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30 Mai 2014
Le Scrutateur publie ce matin deux articles sur des sujets ayant trait aux commémorations nombreuses en ce mois de mai, en Guadeloupe et en Martinique.
Il s'agit à nos yeux de tenter de s'élever au-dessus des criailleries des idéologues, pour accéder, dans la mesure du possible aux perspectives plus sereines des véritables historiens.
Le premier de ces articles est la réédition du débat publié dans l'hebdomadaire Le Courrier Guadeloupe, consacré au problème dit des réparations. Ceci pour ceux qui, parmi vous, ne l'auraient pas encore lu.( Louis Dessout, Alex Lollia, E.Boulogne, notamment y ont participé.
Le deuxième est un commentaire lumineux de la loi de 2001 sur l'esclavage crime contre l'humanité, dite Loi Taubira, par la grande revue Hérodote. ( Voir plus bas.
Nous vous souhaitons bonne lecture.
LS.
La loi Taubira (10 mai 2001) est à l'origine de la journée du souvenir de l'esclavage. Cette loi viole la connaissance historique. Et rate l'occasion de réunir les Français autour de leur Histoire commune.
http://www.herodote.net/La_traite_un_crime_contre_l_humanite_-article-17.php
[voir : La France malade de son Histoire]
Le gouvernement français a promulgué le 21 mai 2001 la loi n 2001-434 « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité » (*), à l'égal de la Shoah et des autres génocides du XXe siècle. Et le président Jacques Chirac a décidé d'instaurer une Journée des « Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions » le 10 mai, anniversaire du vote de la loi par le Sénat.
Cette loi, inspirée par la députée guyanaise Christiane Taubira, est pavée de bonnes intentions... qui, comme c'est souvent le cas, mènent en enfer ! Elle énonce dans son Article 1er : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité ».
On peut adresser à cet énoncé trois critiques majeures :
– L'esclavage ne se réduit pas à la traite européenne :
Le législateur condamne la traite atlantique « à partir du XVe siècle ». Cela ne concerne donc pas directement la France, qui n'a pratiqué la traite qu'à partir du XVIIe siècle, mais surtout l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas et l'Angleterre.
À côté de cela, il prend un soin maniaque à exclure de la condamnation la traite saharienne, pratiquée depuis plus de mille ans par les Orientaux, ainsi que l'esclavage pratiqué par les sociétés africaines elles-mêmes depuis plusieurs millénaires et plus généralement toutes les formes d'esclavage pratiquées par d'autres peuples que les Européens.
Faut-il en conclure, selon une morale aux relents discriminatoires et racistes, que l'esclavage et la traite sont des péchés mortels de la part des Blancs européens et des pratiques anodines dès lors qu'ils sont pratiqués par des Orientaux ou des Africains ?
– La loi pèche par anachronisme et ne dit mot de l'esclavage contemporain :
La loi Taubira apparaît stricto sensu « inutile » voire hypocrite puisque les auteurs des crimes qu'elle dénonce sont morts depuis belle lurette.
Elle prévient par avance toute mise en cause ou condamnation de l'esclavage contemporain, qui perdure et reprend vigueur dans la plus grande partie de la planète, en Afrique noire, dans la péninsule arabe ou encore dans le sous-continent indien. Un Occidental voudrait-il dénoncer ces formes d'esclavage ? On le renvoie honteusement à « son » passé. Les esclavagistes peuvent dès lors prospérer en toute tranquillité.
– La loi divise les Français :
Elle procède d'une tendance contemporaine à instrumentaliser l'Histoire pour satisfaire à bon compte les revendications communautaristes (Arméniens, Antillais, rapatriés d'Algérie...), au détriment de la recherche historique et de la concorde nationale. Elle offre un alibi commode à certaines personnes pour expliquer leur échec scolaire ou professionnel.
L'idée d'une « réparation » évoquée par certaines associations communautaristes ne manque pas de sel. Pourquoi des Français de métropole dont les ascendants n'ont jamais, ni de près ni de loin, participé à la traite devraient-ils s'y soumettre ? Et qui devrait bénéficier de ces réparations ? Les ressortissants des Antilles qui, dans leur immense majorité, cumulent les gènes des esclaves et des propriétaires d'esclaves ? Ou les Africains dont les ascendants ont participé à la réduction en esclavage de leurs congénères ?
Histoire raciale ? Histoire nationale ?
On eut aimé que la députée de Guyane se saisisse de la réalité de l'esclavage et de la traite pour bâtir une mémoire nationale propre à unir tous les Français au lieu de les diviser.
En stigmatisant l'esclavage et la traite pratiqués par l'ensemble des Européens et eux seuls, la loi Taubira racialise le phénomène et le réduit à une opposition entre Blancs d'Europe et Noirs, au mépris de la vérité historique. Elle oublie tout simplement aussi que la plupart des Français de métropole n'ont dans leur passé familial aucun rapport avec la traite atlantique tandis que la plupart des Français d'outre-mer métissés descendent tout à la fois d'esclaves, de propriétaires d'esclaves... et de trafiquants africains d'esclaves.
La loi aurait pu se cantonner à l'aspect national de ce crime, décréter que les Français condamnent solennellement la traite et l'esclavage pratiqués autrefois dans leur pays (sans s'occuper des autres) et rappeler les révoltes des esclaves de France contre l'injustice.
Elle aurait pu ériger les héros de cette résistance (Toussaint Louverture, Louis Delgrès...) au rang de héros français, au même titre que Louise Michel, Jeanne d'Arc et Honoré d'Estienne d'Orves. Autant de héros dans lesquels pourraient se reconnaître tous les petits Français sans considération de couleur ou d'origine.
Pouvons-nous suggérer aux pouvoirs publics de rapporter la commémoration du 10 mai non pas à la loi Taubira, paradigme de la « repentance » hexagonale, mais à la proclamation de Louis Delgrès (10 mai 1802) ?
Crime contre l'humanité ? Retour à la réalité
Le plus grave, sans doute, est que la loi Taubira se fonde sur une représentation stéréotypée du passé et tombe allègrement dans le péché d'anachronisme. « Est-ce que les Grecs d'aujourd'hui vont décréter que leurs ancêtres les Hellènes commettaient un crime contre l'humanité car ils avaient des esclaves ? Cela n'a pas de sens ! », lance à son propos l'historien Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 17 décembre 2005). Aristote et Platon justifièrent l'esclavage ? Criminels contre l'humanité ! Interdisons la lecture de leurs oeuvres! Voilà qui réjouira beaucoup de lycéens...
Allons jusqu'au bout. Déboulonnons la statue de Louis XIV, qui édicta le Code Noir. Proscrivons la lecture de Montesquieu, actionnaire de compagnies de traite. Débaptisons les rues et avenues qui portent les noms de George Washington et Thomas Jefferson, grands propriétaires d'esclaves ! Qu'importe que ces Américains d'une grande élévation morale aient sans doute mieux traité leurs esclaves que bien de leurs contemporains, en Europe continentale, ne traitaient leurs ouvriers agricoles !... Qu'importe enfin que le second ait rédigé la Déclaration d'Indépendance des États-Unis d'Amérique : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur » !
L'exposé des motifs de la loi Taubira survole l'histoire du continent africain en faisant fi de la prudence des historiens. D'un côté, il prend pour argent comptant des légendes et des hypothèses à l'état de friche. De l'autre, il accomplit le tour de force de ne pas évoquer une seule fois la traite transsaharienne pratiquée par les Arabes et l'esclavage pratiqué par les Africains depuis des millénaires !
Que nous enseigne une lecture plus précautionneuse de l'Histoire ? L'esclavage a été pratiqué à des échelles variables dans toutes les sociétés à l'exclusion des communautés de chasseurs-cueilleurs de l'Âge de pierre. Dans l'Antiquité, c'était le sort qui attendait ordinairement les prisonniers de guerre, qu'il eût été inhumain de massacrer et coûteux de nourrir en prison à ne rien faire. Au mot latin servus (qui a donné serf) s'est substitué le mot esclave. Celui-ci vient du mot Slave parce qu'au début du Moyen Âge, les Vénitiens vendaient en grand nombre des Slaves païens aux Arabes musulmans.
Les Arabes faisaient une grande consommation d'esclaves blancs aussi bien que noirs, qu'ils avaient soin de châtrer pour les maintenir plus facilement dans l'obéissance et les empêcher de se multiplier.
Au XVe siècle, les Espagnols et les Portugais sont entrés au contact des musulmans d'Afrique du Nord et ont commencé à leur acheter des esclaves noirs pour les plantations de la péninsule hispanique.
Aux siècles suivants, la colonisation du Nouveau Monde a suscité des besoins de main-d'oeuvre inédits. Les Européens ont alors fait venir des esclaves d'Afrique, où ils n'avaient guère de peine à trouver des vendeurs (marchands arabes ou roitelets noirs). La traite atlantique a seulement été possible parce que, sur les côtes du golfe de Guinée, des chefs africains se montraient désireux de vendre leurs propres esclaves aux navires de passage.
Assez vite, les souverains, le pape et l'empereur ont condamné l'esclavage mais sans succès faute de pouvoir sévir efficacement contre les planteurs et les négociants des Amériques. Aux Temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles), les gouvernements occidentaux, par une lâcheté habituelle en politique, ont choisi d'encadrer l'esclavage pour en limiter les abus à défaut de pouvoir l'interdire. C'est ainsi que Colbert et son fils, ministres de Louis XIV, ont rédigé le « Code Noir », lequel a été publié en 1685.
Dans le même temps, l'esclavage et la traite ont suscité le développement du racisme et le mythe de la supériorité de la race blanche. Des protestants anglo-saxons ont même emprunté aux Arabes musulmans le mythe biblique de la malédiction de Cham, qui prétend justifier l'esclavage des Noirs.
Puis, les élites éclairées d'Europe et des chrétiens (les Quakers) se sont mobilisés contre cette pratique indigne de la fraction la plus civilisée du monde. Ils s'en sont d'abord tenus au mode compassionnel pour éviter de compromettre les précieux approvisionnements en sucre, chocolat et tabac (à l'image de nous-mêmes qui déplorons les méfaits des compagnies pétrolières en Afrique noire mais évitons de les sanctionner pour ne pas compromettre nos approvisionnements en carburant).
Enfin, au début du XIXe siècle, les Anglais ont interdit la traite (autrement dit le commerce d'esclaves) puis l'esclavage proprement dit. Notons que la société occidentale est la première qui se soit élevée contre l'esclavage. Ajoutons que l'Europe de l'Ouest est la seule région du monde qui l'ait ignoré, entre le XVIe et le XXe siècle...
Sous des aspects très divers - travail forcé, services sexuels, vente d'adolescents (garçons et filles) -, l'esclavage demeure la pire forme d'exploitation de l'homme par l'homme... À éradiquer où que ce soit et par tous les moyens possibles. Est-ce pour autant un crime ? Un crime contre l'humanité ? Sans doute, dans certaines extrémités. Mais où s'arrête la frontière entre l'esclavage considéré comme « crime contre l'humanité », et l'esclavage considéré comme simple infraction au Code du Travail ? À ces questions, gardons-nous de répondre car il en coûte cher aujourd'hui, en France, de débattre d'un phénomène historique décrété « crime contre l'humanité ».
Laissons la conclusion à Frédéric Régent, historien de l'esclavage et de la Révolution, professeur à la Sorbonne : « Ce ne sont ni l'Occident, ni l'Afrique et encore moins la Nation ou la République qui sont responsables de l'esclavage, mais des hommes avides d'enrichissement et de pouvoir. D'ailleurs l'historien ne réfléchit pas en termes de coupables et de victimes, mais tente d'expliquer les phénomènes historiques. L'historien n'est pas le juge du passé. Il faut bannir toute idée de tribunal de l'histoire; ».
Joseph Savès