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29 Mars 2012
Dans le lit du fleuve
de
Natalie Henripin
Québécoise née à Paris en 1953, Natalie Henripin habite Montréal et exerce comme travailleuse sociale dans un hôpital de cette ville. Après de brillantes études universitaires, elle fait ses débuts artistiques dans la danse qu’elle enseigne aux enfants. Elle publie un premier recueil de poèmes en 2009 aux éditions Écrits des Forges : Dans le lit du fleuve. Un second recueil : De ce côté-ci du mystère, a vu le jour chez Carte Blanche à Montréal en juillet 2011. « Pouvoir m’émerveiller, dit-elle, fonde mon regard sur le monde. Saisir l’insaisissable grâce à l’écriture est l’acte par lequel je côtoie le mystère partout présent... »
L’une des caractéristiques de la poésie de Natalie Henripin est l’unité de ton exprimée par le titre même du recueil : Dans le lit du fleuve. Ce titre est la synthèse parfaite et manifestement voulue de la démarche de l’auteur. Ce lit du fleuve, en l’occurrence Le Saint-Laurent, qu’elle ne quitte que pour s’envoler en compagnie des oiseaux familiers qui le fréquentent et des nuages qui s’y reflètent, est d’ailleurs plus qu’un titre, c’est une invitation au lecteur à faire corps avec l’esprit des eaux et l’environnement granitique du fleuve constitué par les rochers qui le démarquent et le jalonnent, telles des notes dansantes de musique sur une portée turbulente. Et le premier texte, Muraille scintillante, donne d’emblée la tonalité générale et particulière de l’œuvre : une métaphore cosmogonique, filée jusqu’à l’extrême, sans déviation ni éparpillement.
Cette muraille ici, bien qu’elle ne soit point minérale puisqu’elle désigne dans ce poème précis l’avancée majestueuse du chemin qui marche, (c’est ainsi, précise l’auteur en note, que les Amérindiens désignaient le fleuve) auquel nous devons révérences et salutations, préfigure symboliquement la récurrence et la permanence sous-jacente de ces visages de pierre qui pointent leur fief à la crête de l’ombre avant d’être submergés par la montée des eaux, pour apparaître à nouveau quand s’amenuisent les fluides et se meut la lumière.
La précision et l’originalité des images de Natalie Henripin, le choix et l’agencement des mots, leur couleur, leur musicalité, leur objectivité transcendée, témoignent au plus haut point de la perspicacité sans faille du regard émerveillé qu’elle porte sur les éléments. Mais bien plus qu’un regard neutre proposé au lecteur, c’est à la perception de la signification métaphysique des épousailles mystérieuses du minéral et de l’aquatique, du ciel et de la terre, du végétal et de l’aérien, de l’ombre et de la lumière, du mouvant et de l’immobile, qu’elle nous convie.
À quoi servirait en effet de se contenter de décrire, de photographier, si précisément soit-il, la réalité des éléments et leurs corrélations secrètes ou leurs interactions dévoilées, si aucune élévation du cœur et de l’âme ne nous était sinon imposée du moins suggérée à travers la spontanéité d’élans méditatifs, à la limite du mysticisme ? L’expression poétique chez Natalie Henripin ne se contente pas de dire la réalité, visible ou cachée, elle la transfigure en nous projetant corps et âme au plus profond de son intimité. Car pour elle nous sommes aussi cette réalité. Nous en faisons partie et nous contribuons à la créer par le regard et par le verbe et ce faisant, nous nous modelons chaque jour nous-mêmes à son image et faisons corps avec elle.
Ainsi, du début à la fin du recueil, nous sommes, grâce au talent et à la subtilité expressive de l’auteur, en connivence permanente avec ces éléments, et leur évocation, légère et dense à la fois, leur unité de ton et d’essence, aux accents persiens – les envolées incantatoires en moins -, est sans conteste le signe que nous sommes en présence d’un talent poétique indéniable que ne renieraient ni Gaston Bachelard ni Francis Ponge.
Perceptible unité de ton, de thème et de style, mais aussi, autre caractéristique fondamentale, aspiration sans équivoque à la lumière. La poésie de Natalie Henripin est paradoxalement, dans ce recueil, une poésie solaire. Le fleuve et son lit de labour, élément aquatique par excellence, bien que personnage central et lieu géométrique de l’expression, sert non seulement de miroir à la clarté du ciel, mais en est le révélateur, pour ne pas dire le générateur essentiel. Peu de poèmes en effet sans une allusion implicite ou explicite à la lumière : depuis le scintillement du premier tableau en passant par les substantifs aussi nombreux qu’évocateurs : éclats, flambée, phares, feu, lueur, lumière, soleil, astres, fournaise, étoile, incandescence, braises, étincelles, clarté... et les adjectifs ou verbes : éclairer, lumineuses, étoilés, radieux, ensoleillé, solaire, lactée, aveuglantes, briller, nacrés... La poésie certes ne se résume pas aux seuls vocables utilisés, mais leur présence sémantique récurrente signe une dominante qui définit l’intention consciente ou inconsciente de l’auteur, dominante que renforce ici et amplifie par contraste le très riche champ lexical de l’ombre et de l’obscur.
Eau et feu, ombre et lumière, hauteur du regard et fugacité du flux, légèreté du nuage et dureté statique du granit, vol de l’oiseau et enracinement de la pierre, tantôt découverte, tantôt submergée... tels sont, entre autres, les constitutifs intrinsèques et symboliques de notre humanité. À ce titre, la poésie de Natalie Henripin n’est pas qu’un simple hommage aux éléments, c’est aussi et surtout un hymne vibrant à cette humanité. Une humanité authentifiée et sublimée par son éblouissant et exceptionnel talent de poétesse émerveillée.
Raymond Joyeux - Mars 2012