13 Novembre 2020
Continuant ce blog depuis 14 ans je m'interroge parfois sur la validité de ma politique éditoriale.
Mon but était et demeure d'exercer une influence, celle d'un professeur de philosphie aux convictions fortes, jugulée par ma formation philosophique, c'est-à-dire critique, et d'abord marquée par le christianisme catholique en lien non seulement avec les Evangiles, mais avec les grands maîtres de pensée qu'ont été les théologiens et … philosophes qui depuis 2000 ans ont marqué la pensée universelle de leur génie : Boèce, St-Augustin, Thomas d'Aquin, Descartes, Malebranche, Kant (non catholique, mais profondément marqué par son éducation chrétienne protestante), Jacques Maritain, Gabriel Marcel, et des centaines d'autres. Il s'agit là d'un socle solide, qu'un certain laïcisme athée (ne pas confondre avec laïcité) s'efforce de faire disparaître en livrant nos sociétés au scepticisme et à l'indifférence intellectuelle dont nous constatons aujourd'hui pour nos sociétés les résultats mortifères.
Mais je n'ai pas voulu faire du Scrutateur (en admettant que j'en sois capable) un site de spécialistes en philosophie ou en théologie. De tels sites existent, mais hélas ne sont pas connus du grand public qui ne s'attarde pas sur ce qui ne relève pas de l'actualité immédiate, de ses controverses politiciennes, et de ses cancans, dont la pensée est absente, mais pas les passions. Pour parvenir à mes fins j'ai donc créé ce blog, ( parfois en provoquant ), intermédiaire entre le très haut niveau et « la culture de divertissement », comme dirait Blaise Pascal.
J'ai toujours choisi un style éclectique incluant des rubriques sur l'histoire, l'actualité polique, le cinéma, le sport, le sport, etc, mais en n'oubliant jamais mon intention première.
Les résultats sont, à ce jour (13octobre 2020) un peu plus de 3.200 000 lecteurs. Un parcours en dents de scie, parfois comme en avril 2017 (mois d'élection présidentielle) plus de 40000 lecteurs en un seul jour, mais aussi en temps ordinaire des résultats plus modestes, par exemple en ce mois de novembre, un peu plus de 600 lecteurs par jour en moyenne. (nous sommes le 13).
Je ne vais pas chanter le péan de victoire, mais je ne feindrai pas la modestie. Le résultat est honorable pour un site qui n'est pas un organe de parti politique, et qui ne prise pas particulièrement la démagogie.
L'une de mes préocupations est chaque jour que Dieu fait de choisir, en le présentant, un article qui apprenne quelque chose aux lecteurs, et qui évidemment serait lu.
Souvent, je suis embarrassé au moment de choisir. Car il faut qu'il soit lu, donc pas d'un niveau trop élevé. Je choisis ceux qui aident à penser, c'est-à-dire à s'élever au-dessus des humeurs du moment. Tel est le cas aujourd'hui de l'article suivant, intitulé Dialoguer avec l’islam : une réponse de Bisounours ? Il exige peut-être pour être bien compris le souvenir de la querelle que les islamistes firent au pape Benoit XVI il y a queques années, lors d'une conférence qu'il fit durant son pontificat. Pour ceux qui en ont l'envie, et pour une meilleure compréhension on pourra se reporter à l'article suivant du Scrutateur : (Benoit XVI à Ratisbonne : http://www.lescrutateur.com/article-5972439.html ).
Pour le reste c'est à vous de juger et décider. (Le Scrutateur).
Tristesse et colère ! Tels étaient les sentiments qui habitaient la plupart d’entre nous après les assassinats sauvages de Samuel Paty, Nadine Devillers, Vincent Loquès et Simone Barreto-Silva. Comment peut-on en venir à tuer des innocents – à les décapiter même ! – au nom de Dieu ? Sinistre barbarie… Et ce ne sont pas les sempiternels refrains sur le « vivre-ensemble » et la « fraternité » qui nous ont vraiment calmés. Alors maintenant, que faire ?
Il est évident qu’une réponse ferme et courageuse à la violence islamiste doit enfin être apportée sur le plan politique. Les attentats terroristes s’enchaînent sans que l’on parvienne à enrayer cette spirale infernale. Ça suffit ! Toutefois, la réponse ne pourra pas être seulement politique et policière. Nous pouvons combattre la violence islamiste par la loi et l’usage de la force, mais cela éradiquera-t-il vraiment la racine du mal ?
Dans un petit essai très éclairant (Du fanatisme, Cerf, 2020), le frère Adrien Candiard, un dominicain qui en connaît un rayon sur le monde musulman, constate que le fanatisme islamiste est l’un des symptômes de la crise traversée aujourd’hui par l’islam. Le courant salafiste y est porteur d’une vision selon laquelle Dieu est absolument transcendant. Puisque Dieu est radicalement différent du monde créé, notre langage est incapable de dire la moindre chose sur lui : nous sommes condamnés à ne pas le connaître.
Selon les salafistes, on ne sait donc pas qui est Dieu mais on sait en revanche ce qu’il veut, grâce au Coran. Et c’est là que ça dérape, car le fanatique en vient à identifier Dieu à ses commandements, qui se retrouvent alors investis d’une puissance absolue. Par conséquent, ceux qui n’obéissent pas aux commandements d’Allah sont considérés comme des infidèles blasphémateurs. Voilà visiblement le projet des islamistes : nous faire obéir à ces injonctions divines, de gré ou de force. Comprendre cela, ce n’est pas justifier l’horreur mais c’est réaliser que, derrière ce qui apparaît comme une démence psycho-religieuse, se cache une forme de rationalité, bien limitée on en convient. Cela a au moins le mérite de nous ramener sur le champ de la raison.
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, en expulsant Dieu du champ de la raison sécularisée, le monde occidental s’empêche de répondre à cette « théologie » mortifère. À force de coup de boutoirs répétés contre la religion, on a fait sortir le bon Dieu de l’espace public pour l’enfermer dans l’intimité des consciences et des chapelles. La laïcité est devenue laïcisme, quand elle n’est pas un athéisme. Si les caricatures de Charlie Hebdo sont – dans l’espace médiatique – le seul discours sur Dieu qui demeure, c’est pauvre… Le terrain du discours religieux est alors déserté et la propagande fanatique a tout le loisir de prospérer, sans résistance.
On parle aujourd’hui d’enseigner « le fait religieux » à l’école. Mais ne doit-on pas aller plus loin et prendre au sérieux la pensée religieuse en tant que telle ? Ce n’est pas parce que le discours religieux mobilise la foi qu’il ne peut pas être rationnel, ouvert à la discussion et à la critique publiques. Il serait aussi souhaitable que les cours de philosophie en Terminale abordent davantage la question de Dieu, pas seulement du côté du soupçon (Nietzsche, Freud, Marx) mais aussi du côté d’une affirmation de Dieu (Aristote, Augustin, Descartes).
Cela ne nous rappelle-t-il pas quelque chose ? Ratisbonne, 2006. Benoit XVI revient dans son ancienne université pour donner une conférence sur la foi et la raison. Dans ce discours, le pape critique justement la tendance occidentale à « exclure la question de Dieu » de la raison. Pour montrer qu’il y avait au Moyen Âge de la place pour un débat théologique franc et intelligent, le pontife allemand cite un passage où l’empereur chrétien Manuel II Paléologue vient questionner un érudit musulman persan sur le djihad : « Dieu ne prend pas plaisir au sang et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. Celui qui veut conduire quelqu’un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas recourir à la violence et à la menace ».
Cette petite phrase va embraser le monde musulman. Or, cette polémique a totalement occulté le fait que le discours de Ratisbonne était d’abord une critique de la modernité et d’une raison « qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures ». Cet appel au dialogue théologique a tout de même été entendu par une centaine de dignitaires musulmans qui saluèrent la volonté de dialogue du pape et se refusèrent à lui réclamer des excuses [1]. Tout en critiquant certains points du discours, mais c’était justement ça l’esprit !
Ce ne sont pas bien sûr des conférences interreligieuses qui vont immédiatement arrêter le bras armé d’un terroriste. Mais prenons au sérieux cet avertissement de Benoit XVI : le dialogue entre chrétiens et musulmans est « une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir » [2]. Attention, pas le dialogue de salon où l’on se fait des courbettes hypocrites ! Non, un dialogue intelligent, franc, critique. Un dialogue où l’on parle non pas de soi mais de Dieu. Or, Dieu, personne ne le possède. Le débat critique vient justement bousculer les idéologies dans lesquelles Dieu est parfois enfermé.
Le dialogue de raison entre chrétiens et musulmans pourrait aider notre société sécularisée à laisser résonner davantage la question de Dieu. Encore faut-il évidemment que nous ne soyons pas les seuls à vouloir dialoguer…
[1] Islamica Magazine, n°18, 15 octobre 2006, p. 26-32.
[2] ] Discours aux représentants des communautés musulmanes le 20 août 2005, Cologne.