. Cette exception démocratique a
été rendue possible, au fil des siècles, par une éducation à la
liberté. Les deux ont grandi ensemble et se sont justifiées l’une par
l’autre: l’éducation à la liberté, et la culture démocratique. Pour
que la démocratie soit possible, il faut qu’une société soit habitée,
non par des sujets immatures, mais par des citoyens qui, comme disait
Camus, «s’empêchent». Autrement dit, si la démocratie est un régime
qui maîtrise sa force (qui ne tire pas sur les foules), c’est parce
que ses citoyens ont appris à maîtriser leur force - à poser des
limites à leur propre liberté, ce qu’on appelle l’autonomie.
À lire aussi Luc Ferry: «Comment endiguer la crise de la démocratie?»
En Europe est apparue une culture dans laquelle l’individu est
considéré comme une personne, c’est-à-dire un être doté de conscience
et de liberté, éducable à l’autonomie. Encore faut-il l’éduquer. On
sait que le petit humain ne sort pas tout instruit ni expérimenté du
ventre de sa mère. Or l’éducation à la liberté réclame des conditions
spécifiques. Ce n’est pas du tout un hasard si la démocratie est née
dans une culture monogame, où le père doté d’une seule famille peut
contribuer largement à l’éducation. N’en déplaise à nos féministes: il
est beaucoup plus aisé d’éduquer un enfant à la liberté pour un couple
de parents que dans n’importe quel autre type de famille. Car
l’éducation à la liberté réclame une présence constante et attentive,
qui sait demeurer ferme en n’oubliant jamais l’exigence de l’amour.
Dans les années 1990, une enquête sociologique réalisée en Norvège et
aux États-Unis établissait que la presque totalité (entre 90 % et 95 %
selon les items) des jeunes garçons voleurs, drogués, suicidaires,
meurtriers, étaient fils d’un père absent ou inconnu. Cette enquête
avait été mise sous le boisseau pour ne pas humilier les mères
célibataires. Mais il faut aller plus loin: on peut parfaitement
admettre tous les types de familles, mais alors il faudra tôt ou tard
mettre en cause la démocratie. Si on ne veut pas de pères dans les
maisons, il faut tôt ou tard poster la police dans les lycées, et plus
tard encore ouvrir la voie à un régime autoritaire.
Apprendre à un enfant à «s’empêcher»
L’enfant humain, en soi, n’a pas besoin de liberté: il a
essentiellement besoin de tendresse et d’affection, sans lesquelles il
devient fou (voyez les enfants sortis des camin-spital de Roumanie).
Mais la liberté? Elle est facultative. Si on ne la lui apprend pas,
alors l’enfant humain déploie sa violence quand cela lui plaît, et il
sera arrêté par la force publique qui ne lui fera aucun cadeau. C’est
pourquoi les régimes autoritaires fleurissent là où l’enfant humain,
jamais privé de tendresse, n’a pas été éduqué à la liberté -
c’est-à-dire, au fond, partout sauf dans les pays occidentaux ou
occidentalisés.
L’importance de l’éducation familiale commence à être timidement
abordée par nos médias, au moment où des bandes d’adolescents en
colère passent des nuits à détruire les équipements urbains et à
menacer les personnes détentrices de l’autorité. Beaucoup comprennent
que l’école républicaine ne peut pas tout faire, et qu’apprendre à un
enfant à «s’empêcher», cela se fait dans la famille. Le problème est
que dans la France de 2023 l’état de la famille n’est plus du tout
propice à cela. Nos élites gouvernantes viennent de passer cinquante
ans à dévaloriser la cellule familiale et à clamer que n’importe quel
type de famille fait l’affaire pour éduquer un enfant - ce qui est
tout à fait faux: pour aimer un enfant, oui, bien sûr, mais
certainement pas pour éduquer à la liberté.
La mère seule et débordée aura beaucoup de mal à avoir raison du
garçon de 13 ans qui veut sa liberté sans limite et qui rapidement ira
casser dans la rue, annonçant les autocraties du futur
La mère seule et débordée aura beaucoup de mal à avoir raison du
garçon de 13 ans qui veut sa liberté sans limite et qui rapidement ira
casser dans la rue, annonçant les autocraties du futur. Par ailleurs,
nos gouvernants ferment vertueusement les yeux sur la polygamie des
musulmans de France, et il faut oser dire que dans un harem familial
l’enfant humain, encore une fois, ne sera pas privé de tendresse, mais
n’apprendra pas à «s’empêcher»… Il s’avère par ailleurs que le père
musulman, même monogame, nourri d’une culture sans liberté, héritier
d’un Dieu autocrate et de siècles d’autocratie, a certainement du mal
à apprendre la liberté à ses enfants - d’autant que, de surcroît,
l’État français lui interdit la fessée et la gifle… Toutes ces
circonstances additionnées font qu’un certain nombre de familles, même
si on les en exhorte sur les plateaux de télévision, ne sauront pas
offrir à la nation des petits Français qui «s’empêchent»…
s d’aucune crise»
Que faudrait-il faire, alors? Tout d’abord, cesser de ridiculiser le
rôle du père et chercher à remplacer l’ancien patriarche honni, non
par le néant, mais par un père contemporain, libéral et ferme. Et
puis… au lieu de cracher constamment la honte sur notre propre
culture, réapprendre à l’aimer et la faire valoir aux yeux des
populations musulmanes. Si des cohortes d’adolescents émeutiers nous
haïssent, c’est d’abord parce que nous nous haïssons nous-mêmes.
Car nous risquons gros dans cette affaire, et ce serait bien de ne pas
trop en rire. On peut attendre la fin des émeutes (après tout, c’est
bientôt les vacances), et, comme on le voit, s’occuper surtout des
assurances qui seront versées aux commerçants dévalisés et détruits.
Et puis dormir jusqu’à la prochaine fois. Mais il n’est pas certain
qu’une démocratie puisse vivre longtemps dans cette ambiance de
violences supportées. On ne peut pas tout avoir: des familles
négligentes et un régime libéral. Les citoyens excédés réclameront un
pouvoir fort, prêt à réprimer réellement ceux qui ne savent pas
«s’empêcher». Un jour ou l’autre, comme disait Stevenson, il faut
s’asseoir au banquet des conséquences.