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20 Mai 2012
( Le plus récent, et très remarquable, numéro de l'hebdomadaire La France catholique, publie un entretien de Gérard Leclerc avec M. Hubert Védrine ( Paru le 08 mars 2012). M. Védrine est un homme de gauche, ancien ministre des affaires étrangères sous le gouvernement de Lyonnel Jospin, conseiller et collaborateur de François Mitterrand
C'est aussi un homme original, très différent des hommes du sérail politique actuel, à gauche comme à droite. Certains lecteurs de la France Catholique, dans les commentaires, le lui font remarquer d'ailleurs : « vous êtes plus gaulliste que socialiste ».
Quoiqu'il en soit j'ai trouvé son analyse de la situation très remarquable, et digne d'être portée à la connaissance des lecteurs du Scrutateur. Dans l'entretien les passages soulignés en Rouge l'ont été par moi. ( A lire ATTENTIVEMENT ).
E.Boulogne. ).
( Hubert Védrine ).
http://www.france-catholique.fr/L-aveuglement-des-elites.html
Gérard Leclerc dialogue avec...
entretien avec Hubert Védrine paru dans le n° 3109 de France Catholique, paru le 7 mars 2008.
vendredi 18 mai 2012
Quels enseignements avez-vous tirés de l’exercice des responsabilités ?
Hubert Védrine Par mes origines politiques, je suis à gauche – je dirais même « catho de gauche » - ce qui signifie croyance au progrès, au tiers-monde, à l’universalisme. Je n’ai jamais eu de problème avec les positions des socialistes lorsqu’ils étaient aux affaires.
Cela dit, après la fin de l’Union soviétique j’ai eu le sentiment que le triomphalisme occidental sonnait faux. Vous vous souvenez des thèses de Fukuyama, qui annonçait la « fin de l’histoire », l’entrée dans la gouvernance, la victoire des valeurs universelles de l’Occident. Puis il y eut la réplique de Huntington – sa thèse sur le « choc des civilisations » qui fit scandale chez les progressistes. Mais, dans les années quatre-vingt-dix, l’optimisme reste dominant : il semble que le monde constitue désormais une seule « communauté internationale » et même le très raisonnable président Bush disait qu’on entrait dans « le nouvel ordre mondial » sous direction américaine.
À cette époque, j’observe pour ma part que cette lecture est trop occidentale : les Chinois, les Arabes, les Israéliens ont une autre approche et les Russes n’ont pas disparu de la carte du monde.
Quand je deviens ministre en 1997, je sens un véritable décalage entre l’opinion dominante, surtout à gauche, et la marche du monde. De nombreux problèmes ne sont pas réglés et il y a de sérieuses oppositions entre les points de vue. Ce qui m’amène à penser que l’avertissement de Huntington est plus fondé que l’optimisme de Fukuyama : un affrontement entre civilisations ne peut pas être exclu, surtout pour ce qui concerne les relations entre l’Islam et l’Occident. Je sais bien que l’Occident est un concept douteux et que l’Islam présente des visages très contrastés et il est vrai qu’il y a eu pendant longtemps une indulgence américaine pour les islamistes. Je ne crois pas au choc Islam-Occident mais je me méfie énormément des petits groupes qui, de part et d’autre, cherchent le choc. Pour conjurer ce risque réel, il faut le prendre au sérieux.
A la même époque, je m’interroge aussi sur le concept de « communauté internationale » : c’est une aspiration sympathique mais est-elle pour autant réalisée ? Pas plus que la Société des nations après la première guerre mondiale ou les Nations unies que l’on célèbre alors que, dès 1947, le monde entre dans la guerre froide. Je doute que la machine à mondialiser - qui est par certains aspects une broyeuse – puisse effacer les très fortes divergences entre les États. Je ne crois pas à « l’espace mondial » évoqué dans les communiqués des grandes organisations internationales : il me semble que les nations n’ont pas disparu.
Ce constat vaut-il pour la partie Ouest de notre continent ?
Hubert Védrine : Oui. Cette évolution est plus particulièrement marquée sur la question européenne. Je n’ai jamais été mal à l’aise avec cette idée - d’autant plus qu’avec François Mitterrand, on ne risquait pas que la construction européenne transforme la France en un archaïsme. Mais la façon dont certains socialistes sont européens n’est pas très éloignée de la haine de soi. Leur façon d’affirmer que les États nationaux sont dépassés n’est pas seulement un point de vue économique : il y a chez eux comme un règlement de compte avec les nations en général et avec la nation française en particulier.Ils voudraient les éradiquer et leur substituer une Europe supranationale alors que je pense, à cette époque déjà, que la construction européenne ne peut pas se substituer aux nations.Cela d’autant plus que la construction européenne est un despotisme éclairé, un élitisme. Jamais les peuples européens n’ont manifesté dans la rue pour être fusionnés d’urgence ; ils ont apprécié de vivre en sécurité et dans la prospérité sans avoir à présenter des papiers d’identité à chaque frontière. Rien de plus.
L’élargissement est alors le seul projet commun des Européens : seuls quelques Français se posent des questions. Vous vous souvenez de l’échec du traité d’Amsterdam en 1997. Le sommet de Nice est une réussite, après âpres négociations, mais c’est une réussite contestée : se répand même l’idée que ce traité est une calamité et telle est actuellement l’opinion de la plupart des journalistes.
Pourquoi ce jugement négatif ?
Hubert Védrine : Le traité de Nice a été rejeté parce qu’il concentre deux séries opposées de critiques :
celles des fédéralistes sincères, qui pensent que le traité ne va pas assez loin : ils n’ont guère d’échos dans les populations concernées,
mais sont influents dans les élites qui veulent depuis 1945 qu’on en finisse avec les nations.
celles des Allemands qui sont hostiles au traité de Nice pour des raisons complètement différentes. Depuis la réunification, ils ont été très
cohérents : Kohl, Schröder et Merkel ont eu pour objectif commun et priorité absolue de renforcer le poids de l’Allemagne dans les institutions.
Je dis cela sans aucune vindicte, je me contente de décrire une situation qui est très intéressante quant au déphasage. Lors de la réunification, Kohl dit à Mitterrand qu’il lui faut plus de députés au Parlement européen. Mitterrand refuse en soulignant que toute la construction européenne est fondée sur une égalité politique entre la France et l’Allemagne : Adenauer était tout à fait acquis à ce principe.
Et Maastricht ?
Lors des négociations sur le traité de Maastricht, Mitterrand veut surtout éviter une zone mark. Les Allemands font le sacrifice du mark et Mitterrand accepte, en guise de compensation, qu’il y ait 14 parlementaires européens de plus pour l’Allemagne – mais pour solde de tout compte. Quand Schröder arrive, il fait dire par toute la diplomatie allemande qu’il serait temps que l’Allemagne ait son vrai poids dans le Conseil Européen. Or la France, l’Italie, l’Allemagne, la Grande Bretagne ont le même poids dans le Conseil. À Nice, cette demande est refusée par la France, mais Chirac accepte que le nombre de parlementaires allemands ne soit pas diminué alors que le nombre de parlementaires des autres pays est réduit pour cause d’élargissement. Lors de la convention présidée par Giscard, les Allemands demandent qu’il soit tenu compte de la démographie – ce qui fait passer la France de 9 à 13 % des voix, et l’Allemagne de 9 à 18 %. Personne en France n’a contesté ce point, même les partisans du Non. Dans le nouveau traité, le changement de mode de vote est préservé – mais retardé de dix ans – et le nombre de parlementaires allemands n’a pas été diminué.
Qu’en concluez-vous ?
Hubert Védrine : Une fois encore, les élites françaises n’ont pas su négocier. Elles entretiennent leur délire, loin des aspirations de la population : il y a quelques années, certains ont publié une tribune dans Le Monde pour demander la fusion entre la France et l’Allemagne – comme s’il s’agissait de deux firmes automobiles. Ces élites n’arrivent pas à distinguer entre la construction d’une Europe concrète avec des politiques communes précises et utiles et leur rage d’éradiquer les identités.
Comment un homme politique français de droite ou de gauche peut-il en arriver à penser qu’une politique extérieure française n’est plus nécessaire ?
Hubert Védrine :La deuxième guerre mondiale ! Pour résumer, on dit que l’attachement à l’identité est une idée dangereuse parce qu’elle conduit au patriotisme, donc au nationalisme, donc à la guerre, donc à la guerre mondiale, donc à Hitler, donc à Auschwitz… Telle est la version grand public. Mais il y a aussi des versions plus compliquées qui relèvent de la haine de soi. L’Europe, c’est bien parce que le dépassement de la nation c’est bien : il faut éradiquer ce qui est national et faire en sorte que plus personne ne soit identifiable par rapport à un groupe précis.Ce thème a été développé par Joska Fischer en Allemagne. Nous sommes dans une idéologie absurde, qui ne fonctionne pas : en dépit de tout ce que l’on peut dire sur la mondialisation chacun reste attaché à son pays.
Seriez-vous devenu souverainiste ?
Hubert Védrine :Non. Ce qui a été fait jusqu’ici est bien et nous avons un immense intérêt à avoir des politiques communes – par exemple Galileo. Mais l’Europe forte ne passe pas par des nations faibles. C’est ce qui me différencie du courant dominant. L’Europe forte suppose des nations fortes et il faut faire la synthèse par le haut. Nous n’aurons jamais de politique étrangère commune en faisant la guerre à la diplomatie française ou britannique. Cette politique commune suppose un accord au sommet des trois ou quatre grandes diplomaties européennes.
Où en sont les relations franco-allemandes ?
Hubert Védrine :Il faut que la classe politique française arrête de reprendre le couplet sur la nécessité de relancer le couple franco-allemand pour relancer la construction européenne. Elle a tout faux ! Pour les Allemands, il n’y a plus de couple car ils estiment que la question française est réglée et ils s’occupent de la question polonaise. La France, quant à elle, doit montrer qu’elle a de grandes capacités de coopération avec les Britanniques, les Espagnols etc. pour montrer aux Allemands que nous avons d’autres choix.Nous pouvons développer une politique d’alliances avec des puissances extérieures à l’Union européenne – la Russie par exemple dont il est vain d’espérer qu’elle voudra un jour entrer dans l’usine à gaz gérée par Bruxelles.
La crise qui menace la Belgique n’est-elle pas due au soutien marqué que la Commission européenne accorde aux régions ?
Hubert Védrine :La Commission était peuplée de fédéralistes qui voulaient faire reculer les États nationaux et qui tentaient de faire l’Europe à coup de directives réglant des détails – dont ont ne voit pas l’équivalent aux États-Unis. L’idée de renforcer les régions faisait partie de la stratégie menée contre les États. La Commission ne s’est pas rendu compte qu’elle jouait avec le feu dans le cas de la Belgique, et peut-être dans d’autres cas. Aujourd’hui, plus personne ne pense que la Commission sera le gouvernement de l’Europe et son influence s’est réduite. Mais pendant vingt ans l’idéologie anti-étatique s’est développée et j’espère qu’elle n’a pas porté un coup fatal à la Belgique. Car, si la Belgique éclatait, l’effet d’entraînement serait terrifiant.
À gauche, on évoque une « Europe sociale ». Qu’en pensez-vous ?
Hubert Védrine : Une partie de la gauche veut une Europe fédérale afin qu’elle soit plus sociale. C’est une incohérence. Quand on est fédéraliste, on vote à la majorité. Or la majorité, dans l’Europe à 27, ce n’est pas l’Europe sociale à la française : dans le meilleur des cas, l’Union européenne se rapprocherait du modèle tchèque. Les socialistes suédois avaient bien compris cela et redoutaient l’Europe sociale.
En fait, il faut partir des grandes conventions internationales et agir de telle sorte que le niveau de protection sociale soit relevé. C’est difficile, parce que le débat sur les questions sociales fait rage à l’intérieur même des pays européens. Mais il est sûr que nous n’aboutirons à rien si nous nous en remettons à l’Union européenne pour la politique sociale.
Pour le moment, nous subissons la mise en concurrence de chacun avec chacun, par exemple du travailleur européen avec le travailleur chinois. Les campagnes sur les droits de l’homme ne changeront rien à cet état de fait. Il faut créer un rapport de force avec la Chine : nous pouvons peut-être agir sur le plan juridique dans le domaine de la protection de plusieurs sortes de droits et obliger au respect des clauses environnementales internationales.
Plus généralement, il faut trouver à l’échelle mondiale un meilleur équilibre entre les stratégies d’ouverture et les éléments de protection. Acquises à un libéralisme simpliste, les élites européennes n’y consentiront pas aisément : il faudra un choc pour que le système européen se mette à bouger.
Hubert Védrine a été pendant cinq ans le ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin, sous le septennat de Jacques Chirac, mais il avait auparavant accompagné François Mitterrand durant les quatorze années de sa présidence. D’abord conseiller diplomatique, il était devenu porte-parole avant de devenir en 1991, secrétaire général de l’Élysée. C’est dire l’importance de l’ancien président de la République dans la vie et la pensée d’un homme qui préside d’ailleurs l’institut François Mitterrand. Hubert Védrine est très bien considéré par la classe politique au delà de son propre parti, à cause de sa maîtrise de la politique étrangère et de sa puissance d’analyse des conjonctures internationales. Il a publié de nombreux ouvrages. Il faut signaler son rapport de 2007 sur la France et la mondialisation où il énonce les principes de sa vision des nouveaux rapports de force de la planète.
Alors que l’Europe se dote d’une quasi-Constitution, nous avons demandé à Hubert Védrine (après le président de la République…) ce qu’il pensait de la situation de l’Europe et du monde aujourd’hui.
Bibliographie indicative d’Hubert Védrine :
« Rapport au président de la République sur la France et la mondialisation », Fayard, 154 p., 10 €.
(sous sa direction) « 5 + 5 = 32, feuille de route pour une Union méditerranéenne », Perrin, 261 p., 14 €.
(en collaboration avec Armand Abécassis et Mohamed Bouabdallah) « Continuer l’Histoire », Fayard, 149 p., 10 €.
19 mai 16:02, par J.Martine
cf : Je n’ai jamais eu de problème avec les positions des socialistes lorsqu’ils étaient aux affaires. pas même sur la "morale" ? Je mets "morale" car, pour moi c’est clair, les socialistes ont tort. J. Martine.
19 mai 16:39
Un catho de gauche qui dit ne pas avoir eu de problème avec les socialistes au pouvoir était-il catholique par rapport au
magistère de l’Église catholique romaine ?
Néanmoins une déclaration contrastée intéressante.
19 mai 17:04, par Sage
Hubert Védrine traduit ce que ressentent beaucoup de Français. Il raisonne comme les Gaullistes, les vrais, pas les soi-disant gaullistes de gauche. Alors, pourquoi M. Védrine est-il à gauche ? Une gauche qui chante l’internationale en toute occasion, alors que lui même dit que les nations ne disparaîtront jamais ? Il reconnait lui-même que certains socialistes sont des européens pas très éloignés de la haine de soi. "Il y a chez eux comme un règlement de compte avec les nations en général et avec la nation française en particulier". Quand M. Hollande est applaudi place de la Bastille par une majorité de personnes brandissant des drapeaux de tous pays étrangers, avec un seul drapeau français, ne règle t’il pas ses comptes ? Voudrait-il, comme ceux qui l’ont soutenu, éradiquer les nations et leur substituer une Europe supranationale ? Merci, Monsieur Vedrine, ne penser que la construction européenne ne peut se substituer aux nations.
20 mai 13:41, par Jérôme
Bonjour,
Pour une autre analyse de la situation européenne et mondiale, avec Aymeric Chauprade. De formation scientifique, docteur en science politique, enseigne la géopolitique à l’Université Paris I-Sorbonne et est directeur des études au Collège Interarmées de Défense.
http://www.youtube.com/watch?v=uXrC...
http://www.youtube.com/watch?v=HOaO...