Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
10 Décembre 2010
Ce beau conte de Noël m'avait été donné, en 1983, pour la revue Guadeloupe 2000, où il parut en effet. Notre ami René
Radégonde, son auteur, nous a hélas quitté depuis, et c'est en reconnaissance pour cet homme courtois, cultivé, chargé de mémoire et de souvenirs que je réédite aujourd'hui, en cette veille de
Noël 2010, cette belle histoire :
DES ABEILLES, BATISSEUSES D'EGLISE.
(Conte antillais pour veillée de Noël).
Conte de Noël : Des batisseuses d'Eglises
(conte antillais pour veillées de Noël).
Lorsque le Père GALIRON prit possession de cette importante paroisse de la Colonie, il avait tout de suite remarqué que des abeilles voletaient ça et là, entre la corniche nord du bâtiment et le
bas des tôles qui recouvraient le toit du Presbytère.
Venu du Gâtinais où il avait vu ses parents élever et exploiter des ruchers, il se proposait de consacrer l'essentiel de ses loisirs - s'il en avait -à "chouchouter" ces intéressantes bestioles. Déjà, il pouvait observer, non loin de là, un morne couvert de campêches et d'acacias, où ces butineuses devaient aller puiser le délicieux nectar qui était, sans doute, là-haut. Hélas ! peu de temps avait suffi pour qu'il se rendît compte que le berceau de son rêve touchait à son tombeau... Pour atteindre ces "cassaves" aux alvéoles gorgées de miel, il faudrait ou bien couper les tôles par dessus le toit, ou bien entailler les lambris qui protégeaient le grenier.
Or, ni l'un ni l'autre chose n'étaient pensables. Il en était donc venu à considérer ces abeilles comme faisant partie de son univers quotidien tout comme SHERIF le matou, BAROUDEUR le chien ou BAVARD le vieux cheval grisonnant qui avait porté plusieurs prêtres avant lui, au chevet des malades, au loin dans les campagnes.
Deux années déjà s'étaient écoulées depuis qu'il était Curé de cette paroisse. A son arrivée, on l'avait prévenu que les
habitants de cette commune n'étaient pas tous des "Enfants de Choeur". Non pas qu'ils fussent athées ou mécréants ; au contraire, il y avait au sein de cette population une pratique religieuse de
tradition, mais qui se manifestait avec la plus grande fantaisie. Il s'en était bien aperçu : A certaines fêtes liturgiques, c'était la grande foule ; alors qu'à certains dimanches ordinaires ils
étaient peu nombreux, à venir aux offices.
Cette année-là, il avait obtenu de l'Evêque du diocèse l'autorisation de supprimer, à Noël, la Messe de minuit. Il avait remarqué, disait-il, que les fidèles des deux sexes venaient recevoir la
Communion après avoir participé à des beuveries et à des mangeailles pour le moins, incongrues.. Il n'y aurait donc qu'une seule Grand' Messe, le matin du 25, à neuf heures.
A cet effet, il avait confié à Augustin, le sacristain et à Irène, la ménagère, de procéder à une toilette soutenue de l'Eglise. L'encensoir, les chandeliers, les lustres, tout ce qui était
cuivre ou maillechort devait briller du plus vif éclat. Entre temps, une nouvelle désagréable lui était parvenue : les fidèles et tous les autres refusaient en bloc la suppression de la Messe de
minuit. Les autres, c'étaient les commerçants du Bourg, les tenanciers des bistrots, les marchandes de gâteaux, de cacahuètes et de "grabiots". De bouches à oreilles, une adroite propagande était
menée pour le "boycott" systématique de la Messe du Jour.
Le jour venu, il commença sa messe avec 42 assistants, vieillards et enfants compris. Le refus était quasi-total ; même les
filles de la chorale avaient boudé la Messe. Son amertume était grande. Mais, ce premier écueil sur lequel venait d'achopper son sacerdoce, ne devait point le catastropher outre mesure. Il était
jeune, ouvert, patient, il savait que l'imposture contre l'Eglise n'est jamais qu'une condamnation de soi-même et que l'Eglise en était toujours sortie victorieuse. Il commença et continua sa
Messe avec calme et sérénité. Il était à la fin du Pater, quand, soudain, il vit tous les assistants se jeter à genoux, se relever et sortir précipitamment des bancs. Il comprit tout de suite que
ceux qui s'en allaient ainsi n'étaient point des contestataires, mais des apeurés, des inquiets... "Que se passait-i?." Encore quelque gaffe, sans doute ".
Il rejoignit en hâte Augustin et Irène qui, eux aussi, avaient fui vers la sacristie. Il les trouva tout tremblants de peur, en compagnie d'un troisième larron qu'il n'avait jamais vu. C'est
alors qu'Augustin lui expliqua : Hier, vers les 17 heures, il voulait passer un chiffon imbibé d'alcool à brûler sur le visage des statues. Arrivé à celle de St Joseph, l'échelle sur laquelle il
avait grimpé, glissa contre le mur et cassa, en tombant, le bras droit de la statue de St Joseph. Pris de peur panique, il ne savait comment réparer ou avouer sa maladresse. Alors, il se rappela
qu'à la sortie du Bourg, habitait un certain Emmanuel, appelé communément Mano : et dont tout le monde disait :"Mano ka samme Saint-Joseph". Lui-même. Augustin, avait constaté cette étrange
ressemblance. Il alla donc trouver Mano et lui demanda de remplacer, au pied levé, pour la durée de la Messe la statue abimée. "Ouaille ! avait crié Mano. ça ké in pé raide". Mano n'avait jamais
mis les pieds dans une Eglise : cela lui paraissait une tâche monstrueuse. Mais, il y avait au bout les cinq francs qu'Augustin lui offrait pour, seulement, rester immobile une heure ; il.
accepta donc l'entreprise avec tous les risques qu'elle comportait.
Bien avant 8 heures, le 25 au matin, Mano était rendu à la sacristie. Il aida Augustin à porter la statue dans une armoire, au bas du clocher. Puis, il revêtit une tunique blanche à rayures
mauves qu'Irène avait remaniée pour la circonstance. Il prit dans sa main droite le lys blanc cueilli le matin même dans la cour du Presbytère et il s'installa sur le socle, resté vide dans la
Chapelle.
Tout semblait bien se passer. On était déjà aux trois quarts de la cérémonie, lorsque, subitement, les choses se gâtèrent. Et Mano explique comment :
Avant de quitter sa maison, Mano avait jugé sage de prendre un copieux "didico". C'était une bonne ration de farine de manioc mélangée à du bon sirop de batterie. De peur d'être en retard, il
n'avait pas lavé convenablement son visage. Sa barbe n'était jamais rasée ; mais coupée aux ciseaux. Des grains sirupeux de farine lui étaient restés aux commissures des lèvres.
Tout-à-coup. survint une abeille. puis deux, puis trois. Mano extirpa doucement ; deux abeilles partirent ; mais la troisième, plus irrespectueuse, décida de "travailler à domicile". Tout de go,
elle se logea dans une narine de Mano. Celui-ci souffla de toute la force de ses poumons, tapa fortement l'insecte et s'enfuit vers la sacristie, par la petite porte de la chapelle. "- Vous
m'avez fait du beau, vous !" Jusqu'à ce matin, j'avais affaire à des égarés me voilà ; maintenant confronté à des faiseurs de miracle ".. cria le Père, en levant les yeux au ciel, comme s'il
prenait celui-ci à témoin. '
Puis, maîtrisant sa colère, il se tourna résolument vers les trois inconscients qui lui faisaient face et leur dit
Savez-vous que votre histoire idiote achèvera d'éloigner définitivement les gens de cette commune de la pratique religieuse ? Ils ne manqueront pas de croire que j'aurai cautionné votre rapide
action. Et. jetant un regard vers le Tabernacle, il prononça tout bas : "- Demain, je dirai la vérité aux fidèles. Qu'ils me croient ou non, il ne me restera plus qu'à demander mon
déplacement".
"- Non, Monsieur l'Abbé, protesta Mano, vous ne partirez pas! J'ai à vous parler".
Etrange ! pensa le Père. Voilà un pauvre type, minable au point de se laisser travestir au sein de l'Eglise, pour quelques pièces de monnaie et qui semble, maintenant, s'opposer à mon départ. En
tout état de cause, ma qualité de Prêtre ne me laisse pas le droit de refuser de l'entendre. Il dit à Mano de s'asseoir. Il ordonna à Augustin de fermer totalement l'Eglise et envoya Irène
chercher un flacon de colle. Il colla soigneusement le bras de la statue et fit porter celle-ci à sa place restée vide. Puis, il rédigea un avis de messe en ces termes : Jeudi, 26 Décembre, 8
heures : Messe en l'honneur de Saint Etienne, martyr.
Le Curé de la paroisse donnera des indications sur l'incident survenu ce matin, pendant la Messe. Ses serviteurs étant partis, il se mit à écouter Mano, dans son plus pur créole "de cuisine" que
le Père Galiron comprenait parfaitement, il commença son récit :
" Monsieur l'Abbé, ma mère m'a toujours dit que j'ai été baptisé dans cette Eglise. Je n'ai jamais été à l'Ecole. Encore moins à l'Instruction Religieuse. J'ai une soeur que vous devez connaître
; c'est Judith, la vendeuse de cierges à l'Eglise". Notre père, en mourant nous a laissé une portion de terre de 3 hectares; c'est la colline que vous apercevez d'ici, en face de l'Eglise. Plus
tard, notre mère, à son lit de mort, nous a demandé de jurer que nous ferons don à la Cure de ce terrain, pour y bâtir une grande Chapelle, l'Eglise d'en bas s'étant avérée trop petite. Ma soeur
a juré. Moi, j'ai refusé de le faire. D'où une brouille mortelle entre nous depuis vingt ans. J'ai reçu des offres mirifiques de la part des "Békés" et de Société Industrielle ; Judith les a
toutes rejetées. Or, on ne partage pas un morne, impropre à toutes cultures. Seul, le sommet attire les constructeurs potentiels de chalet de plaisance..." Jusqu'à ce matin, ce litige existait
entre nous, attendant que le destin eût fait son choix, c'est-à-dire que l'un de nous disparût et que l'autre disposât de la terre, selon son gré. J'avoue que je suis entré dans cette Eglise dans
le but seul d'accomplir, contre paiement, une tâche presque impossible. Mais, dès l'instant où vous avez commencé votre Messe, vos paroles, vos chants, vos prières, sans les comprendre, ont
pacifié en moi les instincts mauvais et préconçus que j'avais en entrant. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi il y avait si peu de gens à assister à de si belles choses. Je trouvais votre
calme, votre patience admirables, devant les bancs vides". Or, la venue de ces impertinentes abeilles a tout gâché ; j'ai donc décidé de réparer le tort que tous trois, nous vous avons fait. Je
veux vous aider".
Vous devez trouver bien absurde qu'un jean-foutre de mon espèce parle d'aider un Prêtre. Mais, attendez !
Demain, vous aurez une foule nombreuse à votre Messe. Il y aura les fidèles, il y aura les froussards, il y aura les curieux. Vous dénoncerez publiquement notre supercherie qui vous a fait tant
de mal. Puis, vous annoncerez à tout ce monde-là que, d'accord avec sa
soeur, Mano, le renégat, Mano le vagabond, accepte de faire don à l'Eglise de la terre sur laquelle sera bâtie la nouvelle chapelle tant attendue..
L'an prochain, à cette même date, vous inaugurerez votre deuxième Eglise, par une magnifique Messe de Minuit - car vous la leur rendrez, leur Messe de Minuit ? - Ainsi, vous aurez définitivement
rétabli l'équilibre entre vos fidèles et vous. Vous aurez jeté dans un plateau de la balance votre esprit de tolérance; et les fidèles ne manqueront pas d'apporter dans l'autre, l'abstinence que
vous leur demandez, en cette nuit sacrée....
Trente années ont passé. Augustin était mort, Mano aussi. Irène, septuagénaire, regardant cette foule de pèlerins venus de tous les coins de l'Ile, assister au Chemin de Croix du vendredi Saint,
disait : "Hélas ! je ne peux plus monter là-haut ; mais, je n'oublie point le miracle qui a présidé à l'édification de cette chapelle. Les abeilles que l'on voit encore voler autour du Presbytère
y ont contribué pour une large part. Elles ont tissé de leur dard la trame d'une histoire de fous qui aura bien tourné...".
René RADEGONDE.