Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
23 Septembre 2011
Il y a deux jours, je publiais, ici même, un article sur l'une des significations des récents incidents qui ont émaillé la décision d'un lycée du Lamentin ( Guadeloupe ) d'exiger des élèves une tenue correcte à l'intérieur de l'établissement scolaire ( http://www.lescrutateur.com/article-desordres-lyceens-en-la-commune-du-lamentin-en-guadeloupe-le-20-septembre-2011-par-edouard-boulogn-84887322.html ).
Une lectrice, jeune enseignante, m'envoie ce document qui vaut son pesant d'or ( à défaut d'euros ), et qui conforte mon analyse, hélas! On pourrait l'intituler Platon, reviens!
E.Boulogne.
Ecole ! Faites entrer la Cour…
Elodie est professeur d'anglais dans un collège de Roubaix. Chaque jour, ses cours sont
perturbés par la sonnerie des téléphones portables d'élèves : « Et il n'est pas rare qu'ils
décrochent et se mettent à converser avec leur correspondant ! » Pour les contraindre à
éteindre leur mobile avant d'entrer en classe, elle a pris l'habitude de confisquer l'objet du délit
dès qu'il se met à carillonner. Une décision de bon sens qui risque pourtant de la conduire
devant un tribunal pour atteinte à la propriété privée ! Car la prof n'est pas seulement sévère,
elle est... « hors la loi ». C'est ce qu'affirme l'avocate Valérie Piau, fraîchement spécialisée
dans le droit de l'éducation, qui publie cette semaine un livre stupéfiant ("Les Droits de
l'élève, à l'école, au collège et au lycée", François Bourin éditeur), prodiguant des conseils
aux parents d'élèves souhaitant se « défendre juridiquement » contre ces profs qui « ne
respectent pas la loi ».
Un 5/20 ? Une heure de colle ? Un redoublement ? Des modèles de lettres placés en annexe
permettent d'organiser la riposte judiciaire. A la famille dont le fils prodige s'est vu retirer le
portable, Me Valérie Piau propose un courrier outré qui n'a plus qu'à être « copié-collé », puis
envoyé au chef d'établissement : « Cette confiscation est illégale, car elle porte atteinte au
droit de propriété et n'est autorisée par aucune disposition du code de l'éducation. Nous
émettons toutes réserves concernant d'éventuelles dégradations et utilisations frauduleuses
que nous pourrions constater lors de la restitution de l'appareil, dont vous avez l'entière
responsabilité en tant que gardien. En conséquence, nous vous remercions de bien vouloir
restituer immédiatement le téléphone à notre enfant. A défaut de quoi, nous serions contraints
d'envisager des suites à cette affaire afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi (perte de
la valeur du portable, coût de l'abonnement...). »
Des parents d'élèves qui contestent les décisions des enseignants, il y a longtemps que les
proviseurs ont appris à faire avec. Mais la publication d'un ouvrage les incitant à se tourner
vers la justice, voilà qui constitue « un tournant », affirme Claude Lelièvre, historien de
l'éducation. Ou plutôt, précise-t-il, « une accélération d'un processus en marche depuis
quelques années : la judiciarisation des relations entre les familles et l'école ». La faute
revient d'abord... aux tribunaux. Pendant des siècles, les juges ont pris soin de ne pas entrer
« à l'intérieur » des établissements scolaires, en refusant de juger de la légalité des règlements
intérieurs. Mais tout a changé avec l'affaire des jeunes filles voilées de Creil en 1989 : « En
affirmant que le tribunal administratif était compétent pour statuer sur la régularité d'un
règlement intérieur, le Conseil d'Etat a ouvert une brèche. » Dans laquelle les parents d'élèves
n'ont pas hésité à s'engouffrer ! Selon les statistiques dont Claude Lelièvre dispose, le nombre
de plaintes de familles à l'égard d'un membre de l'Education nationale a été multiplié par
quatre entre 1996 et 2006. Au panthéon des affaires les plus cocasses soumises à
l'appréciation du juge : des parents qui estiment que nettoyer le tag que leur fils a dessiné sur
un mur de l'école est une mesure « humiliante », ceux qui exigent l'annulation d'un emploi du
temps qui empêche leur rejeton de faire du foot le mercredi, ceux qui contestent l'exclusion
temporaire de leur chérubin qui a apporté une arme au collège, ceux qui hurlent à la
« discrimination » parce que leur fille n'a jamais dépassé la moyenne en maths...
Chargé des questions juridiques au SNPDEN, le principal syndicat de chefs d'établissement,
Pascal Bolloré s'inquiète de « l'augmentation des contentieux » que pourrait entraîner le livre
de Valérie Piau. Cette dernière se défend de chercher à judiciariser à tous crins : « En réalité,
je plaide très peu. Dans 99 % des cas, une lettre qui cite les bons textes et rappelle la
jurisprudence met suffisamment la pression sur le chef d'établissement pour que le problème
se règle. » Un mode de fonctionnement qui, s'il était généralisé, se révélerait contre-productif.
« Pour que l'école remplisse sa mission, il faut que l'enseignant établisse une relation de
confiance avec l'élève. Ce qui est impossible si les parents entrent d'emblée dans un rapport
de force », explique Armelle Nouis, chef d'établissement et auteur d'un ouvrage (Le Collège à
bras-le-corps, Des îlots de résistance) invitant familles et enseignants à travailler davantage
ensemble dans un « esprit de dialogue ».
Evidemment, puisqu'elle se place résolument du côté de l'enfant et de sa famille, Valérie Piau
peut compter sur le soutien aveugle des représentants de parents d'élèves. Jean-Jacques
Hazan, le président de la FCPE, se réjouit qu'un livre « rappelle enfin que les professeurs ne
traitent pas toujours leurs élèves avec le respect auquel Us ont droit en tant que justiciables
comme les autres ». Du côté des profs, on dénonce la partialité de l'auteur. « En le lisant, on
croirait que nous sommes tous des despotes qui abusent de leur pouvoir quotidiennement et
en toute impunité », s'agace Claire Mazeron, vice-présidente du Snalc, l'un des syndicats
d'enseignants. Plus grave, la jeune syndicaliste pointe, chez l'avocate, une tendance à exonérer
son jeune client de toute responsabilité : « Pour l'auteur, l'enfant est toujours innocent et le
prof, coupable. L'élève viole une règle en téléphonant en classe, mais c'est le prof qui est hors
la loi parce qu'il le punit ! »
Vous avez dit « enfant roi » ?
Anna Topaloff
"Marianne"