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31 Mai 2018
Un homme politique, et ami, réunionnais, monsieur Hugues Maillot, m'adresse cet article remarquable de clarté, concernant l'avenir sombre de l'Outre mer français, si nous n'intervenons pas dans le débat public pour informer les populations de ce qui les menace.
Je le publie en Tribune. ( Le Scrutateur ).
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Publié le 21 mai 2018
( http://huguesmaillot.blog.lemonde.fr/2018/05/21/1435/ ).
Avec le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie «plus responsable, plus efficace et plus représentative», le Président de la République a rouvert le débat sur le statut des départements d’outre-mer (DOM). Depuis plusieurs semaines, les partisans d’un pouvoir normatif accru de nos collectivités territoriales (Région et Département) se font les pourfendeurs de l’amendement « Virapoullé », arguant de l’impérieuse nécessité de mieux prendre en compte nos réalités ultramarines et du sens univoque et inéluctable de l’Histoire. Ils proclament que les Antillais et les Guyanais auraient tout compris, alors que les Réunionnais seraient en train de laisser passer le train du changement. Ce faisant, ils feignent d’oublier que les populations de la Martinique et de la Guyane ont, encore récemment, contredits les choix de leurs édiles.
Force est de constater, à l’image des prises de position récurrentes et incantatoires du professeur André Oraison, que ces opinions s’inscrivent davantage dans des postures que dans des démonstrations, dans une «religion de l’autonomie» plutôt que dans un besoin clairement identifié à satisfaire. La singularité institutionnelle de La Réunion par rapport aux autres DOM est critiquée, sans jamais prouver en quoi elle est un frein réel au développement économique et social de l’Ile. De même, aucune évaluation de l’usage des capacités données aux autres DOM par la réforme constitutionnelle de 2003 n’a jamais été présentée ni soumise au débat. On aurait pu attendre des assises des outre-mer qu’elles animent et éclairent la discussion. Mais, à La Réunion, elles ont été l’occasion d’une confiscation de l’atelier dédié aux évolutions institutionnelles par des membres de la société civile, trop pressés de prendre leur revanche sur les élus politiques pour conduire une réflexion objective et participative, dans les délais fixés pour l’exercice.
Dès lors les principales questions qui devraient animer le débat démocratique et la prise de position de nos parlementaires sur le sujet ne sont pas posées : l’autonomie proposée représente-t-elle un progrès, les populations y sont-elles favorables ?
Imposer la rigueur
En préambule, il convient de rappeler que dès 1958, la Constitution a prévu la possibilité d’adapter la loi nationale dans les DOM, cette adaptation étant décidée par le parlement. Ainsi nos territoires ont-ils été pris en compte dans le cadre d’un article particulier de la Constitution, l’article 73, alors que les collectivités de l’Hexagone sont traitées dans le cadre l’article 72. Leur spécificités ainsi reconnues par le pouvoir constituant (le peuple français consulté par voie de référendum) en même temps que le principe de leur assimilation législative, les DOM et La Réunion en particulier ont pu bénéficier de mesures dérogatoires particulièrement avantageuses, notamment l’ensemble des lois qui ont autorisé les régimes de défiscalisation et d’exonération de charges sociales de 1986 jusqu’à aujourd’hui. Elles ont été un formidable levier de développement économique et social et de création d’emplois.
Les modifications de la Constitution proposées par le gouvernement et le président de la République engagent un mouvement d’ensemble visant à donner davantage d’autonomie normative à l’ensemble des collectivités locales de France. En définitive, en passant du droit à l’expérimentation au droit à la différentiation, l’Etat entend ouvrir aux collectivités de l’Hexagone et à la Corse des capacités juridiques jusqu’alors réservées aux seuls DOM par la réforme constitutionnelle de 2003 : l’édiction de normes et de règlements distincts du droit commun national, dès lors que la représentation nationale aurait autorisé cette distinction. Sur ce plan, en 2003, l’amendement «Virapoullé» avait restreint la capacité d’initiative des collectivités de La Réunion à leur champ de compétence. Avec le projet proposé par le gouvernement, ce «verrou» pour La Réunion saute puisque cette partie de la réforme sera applicable à l’ensemble des collectivités de France dont celles de La Réunion, y compris hors de leur champ de compétences.
Pour être pleinement compris, ce mouvement vers l’autonomie de l’ensemble des collectivités de France doit être replacé dans le contexte de la rigueur budgétaire imposée aux collectivités locales par l’Etat depuis au moins dix ans et qui a trouvé son aboutissement dans la loi de programmation des finances publiques de janvier 2018. Cette dernière plafonne à 1,2% la progression de leurs dépenses de fonctionnement, hors inflation, soit en réalité une croissance proche de zéro. Davantage d’autonomie est ainsi donnée aux collectivités locales pour les inciter à faire mieux avec moins, en substituant aux marges de manœuvre budgétaires un pouvoir d’assouplissement des normes.
Mettre fin au rattrapage
Dans les DOM, faire mieux avec moins est une gageure au regard des retards éducatifs, économiques et sociaux patents accumulés par tous les territoires et notamment par Mayotte, La Réunion et la Guyane. Les départements les plus pauvres de France qui présentent des besoins criants. En l’espèce, un assouplissement des normes autorisé par le législateur serait insuffisant. Il s’agirait donc d’être plus ambitieux pour permettre l’engagement des réformes structurelles du type de celles envisagées par Victorin LUREL dans son rapport sur l’égalité réelle outre-mer. La stratégie annoncée alors est d’appuyer davantage le développement de nos territoires sur leur intégration régionale et donc sur un renforcement de leur compétitivité économique vis-à-vis des pays environnant. Ce qui justifierait notamment des adaptations lourdes du code du travail et de la législation fiscale et sociale. Ce qui présuppose que la compétition économique est le seul moyen de renforcer l’intégration régionale des DOM et néglige les nombreuses voies inexplorées de la coopération régionale et du co-développement.
C’est pourquoi, le projet de réforme constitutionnelle va plus loin pour les DOM que pour les autres collectivités de France. En effet, il prévoit que les collectivités des DOM pourront légiférer avec la seule habilitation du gouvernement, sans l’autorisation préalable du Parlement. Ce dernier ne sera appelé à se prononcer qu’a posteriori, dans les deux ans, pour ratifier les décisions déjà prises et appliquées par les collectivités. Il est curieux que ceux qui dénonçaient, à juste titre, le déni de démocratie que représentaient les ordonnances « travail » soient aujourd’hui silencieux devant ce nouveau cantonnement du Parlement dans un rôle de chambre d’enregistrement. Pour La Réunion, les apparences de l’amendement « Virapoullé » sont sauves. La singularité constitutionnelle de l’île serait respectée puisque la capacité de ses collectivités à légiférer sans l’accord du Parlement serait limitée aux champs d’intervention relevant de la compétence de la Région et du Département. Il s’agit en réalité d’un « simili amendement Virapoullé », compte tenu de l’étendue des compétences nouvelles attribuées depuis par la loi Notre aux Régions et donc à la Région Réunion.
Pour les DOM, la réforme constitutionnelle va mettre fin à la dynamique de rattrapage engagée en 1946, non parce que les besoins économiques et sociaux des territoires et des populations ont été satisfaits mais parce que l’Etat et les collectivités sont réputés ne plus en avoir les moyens. Alors même que le problème de notre pays, en termes de recettes fiscales, est au moins autant dû aux inégalités croissantes dans la répartition des richesses et à l’inégalité des contribuables devant l’impôt qu’à la création des richesses elles mêmes. Pour les DOM, il s’agira de faire désormais avec ce qu’ils ont déjà, en espérant trouver un chemin qui ne renforcera pas les inégalités avec l’Hexagone, voire qui fera converger vers la moyenne nationale.
Ce chemin, il devait être défini, territoire par territoire, avant le mois de juin 2018, dans le respect du calendrier fixé par la loi sur l’égalité réelle outre-mer. Cet agenda ne semble plus à l’ordre du jour. Les assises des outre-mer sont en train d’effacer la chimère d’un progrès économique et social des DOM adossé à un nivellement par le bas de la législation.
Contenir le peuple
Reste cependant le nivellement par le bas. Consultées à la Martinique et en Guyane en 2009 et en 2010, les populations ont clairement refusé cette perspective, demandant plutôt aux élus de se serrer la ceinture dans le cadre d’une collectivité unique. Dans le contexte antillais et guyanais, marqué par un débat institutionnel permanent, une gestion défaillante des collectivités locales, une absence patente de projet de développement et un exode massif des jeunes, c’était l’expression même du bon sens. Mais les élus ne l’ont pas entendu de cette oreille, poursuivant assidument leur travail de lobby auprès des gouvernements successifs, avec succès.
Mais pour éviter la contestation des populations, il fallait donner le sentiment de ne pas bafouer leur vote. Aussi, sur le plan juridique, le projet de réforme constitutionnelle ne va pas au bout de la logique institutionnelle induite par le projet d’autonomie. Il ne propose pas un basculement des DOM dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, prévoyant le contrôle a postériori du Parlement pour garantir un semblant d’égalité devant la loi. En définitive, le nouvel article 73 est un article 74 qui ne porte pas son nom. Ce dispositif a aussi l’avantage, du moins un certain temps, de ne pas remettre en cause certains acquis de la départementalisation et notamment le versement des minima sociaux. Pourtant, confrontée à une hausse continue de la demande sociale et aux règles de compensation financières iniques fixées par l’Etat, les collectivités qui en assurent la gestion auront-elles d’autres choix que de les aménager pour éviter l’asphyxie, puisqu’elles en auront demain la pleine compétence ?
En outre, la voie parlementaire, si elle est finalement choisie par le président de la République pour l’adoption de ce projet, restreint le débat aux spécialistes et aux élus. Elle interdit d’engager le débat général qui aurait pu réellement éclairer l’opinion publique, dans le cadre d’une consultation directe des électeurs. Le gouvernement enterrera le processus de départementalisation outre-mer lentement mais surement, en silence. Au lendemain de la réforme constitutionnelle, si le projet est adopté, une part plus importante du destin de nos territoires et de nos populations sera donc dans les mains des élus locaux et déconnecté du destin national. Au nom de la proximité, au nom de l’identité, nombreux sont ceux qui vont s’en réjouir. Ils auront le sentiment d’avoir gagné une bataille engagée de longue date.
Mais quelle gouvernance réellement responsable peut-on espérer fonder à partir d’orientations débattues en comités restreints et de décisions prises en écartant le peuple ? Il suffit de regarder la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française, principales collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, pour avoir une première réponse. La première vit dans un équilibre institutionnel et social précaire, avec la rente que lui procure le nickel mais qui n’est pas inépuisable. La seconde connait une instabilité politique chronique et des retards de développement avec l’Hexagone supérieurs à ceux enregistrés par La Réunion.
Les parlementaires réunionnais connaissent parfaitement les risques que fait peser à terme ce projet de réforme constitutionnelle sur l’avenir de La Réunion. Certains réclameront encore davantage d’autonomie, animés par un esprit de revanche déplacé, regardant la France comme la puissance coloniale qu’elle n’a jamais été dans notre île. D’autres se tairont ou approuveront préférant s’inscrire dans le moule, privilégiant leurs intérêts personnels. Ils sont onze députés et sénateurs. Il en suffit d’un ou d’une qui aime suffisamment La Réunion et respecte assez ses électeurs pour les alerter et les mobiliser contre cette mauvaise réforme.
Hugues MAILLOT – Président de Ré-Unir
Une réflexion au sujet de « L’autonomie, pourquoi faire ? »
Le 23 mai 2018 AER a dit :
Cher Monsieur MAILLOT ,
Je me trouve en ce moment en INDE d’où sont partis en 1853, mes ancêtres pour aller travailler dans les champs de canne à sucre dans les colonies françaises dans la Caraïbes. J’ai la nationalité française , je suis né aux Antilles il y a 59 ans de cela et j’ y ai vécu pendant 57 ans; j’apprecie beaucoup les valeurs de la République francaise .
Monsieur vous êtes très brillant dans tout ce que vous expliquez dans l’article L’AUTONOMIE POUR QUOI FAIRE ? Vous avez dépeint tout à fait tout ce qui se cache derrière cette réforme que propose le Président Emmanue MACRON , particulièrement aux DOM dont l ‘Ile de la Réunion. Je ne reviens pas sur tout ce que vous mettez en garde les Parlementaires Réunionnais et les électeurs qui n’auront pas leurs mots à dire dans ce choix, DIEU SEUL sait combien ils seront les plus grands lésés dans ce TRES MAUVAIS CHOIX. Comme vous l’avez si bien écrit, La Martinique et la Guyane ont été victimes d’une supercherie inqualifiable décidés par les élus autonomistes et indépendantistes avides de pouvoir contre la FRANCE et de décideurs, SANS LES MOYENS NI LA FORMATION pour réussir quelque chose de bien. Ces « élus » sont comblés, surtout car ils ont l’appellation de « MINISTRES » ,et « PRESIDENT » . (un des élus qui a participé aux travaux pour le projet de loi votée le 27 juillet 2011 concernant la CTM Martinique , m’a dit qu’ils ont réalisé ce projet de loi en se gardant de dire toute la vérité aux électeurs). Un vrai désastre pour l’avenir de ces anciens départements qui n’auront JAMAIS la possibilité de faire mieux avec moins de dotations et le ratrappage de la loi de 1946 de la Départementalisation. Monsieur MACRON n’a de la préoccupation et de l’ambition que pour la réussite de la France et le renforcement d’une grande EUROPE.
Monsieur MAILLOT, recevez mes vives félicitations appuyées pour votre lucidité exemplaire. GRAND MERCI POUR VOTRE COURAGE ET VOTRE FORCE .
AER.