7 Mai 2014
Les Guadeloupéens le savent, le lycée Poirier de Gissac à Sainte-Anne, vient de changer de nom, pour prendre celui qu'on lui a donné, celui d'Yves Leborgne.
Yves Leborgne fut un professeur de philosophie d'une génération antérieure à la mienne, au vieux lycée Carnot de Pointe-à-Pitre. Il fut aussi, très actif en politique, et certains même ( voir ci-dessous ) le qualifient d'activiste.
En ce temps là, à la fin des années 50, M. Leborgne militait pour l'autonomie de la Guadeloupe, c'est-à-dire pour l'autonomie, « première étape vers une indépendance à contenu socialiste » ( sic ).
Ce militant ardent était inscrit au parti communiste dont il démissionna pour cause de « tiédeur » idéologique ( du PCG ). Par ailleurs, Yves Leborgne, était fonctionnaire de l'Etat. Il avait comme tant d'autres la liberté de ses opinions et celle de les manifester publiquement, ce dont il ne se privait pas.
Peut-être confondit-il un peu trop la liberté d'opinion, et celle de les proposer dans le cadre de ses activités d'enseignement. Toujours est-il, nous vivions alors, une époque difficile, en cette fin de la guerre d'Algérie, qu'en vertu d'un décret ( aujourd'hui aboli ) il fut déplacé, en tant que professeur, de Guadeloupe vers un lycée de Corse, puis ailleurs en métropole.
Yves Leborgne, qui avait démissionné du parti communiste ( pour éviter peut-être d'en être exclu ), refusa la situation qui lui était faite et prit divers moyens pour faire plier l'administration et l'obliger à le restituer au pays natal. Il fit la grève de la faim, en un temps où cette action non encore rodée, balisée, n'était pas encore un acte de « communication » sans risques, médicalement suivi, et promoteur assuré des revendications les plus baroques, et des renommées les plus glorieuses.
Yves Leborgne au début des années 70 revint au pays, nommé au lycée de Baimbridge, puis inspecteur d'Académie.
Est-ce le fruit de l'âge, son activisme fut moins ardent, ses détracteurs disent même qu'il avait disparu, accablé d'honneurs.
Je n'ai pas eu M. Leborgne comme professeur. Toutefois nous nous connaissions bien que ne naviguant point dans les mêmes eaux. En 1979, professeur dans la discipline qu'il avait pratiquée, je reçus sa visite en qualité d'inspecteur pédagogique, et je n'eus pas à m'en plaindre. Nos échanges furent courtois, et si nous évoquâmes le passé, ce fut de façon feutrée, dans un demi sourire constant.
Il y a dix ans, je participai, invité par un ami commun, à la cérémonie d'hommage qui lui fut consacrée, organisée a la Maison départementale du Gosier, sur le morne Fleur d'épée.
Je fus le seul dans l'assemblée de ceux des Guadeloupéens dont on peut penser que je suis un représentant modeste.
Il parut surpris de me voir, mais ne se départit pas de sa courtoisie, teintée d'un humour particulier.
Il devait mourir, d'une longue maladie, six mois plus tard.
Le choix de son nom pour le nouveau baptême du lycée Poirier de Gissac, me surprit.
Yves Leborgne ne manquait pas de mérites. Mais, parmi tous les enseignants ( et il n'y a pas que des enseignants à pouvoir être les éponymes d'un lycée ) était-il le plus apte à figurer en tête de liste?
Ou bien, les choses étant ce qu'elles sont, et, comme le Scrutateur le déplore sans cesse, le désordre croissant, était-ce le militant séparatiste que « certains » avaient voulu honorer?
Toujours-est-il que je m'apprêtais à faire silence sur ce choix discutable. « Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs », et je m'apprêtais, une fois n'est pas coutume, à observer, sur ce fait, un silence pieux.
Plusieurs me l'ont reproché. Et ce matin un ami m'a fait parvenir cette coupure de presse extraite de France Antilles. Un certain Jacques R s'exprime en ces termes que je reproduis :
« Une île très idéologue d'extrême gauche ? ( Le titre est de France-Antilles )
Jacques R : « De Gissac n'était pas un ange. Mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'une fois encore, on inculque une image politique obsolète et très orientée idéologiquement bien que très éloignée des réalités de la population. Cet activiste très impliqué dans la période "chaude" et violente de certaines revendications ultra marxiste-léninistes est-il un digne représentant des valeurs que la République doit mettre en avant aux frontons des lycées ? En douce, tous les anciens de cette période se placent et continuent à influencer cette société déjà bien naïve et bien mal en point. Regardez qui dirige le projet de ce si utile et ruineux Mémorial Bidule et recherchez son passé... On fait de la manipulation, idéologique active et l'Administration qui n'y prête pas attention (ou ???), laisse faire ce genre de dérives puériles et rétrogrades » .
On le voit, ce Jacques R, que je ne connais pas, exprime fermement ce qu'à tort, peut-être, je me proposais de taire.
On aura noté qu'il étend son propos à d'autres aspects de la vie quotidienne, et même à ce Mémorial de l'abolition de l'esclavage, qui s'étend sur l'ancien site de l'usine Darboussier, à l'entrée du port de Pointe-à-Pitre, et dont les proportions pharaoniques ne seraient pas aussi importantes, toutefois, que le flux des euros, qui, par dizaines de millions rendent, en s'écoulant, bouillonnant dans la corne d'abondance, ce son métallique si cher au Harpagon du grand Molière.
Âme d'Yves Leborgne, est-ce ce que vous aviez voulu dans votre idéalisme ( nonobstant votre Marx )?
Est-ce la mélopée que vous aviez rêvée d'entendre s'élever, le soir, et dans les bois, au son du KA ?
Edouard Boulogne.