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27 Avril 2009
« De la France, rien à dire : elle est moi-même et tout moi-même. Elle est pour moi l’espèce sainte, et la seule, sous laquelle je puisse encore communier avec rien d’essentiel en ce monde.(….) Je ne vous parle pas non plus des Antilles, qui, pour avoir profondément mêlé mon enfance à la vie animale et végétale des Tropiques, n’en demeurent pas moins pour moi de l’essence française, et la plus vieille ».
Saint-John Perse.
(Lettre à Archibald Mac Leish, du 25/12/1941).
En Guadeloupe, en Martinique, des minorités actives réclament la rupture avec la France, et l’indépendance politique. A les en croire, les « Isles » seraient des nations soumises depuis trois siècles et demi, à un colonialisme français particulièrement oppressif.
L’un des thèmes de cette propagande est l’idée d’une civilisation créole qui aspirerait à se libérer, et à constituer une grande nation caraïbe. Qu’en est-il de tout cela ?
La « créolité » est-elle un noyau irréductible à la civilisation occidentale, et sommes-nous devant le dilemme, soit de son éradication totale, progressive et sans douleur, et de son remplacement par des coutumes et mœurs européennes ; soit d’un conflit qui se terminerait par un repli de la France.
A cet égard, malgré l’action psychologique et le matraquage qu’ils subissent depuis des années, très souvent à l’école et à l’université, mais aussi dans une certaine presse et sur des radios, les Antillais dans leur grande majorité restent attachés à l’idée qu’ils constituent un peuple avec des spécificités qu’il faudrait même développer, promouvoir (la créolité), mais en son fond substantiellement français.
Paradoxalement, c’est en Europe que la propagande contre l’idée d’une réelle francité dans les anciennes colonies de la mer caraïbe, pourrait prendre avec le maximum de chances. C’est que de 1635 à aujourd’hui, les Antillais vivent les yeux fixés sur l’Hexagone alors que dans le même temps, les métropolitains, mal instruits sur les îles, les considèrent, quand ils peuvent les situer géographiquement, d’abord comme des colonies et des îles à sucre, sous l’angle principal du rendement économique.
D’où l’utilité d’une information sur la créolité qui révélerait, croyons-nous, aux métropolitains, l’existence aux Antilles d’une culture à la fois originale, et française, anciennement et « substantiellement française » comme disait le Guadeloupéen Saint-John Perse. Une telle information devrait s’opérer, à notre avis, selon les grands axes suivants.
Il n’y a pas d’indigènes aux Antilles. En 1492, Christophe Colomb trouve des Caraïbes indiens venus d’Amérique du sud, peu nombreux et qui avaient éliminé physiquement d’autres amériendiens, les Arawaks, qui en avaient fait autant de leurs prédécesseurs, les Galibis.
Les Caraïbes en un siècle sont éliminés par les Européens, en particuliers les Espagnols. De la civilisation caraïbe, il reste peu de choses aujourd’hui : quelques mots du vocabulaire courant, quelques techniques de pêche, (par exemple la fabrication de nasses en osier), quelques objets rassemblés dans un musée, des collections particulières, quelques gravures sur pierre dans des sites archéologiques classés. Peu en tout cas qui subsiste dans les mœurs et l’âme antillaise.
C’est à partir de 1635, prise de possession officielle par la France que la créolité prend naissance.
La population non caraïbe est alors essentiellement blanche, européenne, venue tout particulièrement de Normandie, Bretagne, Picardie, Saintonge. Quelques « grands blancs », esprits aventureux ou cadets de famille en rupture de ban, mais surtout des « petits blancs » engagés pour trois ans (les 36 mois), qui peuvent devenir par la suite propriétaires d’un lopin de terre qu’ils cultivent.
Mais le climat tropical effectue des ravages dans la population blanche. Il est fait appel pour la seconder à des esclaves africains. C’est le début de la traite qui durera jusqu’au début du 19è siècle.
Les esclaves noirs viennent de régions d’Afrique et d’ethnies différentes. Ils ne parlent pas le même langage. Par ailleurs, pour éviter qu’ils ne se regroupent par ethnies et ne s’organisent pour d’éventuelles révoltes, ils sont soigneusement séparés, dispersés, et apprennent pour communiquer, non le Français, langue d’une élite, mais la langue la plus communément parlée par les blancs eux-mêmes, synthèse des parlers provinciaux des diverses régions de France qui fournissaient les contingents les plus importants d’immigrants.
Cette langue, qui évoluera évidemment, est le créole, langage oral essentiellement. Ceci est valable pour la Martinique et la Guadeloupe, mais aussi pour Haïti et aussi les îles qui furent d’abord françaises avant de passer sous domination anglaise, comme Saint Kitts, Sainte Lucie, la Dominique, Saint Vincent, et même dans l’océan indien, outre la Réunion, l’Ile Maurice, les Seychelles. Partout on y parle le créole, parce que partout le peuplement de base fut celui de métropolitains qui parlèrent ce langage.
Dans The Haïtian People, James G. Leyburn (cité par André Midas : Etudes sur le créole. Ce texte m'avait été communiqué par mon ami M. Guy Cornély) écrit : "Le créole n’est pas, comme on le croit généralement (…) une forme dégénérée du Français qui apparut lorsque d’ignorants esclaves essayèrent d’apprendre et de parler une langue nouvelle. Au contraire, c’était déjà une langue lorsque les esclaves furent introduits à St-Domingue. Le créole vient des boucaniers. Au 17è siècle, le Français de l’Ile de France n’avait pas encore supplanté les dialectes des provinces ; les boucaniers parlèrent leurs langage d’origine et comme les marins normands étaient beaucoup plus nombreux que les autres, le normand devint le langage dominant des boucaniers français. Des mots des patois voisins des provinces françaises de Picardie, de Bretagne et d’Anjou s’y ajoutèrent naturellement, mais le Normand demeurera la base du langage ».
Bien entendu, un apport lexical africain vient se surajouter (mais faible, comme le rappelait récemment sur RFO-Guadeloupe un spécialiste du créole, à l’issue d’un congrès sur le créole).
Les Africains, qu’on le regrette ou non, furent vite assimilés par la société créole dans laquelle ils débarquaient, et par le christianisme alors conquérant grâce à des missionnaires très actifs.
Plus tard, après 1850, quand une ethnie nouvelle, indienne en provenance de Calcutta et de Pondichéry vint s’ajouter au kaleïdoscope antillais, le même processus extrêmement rapide d’assimilation eut lieu en deux générations, comme le signale l’universitaire Singaravelou dans sa thèse de doctorat : Les Indiens de la Guadeloupe.
Que les noirs originaires d’Afrique et les Indiens aient ajouté à la société créole une part importante des cultures qui étaient les leurs, c’est ce qu’il ne saurait être question de nier. Mais ce qu’il importe de souligner c’est que le creuset fut et demeure français et européen.
Sur le plan de l’histoire du peuplement, la créolité c’est aussi, toujours dans le même processus, l’assimilation de groupes importants de Syriens, de Libanais et d’Italiens. L’aspect proprement français, national français, avec quelques excès parfois, se développe surtout avec la Révolution française de 1793. C’est à cette époque et surtout après la deuxième abolition de l’esclavage en 1848, que le Français tend à s’imposer par l’instruction publique, comme dans tout le reste de la nation française. Il est vrai que, comme aussi dans l’Hexagone, le parler créole sera déprécié par les enseignants. N’est-ce pas l’abbé Grégoire, le Conventionnel, qui le 30 septembre 1793 s’écriait devant le Comité de l’instruction publique : « … Ainsi disparaîtront peu à peu les jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale. Car, je ne puis trop le répéter, il est plus important qu’on ne pense en politique d’extirper cette diversité d’idiomes grossiers qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés ».
De plus en plus, tout au long du 19è siècle, l’idée d’assimilation politique, qui ne sera juridiquement consacrée qu’en 1946, fait son chemin. En 1874 par exemple, le Conseil Général de la Martinique vote un vœu en ce sens. Au 4è chapitre de son livre La vie quotidienne aux Antilles françaises au temps de Victor Schoelcher (Hachette), madame Liliane Chauleau développe ce point de vue. Sans doute la créolité, c’est aussi la sensibilité née de l’économie de plantation et de la vie sur les plantations.
L’esclavage ne fut pas que, ni même principalement cette accumulation d’excès sur lesquels insistent souvent des historiens « engagés ». Il fut un mode de vie, certes injustifiable sur le plan moral, du moins dans l’optique du christianisme, mais qui peut s’apparenter par certains côtés au système féodal et patriarcal du moyen âge. Dans cette société hiérarchisée, l’homme blanc occupait le sommet. Il était le modèle, à la fois admiré, envié, et parfois détesté.
De cette situation, il demeure aujourd’hui encore d’importantes traces. Il y a dans l’âme antillaise une grande sensibilité, disons même susceptibilité. L’homme antillais de couleur est plus facilement porté à croire qu’un geste de dédain, de colère ou d’abus à son endroit est engendré par la considération de son épiderme par son interlocuteur alors même qu’il n’en est rien. Il y a même une ambivalence en lui à l’égard de l’homme blanc, à la fois aimé, imité, et détesté.
Ailleurs, le contentieux est entre catholiques et protestants, entre ouvriers et bourgeois. Ici et là, ces antagonismes doivent être surmontés. Les « bleus à l’âme », du fait des secousses de l’histoire, doivent être soignés et guéris. L’avenir des Antilles peut être envisagé dans l’optique des séparatistes, de ceux qui, peu nombreux, jouent sur les ambivalences dont il était question plus haut, dans l’espoir d’une explosion. Dans cette perspective, l’exploitation de tous les antagonismes de la vie quotidienne dans une perspective raciste tient lieu de programme politique.
Une autre hypothèse est réalisable, celle d’une intégration toujours plus grande, non réductrice des spécificités, à la nation française. Cette deuxième voie est celle qui me semble-t-il, flatte le plus profondément les fibres intimes de l’âme des antillais français.
Pour approfondir.
Liliane Chauleau : La vie quotidienne aux Antilles françaises au temps de Victor Schoelcher (Hachette).
Guy Hazaël-Massieux : Les créoles. Problèmes de genèse et de description (Publications de l’Université de Provence).
Robert Chaudenson : Les créoles français (Fernand Nathan).
J. Bernabé, P. Chamoiseau, Raphaël Confiant : Eloge de la créolité (Gallimard).
Michel Leiris : Contacts de civilisation en Guadeloupe et en Martinique ( Unesco. NRF).
Pierre Souquet-Basiège : Le malaise créole (Ibis Rouge).
Edouard Boulogne : France, garde-nous (Albatros).
Edouard Boulogne : Libre parole (éditions Guadeloupe 2000).