Point de vue.
( Voici un article qui ne plaira pas à notre "jeune" correspondant d'hier Bidibim Abdel Iz' Noghoud. Mais enfin Le Scrutateur n'a jamais eu pour
vocation de bêler avec les moutons de Panurge. L'auteur des Réflexions sur la crise égyptienne est un historien reconnu, et l'un des meilleurs spécialistes de l'Afrique.
E.Boulogne ).
Réflexions sur la crise égyptienne
Après la Tunisie, l’Egypte s’est donc embrasée.
Oubliant le « je ne blâme ni ne loue, je raconte », cette règle d’or de leur profession, les journalistes se sont une nouvelle fois faits les porte-voix des manifestants. Se pâmant
littéralement devant leurs actions, ils n’eurent pas assez de superlatifs pour décrire le « Peuple » égyptien unanimement dressé contre le « dictateur »
Moubarak.
Tout a basculé dans leur petit univers borné de certitudes et d’approximations quand des partisans de ce dernier
sont à leur tour descendus dans la rue ; et en masse. Il y avait donc deux peuples !!! Cette constatation avait de quoi perturber des esprits formatés. Durant un temps l’explication
leur fut facile : les contre-manifestants étaient des policiers et des nervis payés ; puis, horreur, ils
découvrirent qu’il s’agissait d’habitants venus des « quartiers les plus pauvres».
Ainsi donc, des miséreux osaient venir gâcher la grande célébration démocratique dont ils étaient devenus les
porte-voix. Plus encore, ces gueux osaient, crime des crimes, s’en prendre aux journalistes, ignorant qu’en France, cette intouchable caste constitue un Etat dans l’Etat devant lequel rampent et
se prosternent les plus puissants. Ils auront du moins retenu de leur séjour au Caire que sur les rives du Nil les références ne sont pas celles des bords de Seine et que les voyages sont plus
formateurs que les écoles de journalisme.
Ces ignorants n’ont pas vu que la vie politique égyptienne est organisée autour de trois grandes forces. La
première, celle qui manifeste en demandant le départ du président Moubarak et pour laquelle ils ont les yeux si doux, est, comme en Tunisie, composée de gens qui mangent à leur faim ; il
s’agit en quelque sorte de « privilégiés » pouvant s’offrir le luxe de revendiquer la démocratie. La seconde est celle des Frères musulmans ; pourchassée depuis des décennies et
aujourd’hui abritée derrière les idiots utiles, cette organisation tente de se réintroduire dans l’échiquier politique pour imposer sa loi. La troisième force dont aucun « envoyé
spécial » n’a jamais entendu parler est celle qui vit dans les quartiers défavorisés, loin donc de l’hôtel Hilton, ce spartiate quartier général des journalistes « baroudeurs », ou
dans les misérables villages de la vallée du Nil, loin des yeux des touristes. C’est celle des fellahs besogneux, de ce petit peuple nassérien au patriotisme à fleur de peau qui exècre à la fois
la bourgeoisie cosmopolite lorgnant du côté de Washington et les barbus qui voudraient ramener l’Egypte au X° siècle. Ce sont ces hommes qui ont volé au secours du Rais Moubarak en qui ils
voient, à tort ou à raison, là n’est pas la question, un successeur, même lointain, du colonel Nasser.
Dernière remarque : pendant que la classe politique française sommait le président Moubarak de quitter le
pouvoir, le président russe Medvedev avait un long entretien téléphonique avec lui, l’assurant qu’il s’élevait contre les ingérences étrangères. D’un côté des chiens de Pavlov levant la patte
face à l’air du temps et de l’autre, un homme d’Etat familier des subtilités de l’ « orient mystérieux »
…
Vendredi 4 février 2011