Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
21 Décembre 2011
( Le
célèbre Agecanonix ).
Pas de politique, de polémique aujourd'hui, mais une proposition de méditation sur un sujet... délicat : la vieillesse. Je vous en propose deux approches. La première est de Bernard Pivot. La deuxième est du grand Platon lui-même, tel qu'il la propose au livre premier de sa République, et telle que l'a placée en exergue de son roman qui vient de paraître ( Le goût du lait sauvage. Éditeur l'Harmattan ) notre compatriote et ami Michel Rodigneau. L'on peut choisir, ou choisir de ne pas choisir en proposant autre chose, en commentaire par exemple.
Quant aux jeunes...! Hum. Ils auraient tort de trop s'esbaudir devant ces réflexions de « vieux », pas si vieux!
Le Scrutateur.
( I ) VIEILLIR selon Bernard Pivot.
Extrait de son livre
paru en avril 2011 : Les mots de ma vie
Extrait de son livre paru en avril 2011 : Les mots de ma
vie
Vieillir, c'est chiant. J'aurais pu dire : vieillir, c'est désolant,
c'est
insupportable, c'est douloureux, c'est horrible, c'est déprimant,
c'est
mortel.
Mais j'ai préféré « chiant » parce que c'est un adjectif vigoureux qui
ne
fait pas triste.
Vieillir, c'est chiant parce qu'on
ne sait pas quand ça a commencé
et l'on sait encore moins quand ça finira. Non, ce n'est pas vrai
qu'on
vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune,
si
appétissant. On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant.
Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c'était encore
très
bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j'étais encore plein de muscles, de projets,
de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps - mais quand - j'ai vu le regard des jeunes,
des hommes et des femmes dans la force de l'âge qu'ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J'ai lu dans leurs yeux qu'ils n'auraient plus jamais
d'indulgence à mon égard. Qu'ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m'en rendre compte, j'étais entré dans l'apartheid de l'âge.
Le plus terrible est venu des
dédicaces des écrivains, surtout des débutants. « Avec respect », « En hommage respectueux », Avec mes sentiments très respectueux ». Les salauds! Ils croyaient probablement me
faire
plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect? Les cons! Et du « cher Monsieur
Pivot » long et solennel comme une citation à l'ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus!
Un jour, dans le métro, c'était
la première fois, une jeune fille
s'est levée pour me donner sa place. J'ai failli la gifler. Puis la
priant
de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je
lui
étais apparu fatigué. « Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu,
embarrassée. J'ai pensé que. » Moi aussitôt : «Vous pensiez que.? --
Je
pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de
vous
asseoir. - Parce que j'ai les cheveux blancs? - Non, c'est pas ça, je
vous
ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ç'a été un réflexe, je me suis levée.--
Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous? -Non, oui,
enfin un peu, mais ce n'est pas une question d'âge. --Une question de quoi, alors? - Je ne
sais pas, une question de politesse, enfin je crois.» J'ai
arrêté de la taquiner, je l'ai remerciée de son geste généreux et l'ai accompagnée à la
station où elle descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement
c'est, dans la mesure du possible,
ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni
aux
livres, ni à la gourmandise, ni à l'amour, ni à la sexualité, ni au
rêve.
Rêver, c'est se souvenir tant qu'à faire, des heures exquises. C'est penser aux jolis
rendez-vous qui nous attendent. C'est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l'utopie. La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce. J'aimerais mourir,
rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l'adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l'andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront
à mes yeux pas même étonnés les paysages
sublimes de l'au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés. Nous allons prendre notre temps. Avec l'âge
le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous
ignorons à combien se monte encore notre capital. En années? En mois? En
jours?
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un
capital.
Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans
modération. Après nous, le déluge? Non, Mozart.
(II ) Et l'avis du divin Platon.
Où en es-tu, Sophocle, à l'égard de l'amour ?
Es-tu encore capable d'entreprendre une femme ?
Tais-toi, l'ami, répondit Sophocle ;
je suis enchanté d'être échappé de l'amour,
comme si j'étais échappé des mains
d'un maître enragé et sauvage.
Sa réponse me parut belle alors,
et aujourd'hui encore
elle ne me paraît pas moins belle.
Il est certain en effet qu 'à l'égard de ces troubles des sens,
la vieillesse assure la paix et la franchise complète.
Quand les passions ont perdu leur violence et se sont relâchées,
c'est à la lettre que le mot de Sophocle se réalise :
on est délivré d'une foule de tyrans forcenés.
« Conversation de Céphale et de Socrate
sur les ennuis de la vieillesse »,
Platon, La République.