28 Mai 2019
Ces jours-ci je suis fatigué de la politique. Très fatigué. Si fatigué que j'ai décidé ce soir de publier sur un autre sujet, dont je découvre, aussitôt que mon choix est fait, qu'il touche de près à ladite politique, et que dès lors Aristote avait bien raison de dire, qu'au fond « tout est politique ».
Mais il y a des degrés dans l'abjection, et je maintiens mon projet : nous poserons donc la question « Peut-on civiliser internet » ? Question qui me rappelle une célèbre boutade « il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ne de réussir pour persévérer ». Laissons donc nos pseudos « leaders » s'étriper sans espoir de les voir s'exterminer tous dans un immense holocauste.
D'autant plus que même si l'hypothèse se réalisait, dès demain il renaîtrait, de ces foutus gaillards, des flopées de petits politichiens de gauche, de droite, d'en haut et surtout d'en bas (« an ba, an ba », comme dit la chanson créole), roucoulants, aboyants, glapissants, tout comme leurs papas de tous les temps et de tous les pays.
C'est que la question que je vais poser renvoie à une question presque inaccessible à la pensée, selon le modèle célèbre de l'énigme de l'oeuf et de la poule.
Tant pis je refile mon problème au malheureux collègue Boris Razon. (Le Scrutateur).
Entretien : Peut-on civiliser Internet ? La réponse de Boris Razon (1), écrivain, journaliste, spécialiste des médias numériques.
Je ne suis pas certain qu’Internet soit un espace moins civilisé que les autres. Il me semble qu’il est surtout devenu le reflet d’une société soumise aux puissances de l’argent. Les dérives auxquelles on assiste sont d’abord le fruit de l’économie d’Internet. Une économie de l’attention développée par les réseaux sociaux qui favorise le clash, l’interaction permanente et l’irruption incivile.
De leur côté, les États transforment le Web en un terrain de guerre technologique, au risque de déstabiliser la géopolitique mondiale. Cette cyberguerre, menée à bas bruit, témoigne, elle aussi, de la perméabilité du réseau aux enjeux de pouvoir et de domination. Autant dire que nous sommes loin de l’utopie première d’Internet qui devait créer un monde meilleur, plus civilisé et respectueux des libertés.
Qui peut aujourd’hui réguler cet espace ? J’ai longtemps pensé que le Web était par essence incontrôlable. Cependant, lorsqu’on voit ce qui s’est passé pendant la campagne électorale américaine où, par le biais d’une opération de hacking et de propagande, on a réussi à manipuler l’opinion publique et à bouleverser des élections, il y a de quoi être troublé. On sent bien à travers cet événement, mais aussi à travers le scandale Cambridge Analytica et la question des données personnelles, qu’il y a eu un moment de bascule.
Même des grandes entreprises comme Facebook ou Microsoft appellent à la régulation, ce qui n’était jamais arrivé avant. Elles y viennent presque par nécessité vitale parce qu’elles sentent que l’étau se resserre dans un Web en évolution constante.
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Désormais, tout le monde semble engagé dans un processus de réglementation. Les plateformes collaborent entre elles et avec les États, en mettant en place des chartes pour lutter contre les propos haineux, mais on voit bien que ce n’est pas suffisant, et je ne suis pas certain qu’elles acceptent d’aller plus loin, en permettant par exemple l’accès à leurs algorithmes.
Officiellement, les États aussi sont d’accord pour réguler Internet. Dans les faits c’est plus compliqué. La tendance serait plutôt au statu quo et aux opérations discrètes destinées à s’armer, dans une stratégie de dissuasion. Sans une prise de conscience publique des risques de cette cyberguerre, une évolution à court terme paraît peu plausible.
Je ne suis donc pas très optimiste parce qu’Internet est devenu un espace très difficile à contrôler. Mais comme il est aussi une des clés de l’économie mondiale et un des éléments structurants de nos vies, la sécurité devrait devenir un des enjeux importants du réseau.
Il faudra sans doute un assemblage inédit d’États et de grandes entreprises pour y parvenir. Chacun, à son niveau, doit aussi réfléchir à ce que le réseau et les nouvelles pratiques qui y sont associées révèlent en nous et révèlent de nous.