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5 Février 2011
A la mémoire de Luigy Colat-Jolivière.
( Luigy Colat-Jolivière, s'il vivait encore, aurait aujourd'hui 80 ans, ce 06 février 2011. Il nous a quitté au début de janvier 1990. Ceux qui ne le connaissent pas sauront qui il fut, grâce à l'article, reproduit plus bas, que j'écrivis à l'occasion de son décès, et pourquoi je le fais figurer dans la galeries des "Figures" du Scrutateur.
Cet homme remarquable, eut, bien entendu, comme chacun d'entre nous sa grandeur, et ses manques.
Ses amis auront une pensée particulière pour lui, et, s'ils sont chrétiens, sans doute l'honoreront-ils d'une petite prière.
E.Boulogne.
Luigy COLAT-JOLIVIERE .
J’avais douze ans, et je ne me résignais pas du tout, enfant rêveur et secret, à quitter ce que l’on appelle, par habitude, le paradis de l’enfance.
C’était il y a longtemps, plus de 35 ans, à une époque où, aux limites du vieux Pointe-à-Pitre, l’antique lycée Carnot où je paressais, quasiment le seul établissement préparant au baccalauréat pour toute la Grande terre rassemblait une élite de professeurs de légende pour des générations d’élèves : MM. Fléret, Borguetti, Ferly, Dessout, Paolantonacci, Robert Pierre-Justin. Le souvenir de Timotée Oriol et de Lénis Blanche était encore très vivace.
Je traversais, je l’ai dit, une période de doute, d’incertitude inquiète, d’insignifiance. J’eus la chance pour en sortir, me semble-t-il, de rencontrer cette année là deux personnes bien remarquables. La première fut le père Bernard de Lépinay, aumônier du lycée, prêtre cultivé, fervent, le contraire d’un démagogue, et pourtant, (pour cela ?) sympathique, inlassable aussi. La seconde fut Luigy Colat-Jolivière.
Il rentrait de Bordeaux où il avait fait des études de lettres, et Sciences-Po, avec Raymond Cipolin.
Pour une raison que j’ignore, le professeur de lettres fit brusquement défaut, et pour le remplacer, Luigy apparut un matin de la fin novembre, strict, costumé, cravaté, comme l’ont connu, jusqu’ à cette fin décembre 1989, ses nombreux élèves.
D’emblée ce fut une révélation.
Passion pour Flaubert, (oui, Flaubert, en 5ème) , Salambo ; pour Jacques Perret (celui du « Caporal épinglé », et surtout de la bête Mahousse, si délicieusement réactionnaire, Peyrefitte (Roger), surtout son cher Molière, et bien d’autres.
Strict, rigoureux, fringué, et merveilleusement anticonformiste.
Il y en avait parmi nous, tel Daniel Rinaldo, qui, pour un temps, flirteraient avec l’extrême gauche. Pas un toutefois qui ne fut séduit par la classe, la culture, le non-conformisme de leur jeune professeur.
Dès janvier, je fus invité à présenter à mes camarades un auteur de mon choix. A Noël, mon père m’avait offert l’œuvre de St-Exupéry dans l’édition de la Pléïade, que nul philosophe n’a depuis lors supplanté parmi mes livres de chevet.
Je présentai « Terre des hommes », et l’exposé fut, paraît-il convenable . Non seulement, le professeur, mais les camarades me le dirent, à cet âge où l’on est avare de compliments, souvent cruel, sans artifices, en quelque sorte innocemment. Je crois que Luigy ne contribua pas peu, à ce moment là, à me faire découvrir ma vérité ; et comme disait St-Exupéry dans le livre : « la vérité, pour l’homme, est ce qui fait de lui un homme ».
Au cours des 35 années d’amitié qui suivirent, nos caractères, si différents, nos divergences d’analyses parfois profondes sur les choses et sur les gens ne devaient jamais me faire oublier ma dette. Peut-être en acquit-il une aussi envers moi. Ainsi se fonde ce qui dure : dans la substance.
En 1958, ce fut la fondation du journal AVENIR, première esquisse de ce qui devait devenir Guadeloupe 2000. Luigy Colat-Jolivière en fut l’homme lige avec le père de Lépinay. J’y participai avec quelques autres qui ont fait leur chemin : Serge Feuillard, Luigy Gréco , Henri de la Réberdière, bien d’autres .
A la même époque, notre ami fondait la troupe théâtrale du Parthénon. Emile Isaac, déjà très âgé, (fils du grand sénateur Alexandre, fondateur entre autres du lycée Carnot de Pointe-à-Pitre), son épouse Armelle (née Hue), une foule de jeunes y participèrent, notamment Philippe Hérisson. L’on joua « L’honneur des Montvoisin » de Gilbert de Chambertrand, de même que les « Précieuses ridicules » de Molière, « Un mort est entre nous » d’Emile Isaac, « ces dames aux chapeaux verts » de Germaine Acremant, « lorsque l’enfant paraît » d’André Roussin, et surtout « Antigone » de Jean Anouïlh, dont le Créon (Luigy) nous a maintenant quitté, mais aussi la nourrice, Annick Roumigière trop tôt partie, et Nicole Noirtin, merveilleuse et tragique Antigone, fauchée en pleine jeunesse, comme il ne se devait pas, malgré le rôle !
Nous, qui nous en allons, l’irruption de la télévision, qui modifia de fond en comble les modes de sociabilités, la dispersion des acteurs, firent entrer peu à peu le Parthénon en hibernation, ainsi que la santé fragile de son inspirateur.
Dans Guadeloupe 2000, il tint permanence avec sa chronique des « Chevaliers de Karukère », où, mine de rien, avec un humour ravageur, parfois un rien provocateur, il commentait l’actualité, ceci jusqu’à la fin.
Ici, je m’arrête pour relire les lignes qui précèdent. Leur gaucherie m’apparaît en pleine lumière. Je n’y changerai rien parce qu’elle authentifie mon témoignage lui-même. Comment pourrait-on rendre compte des rapports si étroits qui furent les miens avec cet ami, si fréquents, depuis si longtemps.
Et puis, je l’imagine, lui, si peu bénisseur., si moqueur et ironique( par une double peur, sans doute, de la sensiblerie, et de la naïveté), penché sardoniquement sur mon épaule, comme au temps où il comptait les fautes d’orthographes.
Car il n’aimait pas les oraisons funèbres.
Je le revois et l’entends encore, Créon, sur la scène de l’ancien Cinéma-théâtre « Le Sélect », murmurer à notre chère Nicole-Antigone : Tu y crois donc vraiment, toi, à cet enterrement selon les règles ? (….)Tu leur as déjà entendu la réciter, aux prêtres de Thèbes, la formule ? Tu as vu ces pauvres têtes d’employés fatigués écourtant les gestes, avalant les mots, bâclant ce mort pour en prendre un autre avant le repas de midi » ?
Mon cher Luigy, le trois janvier (1990), à l’église de Massabielle, les paroles du père Serge Cyrille sur vous, n’eurent pourtant rien de tel, parole d’amitié, pleines d’émotion vraie et de talent, dignes de vous. Et si ma voix, lisant un poème en forme de prière, ne fut pas très audible, paraît-il, c’est que j’étais surtout préoccupé de ne pas « chialer », pour employer une expression que vous eussiez jadis censurée, impitoyablement, pour insulte au classicisme, et qui est pourtant le mot juste en l’occurrence.
Comment conclure ? Par St-Exupéry. En souvenir de ce jour lointain, il y a trente cinq ans, et parce qu’il dit dans ce texte dédié à Mermoz, mieux que moi-même, ce que nous sommes nombreux, parmi les lecteurs de Guadeloupe 2000 à éprouver pour vous : « Peu à peu nous découvrons que le rire clair de celui-là nous ne l’entendrons plus jamais, nous découvrons que ce jardin là nous est interdit pour toujours. Alors commence notre deuil véritable qui n’est point déchirant mais un peu amer. Rien en effet jamais ne remplacera le compagnon perdu. On ne se crée pas de vieux camarades. Rien ne vaut le trésor de tant de souvenirs communs, de tant de mauvaises heures vécues ensemble, de tant de brouilles, de réconciliations, de mouvements du cœur. On ne reconstruit pas ces amitiés-là. Il est vain, si l’on plante un chêne, d’espérer s’abriter bientôt sous son feuillage. Ainsi va la vie. Nous nous sommes enrichis d’abord, nous avons planté durant des années. Mais viennent les années où le temps défait ce travail et déboise. Les camarades, un à un, nous retirent leur ombre. Et à nos deuils se mêle désormais le regret secret de vieillir ».
Edouard Boulogne.
(3 janvier 1990).