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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Tan nou, Ta yo! Contre ce relent de racisme! par ELOE.

Tan nou, ta yo! Contre ce relent de racisme!




( L'association « Tous créoles » nous envoie ce très beau texte. Il est écrit par un martiniquais. Mais tout ce qu'il dit concerne les Guadeloupéens. Là où il est écrit « nous autres Martiniquais », il suffit de penser « nous autres Guadeloupéens », et nous nous y retrouvons. A lire et à faire lire. E.Boulogne).





Le récent conflit qui a ébranlé la Martinique s'est accompagné d'un parfum de polémique raciale qui devrait interpeller chacun de nous, qu'il soit noir, métis, indien, chinois ou blanc. Le slogan « Matinik ce ta nou, ce pas ta yo », aux contours assez flous pour permettre à chacun de s'y projeter, a renforcé un sentiment de malaise, en réintroduisant dans nos imaginaires, les vieilles nuances de couleur de peau qui ont pendant longtemps structuré nos relations sociales.

Dans une société martiniquaise métisse par essence, comment définit-on le « Nou » et le « Yo » ? Mon «Nou» à moi, qui par exclusion définit le «Yo» à bânir, est-il le même que le votre ?

Que veut dire le « nou kay foute yo déwo » ? Quel est ce «dedans» et ce «dehors» par rapport auquel nous nous définissons, dans un monde en réseau, quand la Martinique produit un tiers de sa consommation, quand un tiers des martiniquais, nos frères et sœurs, vit ailleurs ?

Francis FUKUYAMA a écrit la fin de l'Histoire parce qu'elle ne fait plus que se reproduire. Nous sommes pris de vertige, en la parcourant, quand les peuples, oubliant ses enseignements, refont les mêmes erreurs.

Cherchons dans les leçons de l'histoire, l'exemple d'une régression raciale par oppression d'une minorité au sein d'une même nationalité, dans une période de récession économique, sous fond de révolte sociale ; nous la trouvons dans les débuts du régime de Vichy après la crise de 1929 et la défaite de 1940.

Le quotidien de France non occupée a d'abord changé, l'air de rien, par le contrôle des médias, au service d'une manipulation de l'opinion, sur la base d'un sentiment d'oppression, dans une situation économique et sociale en crise. Dans le discours ambiant, il fallait exacerber l'identité nationale pour reconstruire une nouvelle société, lavée de toute honte, en désignant un bouc émissaire, responsable de tous les maux, permettant d'expulser la cause du mal, de donner un sens à la souffrance sociale, de la transformer en injustice.

Le statut vichyssois de 1940 est alors présenté comme une réforme sociale et le racisme est au départ absent du discours politique... tout comme sa condamnation ! L'exclusion du bouc émissaire de certains emplois et fonctions publiques est d'abord présentée comme une mesure économique et sociale.

La tentation de l'enfer prend toujours les atours d'un discours séduisant parce qu'il en appelle à nos instincts, à la bête, en nous plutôt qu'à notre raison, plutôt qu'à cette aspiration à l'universel qui fait le propre de l'être humain.

Quand, à la saison des pluies, les antilopes se noient si nombreuses, au passage du guet, dans la savane africaine, les chacals et les hyènes se repaissent ensemble sans se soucier les uns des autres. Mais quand viennent les temps de pénurie, de famine, les uns et les autres se regroupent en espèces et finissent par s'entretuer.., ainsi va la sélection naturelle !

Blanc contre noirs, noirs contre indiens, indiens contre chinois, chinois contre tibétains, juifs contre arabes, arabes contre perses, serbes contre croates, turcs contre kurdes, tootsie contre hutus, tamouls contre cingalais... la liste des conflits ethniques est longue, l'hydre malfaisant du racisme est partout. Parce qu'une civilisation quelle qu'elle soit, ne peut pas tuer l'animal en nous, le danger est latent et ressurgit à chaque crise. Il y a en l'homme cette propension monstrueuse à la haine de l'autre qui nous poursuit comme le fil d'Ariane de notre histoire.

Notre histoire de la Martinique est celle des derniers Caraïbes contrains de fuir à la Dominique, des premiers blancs colons en recherche d'aventures, des noirs réduits en esclavage, des marrons en recherche de liberté, des métis en demande de citoyenneté, des indiens engagés après l'abolition, des chinois, des libanais en quête d'une terre meilleure, des alliances plus ou moins heureuses, plus ou moins assumées qui ont donné cette extraordinaire diversité des types, cette philosophie de la coexistence, cette variété des couleurs, cet imaginaire du langage, de Fart, de la cuisine, de la musique, de la danse, cette curiosité de l'autre qui font de notre façon d'être au monde, une singularité : « ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni le canon, mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre », écrivait Aimé CESAIRE.

Martin Luther King, confronté à l'obscurantisme racial du sud des Etats-Unis dans les années 60 disait que l'on ne combat pas l'obscurité par l'obscurantisme, en prônant la non violence et le respect de l'autre. Sans sa lutte pacifique, parce qu'elle ne laisse pas prise à la justification de la haine et de la violence, sans ces victoires obtenues contre un système oppressif, aurions-nous connu l'élection récente d'un Barack OBAMA ?

Aujourd'hui Barak OBAMA prône une société interculturelle, quand Jacob ZUMA, le nouveau président de l'Afrique du sud, a fait campagne sur le projet d'une société non raciale. Ces peuples aurait-ils été moins durement éprouvés par la ségrégation que notre Martinique, pour chercher dans la voie de la réconciliation, par l'accueil des bonnes volontés, le chemin de leur salut ?

Robert BADINTER, dans un discours emporté, lors d'une commémoration du Vél' d'Hiv', a dit que nos morts nous regardent, nous écoutent, quand nous parlons d'eux. Nous avons envers eux un devoir de mémoire, de vérité et de justice. En parlant de réparation, c'est au nom de nos ancêtres que nous nous exprimons. Mais cette réparation que certains appellent de leurs vœux ne serait-elle pas l'autre face de la même pièce de la société hideuse de la ségrégation?

A quoi ressemble notre posture de victime, quand nous nous érigeons en tribunal de l'histoire, au risque de nous en faire les bourreaux ? Notre devoir de témoins historique de l'oppression ne serait-il pas plutôt celui de la non violence. Parce que notre Martinique est née de l'oppression pour grandir dans la diversité, il est encore plus honteux de notre part de céder à la facilitée du racisme et de l'exclusion. Ceux-là même qui condamnent l'oppression dans le monde se fourvoient à provoquer ou à se faire complice, par leur silence, populiste ou craintif, des débordements raciaux, même individuels et isolés.

Michel GIRAUD écrivait que la tentation à la crispation identitaire prend racine dans le réflexe d'une identité propre, fermée sur elle-même, qui, en dépit des dénégations dont parfois elle s'afftible, ne peut-être qu'excluante parce qu'elle est exclusive... Le remède est pire que le mal! Le racisme sous ses différentes formes, parce qu'il est une négation de l'humanité dans ce qu'elle a d'universel, ne saurait être combattu qu'au nom de principes universalistes et par des mobilisations qui transcendent les communautés.

Qu'est-ce qu'être martiniquais aujourd'hui ? Etre né en Martinique de parent et de grands parents martiniquais ? Vivre en Martinique depuis plusieurs années ? Savoir parler créole ? Savoir cuisiner le migan ? Etre de la bonne couleur de peau, au bon moment, au bon endroit ? Ne pas avoir «l'air blanc» ?... Laquelle de ces tentatives de définition permet de s'y retrouver entre le « Nou » et le « Yo » ? Laquelle n'ouvre pas la voie à l'interprétation, aux erreurs et aux abus dont chacun représente un délit contre l'humain ? Laquelle ne court pas le risque d'une secrète conviction de sa supériorité dans la proclamation de sa différence, comme l'écrit la philosophe Tunisienne Hélé Béji ? A quand une commission du peuple, chargée de distinguer le vrai du faux parmi les candidats à la «martiniquité » ?

Que voulons-nous enseigner à nos enfants ? Qu'ils sont nés à Redoute, ont fait leur scolarité à Fort de France, leurs études à Schoelcher, leurs stages au Lamentin et qu'ils n'ont pas à s'inquiéter parce qu'en passant un concours protégé, ils occuperont à vie des emplois que nous leur auront réservés, parce ce qui ressemble à s'y méprendre à de la discrimination raciale?... Et cela dans l'ignorance d'un monde qui se globalise ? Dans lequel la taille critique permettant d'influer sur son propre devenir, se compte désormais en centaines de millions d'habitants ?

Ne devrions-nous pas plutôt leur apprendre qu'ils en valent autant que n'importe quel autre, qu'ils peuvent eux aussi conquérir le monde, se tourner vers l'universel, à partir de leur histoire, de leur culture martiniquaise et de cette volonté de tutoyer les meilleurs qui poussaient nos anciens vers le ciel ?

Au-delà de la pseudo justification historique, y a-t-il une réelle différence entre notre « Matinik ce ta nou, nous kay foute yo déro » et le «la France est à nous, nous voulons la préférence nationale» d'un Jean-Marie LEPEN, que nous exécrons ?

Prenons garde à ne pas nourrir à nouveau cette fleur vénéneuse qui a déjà rongé notre histoire pendant plusieurs siècles. N'y perdons pas notre âme,

A ceux qui rêvent de changer notre Martinique, je dis que la politique est un noble art, quand elle prend racine dans la force d'une conviction persuasive, à l'écoute de l'intérêt général. Mais il n'y a pas une seule forme de contrainte d'une minorité sur sa population, physique ou psychologique, même parée des meilleures intentions, qui ne rappelle la pieuvre du totalitarisme, avec sa volonté de priver l'individu de sa liberté de choix, de rééduquer les consciences, au risque de se tromper.

A ceux-là qui s'offusqueront en criant à l'infamie pour répéter à loisir que notre mouvement n'avait rien de racial je dis que l'on ne peut ignorer ses dommages collatéraux, je dis que le silence, la tentative d'explication, l'absence de condamnation, les positions frileuses face à certains débordements sont des positions dangereuses. Le racisme deviendrait-il moins condamnable, en voie de respectabilité quand il est exprimé par la jeunesse victimaire de nos quartiers défavorisés ? Ne lui devons-nous rien d'autre comme perspective que la désignation d'un Autre en bouc émissaire ; excuse facile à nos manquements ?

A ceux qui rêvent d'un épanouissement personnel, familial, amical, professionnel, social à la Martinique, pour eux et pour leurs enfants, je rappelle en note d'espoir que la société civile martiniquaise en particulier, au diapason d'autres ex-colonies, a été à l'initiative du combat sur les droit de l'homme et du citoyen au sein de la Révolution Française, par l'effort d'une classe sociale non possédante, en recherche d'égalité des droits. Ce combat pour l'égalité s'est poursuivi à la fin du XIXème siècle pour la mise en place d'une école pour tous, l'accession à la propriété, au service de la promotion sociale, d'une redistribution des cartes au sortir de l'esclavage, comme l'écrivent Elisabeth LANDI et Silyane LARCHER, respectivement historienne et politologue contemporaines martiniquaises. A ceux-là je dis que vivre en Martinique, être martiniquais ce n'est pas ignorer l'histoire pour les uns, la réécrire à sa manière pour les autres, c'est prendre le temps de l'apprendre, emprunter le chemin ardu de la connaissance pour savoir qui nous sommes, quels sont ceux qui nous accueillent ; pour ne pas ignorer les combats de nos ancêtres, pour leur en reconnaître le mérite en ce que leurs choix peuvent éclairer les nôtres. Nous voulons ainsi poursuivre, avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté, notre participation à la grande histoire de l'humanité,

ELOE.









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