27 Juillet 2012
( Le Scrutateur a peu parlé jusqu'ici de la crise syrienne. C'est que j'ai en mémoire la jolie formule du général de Gaulle « je partis vers l'orient compliqué avec des idées simples ». Ce n'était qu'une formule, et je ne voudrais pas contribuer à trop de simplification en faisant chorus avec la pseudo information diffusée par « nos » médias, dont le bavardage quotidien s'apparente à la désinformation la plus infantile, du moins pour ceux qui ne contentent pas de gober, un verre de spiritueux à la main, et de coca pour les plus demeurés, « assis » devant l'oracle télévisuel, des débilités à la Bernard-Henri Lévy.
Certes, la famille Assad n'est pas des plus sympathiques – c'est le moins qu'on puisse en dire – mais son représentant actuel est-il le « montre » que l'on nous dit ( l'expression a été utilisée par l'un de nos envoyés très spéciaux, ce midi sur LCI )? Et ses opposants sont-ils les représentants de la « démocratie », que l'on nous présentent?
La réalité, comme toujours est plus complexe que ce qu'en pensent « les indignés » de toutes les époques, chers à ce brave M. Stéphane Hessel.
C'est pourquoi, sans prendre parti, pour un camp, ou pour l'autre, j'ai été extrêmement satisfait de découvrir cet article d'Alain Chouet, qui a le mérite de connaître la région pour y avoir vécu de longues années, et d'avoir une formation qui l'autorise à porter un jugement, qui on le verra est nuancé, tout en étant décapant.
Oui, les choses ne sont pas simples. J'en demande pardon aux supporters du Paris-St-Germain, dont le Qatar s'est rendu maître, comme de beaucoup d'autres choses, en France et ailleurs.
La légèreté des puissances occidentales finira par nous cuire. Edouard Boulogne ).
Les passages soulignés dans le texte l'ont été par Le Scrutateur. De même que le titre est de notre rédaction.
NOS MINISTRES, JUPPE HIER, FABIUS AUJOURD’HUI SONT-ILS MAL RENSEIGNES,
MAL CONSEILLES, OU NAÏFS ?
Invité de l'Association Régionale Nice Côte d'Azur de l'IHEDN (AR29), le 27 juin 2012,
Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, reconnu
bien au-delà de l'Hexagone pour son expertise du monde arabo-musulman, a livré aux
auditeurs son sentiment au cours d'une conférence qui a connu un vif succès.
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L'expression "printemps arabe" est censée faire référence au « Printemps des peuples » de
1848. Depuis la révolte de Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, la contagion s'est étendue de
la Tunisie successivement à l'Égypte, à la Libye, à Bahrein, au Yémen et enfin en Syrie.
Contrairement à ce qui a pu être dit, ces contestations populaires, d'une ampleur et d'une
intensité très variables, n'ont pas été le fait des "réseaux sociaux", dans des pays où l'accès à
Internet est réduit à une minorité de personnes "branchées" et où les moyens de blocage du
Net sont très développés. Même si les aspirations de ces divers peuples visaient à chasser
des dirigeants corrompus pour favoriser l'instauration d'une démocratie, les manifestants en
reprenant le slogan « Dégage ! » (« Erhal » en arabe) entendaient réclamer un meilleur
partage des richesses pour améliorer leurs conditions de vie, obtenir des emplois et retrouver
une certaine dignité (« karama » en arabe). En fait, ces révoltes, révolutions ou encore «
réveil arabe » ont en commun d'avoir été financées par le Qatar et d'autres monarchies du
Golfe et d'avoir été encadrées par les Frères musulmans. Le résultat ne s'est pas fait attendre
: on en voit déjà les effets en Tunisie, en Libye et bientôt en Égypte. La question que l'on est
en droit de se poser est : par quel miracle, les Européens ont-ils pu soutenir à ce point des
mouvements qui vont à la fois à l'encontre des intérêts mêmes de ces populations et aussi des
nôtres. Si la démocratisation de ces pays ne nous laisse pas indifférent, les voir retomber
dans une nouvelle forme de soumission plus insidieuse n'augure rien de bon pour l'avenir.
Depuis plus d'un an, ce printemps arabe n'en finit pas. La Syrie est le dernier pays à avoir été
pris dans une tourmente qui a mis le pays à feu et à sang.
Les pires conjectures formulées au premier semestre 2011 concernant les mouvements de
révolte arabes deviennent aujourd’hui réalité. Je les avais largement exposées dans divers
ouvrages et revues [1] à contre courant d’une opinion occidentale généralement enthousiaste
et surtout naïve. Car il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans des pays soumis
depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient éliminé toute forme d’opposition libérale
et pluraliste, la démocratie et la liberté allaient jaillir comme le génie de la lampe par la seule
vertu d’un Internet auquel n’a accès qu’une infime minorité de privilégiés de ces sociétés.
Une fois passé le bouillonnement libertaire et l'agitation des adeptes de Facebook, il a bien
fallu se rendre à l'évidence. Le pouvoir est tombé dans les mains des seules forces politiques
structurées qui avaient survécu aux dictatures nationalistes parce que soutenues
financièrement par les pétromonarchies théocratiques dont elles partagent les valeurs et
politiquement par les Occidentaux parce qu'elles constituaient un bouclier contre l'influence
du bloc de l'Est : les forces religieuses fondamentalistes. Et le « printemps arabe » n'a mis
que six mois à se transformer en « hiver islamiste ».
En Tunisie et en Égypte, les partis islamistes, Frères musulmans et extrémistes salafistes se
partagent de confortables majorités dans les Parlements issus des révoltes populaires. Ils
cogèrent la situation avec les commandements militaires dont ils sont bien contraints de
respecter le rôle d'acteurs économiques dominants mais s'éloignent insidieusement des
revendications populaires qui les ont amenés au pouvoir. Constants dans leur pratique du
double langage, ils font exactement le contraire de ce qu’ils proclament. En, Égypte, après
avoir affirmé sur la Place Tahrir au printemps 2011 qu'ils n'aspiraient nullement au pouvoir,
ils revendiquent aujourd'hui la présidence de la République, la majorité parlementaire et
l'intégralité du pouvoir politique.
En Tunisie, et après avoir officiellement renoncé à inclure la charia dans la constitution, ils
organisent dans les provinces et les villes de moyenne importance, loin de l'attention des
médias occidentaux, des comités de vigilance religieux pour faire appliquer des règlements
inspirés de la charia. Ce mouvement gagne progressivement les villes de plus grande
importance et même les capitales où se multiplient les mesures d'interdiction en tous genres,
la censure des spectacles et de la presse, la mise sous le boisseau des libertés fondamentales
et, bien sûr, des droits des femmes et des minorités non sunnites.
Et ces forces politiques réactionnaires n'ont rien à craindre des prochaines échéances
électorales. Largement financées par l'Arabie et le Qatar pour lesquels elles constituent un
gage de soumission dans le monde arabe, elles ont tous les moyens d’acheter les consciences
et de se constituer la clientèle qui perpétuera leur domination face à un paysage politique
démocratique morcelé, sans moyens, dont il sera facile de dénoncer l'inspiration étrangère et
donc impie.
La Libye et le Yémen ont sombré dans la confusion. Après que les forces de l'OTAN,
outrepassant largement le mandat qui leur avait été confié par l'ONU, ont détruit le régime
du peu recommandable Colonel Kadhafi, le pays se retrouve livré aux appétits de bandes et
tribus rivales bien décidées à défendre par les armes leur pré carré local et leur accès à la
rente. L'éphémère « Conseil National de transition » porté aux nues par l'ineffable Bernard
Henri Lévy est en train de se dissoudre sous les coups de boutoir de chefs de gangs
islamistes, dont plusieurs anciens adeptes d'Al-Qaïda, soutenus et financés par le Qatar qui
entend bien avoir son mot à dire dans tout règlement de la question et prendre sa part dans
l’exploitation des ressources du pays en hydrocarbures.
Au Yémen, le départ sans gloire du Président Ali Abdallah Saleh rouvre la porte aux forces
centrifuges qui n'ont pas cessé d'agiter ce pays dont l'unité proclamée en 1990 entre le nord
et le sud n'a jamais été bien digérée, surtout par l'Arabie Séoudite qui s'inquiétait des
foucades de ce turbulent voisin et n'a eu de cesse d'y alimenter la subversion
fondamentaliste. Aujourd'hui, les chefs de tribus sunnites du sud et de l'est du pays, dont
certains se réclament d'Al-Qaïda et tous du salafisme, entretiennent un désordre sans fin aux
portes de la capitale, Sanaa, fief d'une classe politique traditionnelle zaydite – branche
dissidente du chiisme – insupportable pour la légitimité de la famille séoudienne.
Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé d'islamisation au prix d'une incompréhension généralisée et de l'opprobre internationale.
Avant de développer ce sujet, je crois devoir faire une mise au point puisque d'aucuns
croient déceler dans mes propos et prises de positions des relents d'extrême droite et de
complaisance pour les dictatures.
Je me rends régulièrement en Syrie depuis 45 ans et y ai résidé pendant plusieurs années. Je
ne prétends pas connaître intimement ce pays mais je pense quand même mieux le connaître
que certains de ces journalistes qui en reviennent pleins de certitudes après un voyage de
trois ou quatre jours.
Mes activités m'ont amené à devoir fréquenter à divers titres les responsables des services de
sécurité civils et militaires syriens depuis la fin des années 70. J'ai pu constater qu'ils ne font
ni dans la dentelle ni dans la poésie et se comportent avec une absolue sauvagerie. Ce n'est
pas qu'ils ont une conception différente des droits de l'homme de la nôtre. C'est qu'ils n'ont
aucune conception des droits de l'homme…
Leur histoire explique en grande partie cette absence. D'abord, ils puisent leur manière d'être
dans quatre siècles d'occupation par les Turcs ottomans, grands experts du pal, de
l'écorchage vif et du découpage raffiné. Ensuite, ils ont été créés sous la houlette des troupes
coloniales françaises pendant le mandat de 1920 à 1943, et, dès l'indépendance du pays,
conseillés techniquement par d'anciens nazis réfugiés, de 1945 jusqu'au milieu des années
50, et ensuite par des experts du KGB jusqu'en 1990. Tout ceci n'a guère contribué à
développer chez eux le sens de la douceur, de la tolérance et du respect humain.
Quant au régime syrien lui-même, il ne fait aucun doute dans mon esprit que c'est un régime
autoritaire, brutal et fermé. Mais le régime syrien n’est pas la dictature d'un homme seul, ni
même d'une famille, comme l'étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout
comme son père, Bashar el-Assad n'est que la partie visible d'un iceberg communautaire
complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de
pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d'Alaouites encore plus résolus
que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre
d'une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l'Occident semble
encourager et promouvoir dans la région.
Quand je suis allé pour la première fois en Syrie en 1966, le pays était encore politiquement
dominé par sa majorité musulmane sunnite qui en détenait tous les leviers économiques et
sociaux. Et les bourgeois sunnites achetaient encore – parfois par contrat notarié – des jeunes
gens et de jeunes filles de la communauté alaouite dont ils faisaient de véritables esclaves à
vie, manouvriers agricoles ou du bâtiment pour les garçons, bonnes à tout faire pour les
filles.
Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée depuis plus de mille
ans. Je vous en donne ici une description rapide et schématique qui ferait sans doute hurler
les experts mais le temps nous manque pour en faire un exposé exhaustif.
Issus au Xè siècle aux frontières de l'empire arabe et de l'empire byzantin d'une lointaine
scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de syncrétisme mystique compliqué entre des
éléments du chiisme, des éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de
christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom d’Alaouites – c'est à dire de
partisans d'Ali, le gendre du prophète - quand ils veulent qu’on les prenne pour des
Musulmans et sous le nom de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a
fondé leur courant – quand ils veulent se distinguer des Musulmans. Et – de fait – ils sont
aussi éloignés de l'Islam que peuvent l'être les chamanistes de Sibérie.
Et cela ne leur a pas porté bonheur…. Pour toutes les religions monothéistes révélées, il n’y
a pas pire crime que l'apostasie. Les Alaouites sont considérés par l'Islam sunnite comme les
pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn
Taymiyya, l'ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur
génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa
n'a jamais été remise en cause et est toujours d'actualité, notamment chez les salafistes, les
wahhabites et les Frères musulmans. Pourchassés et persécutés, les Alaouites ont dû se
réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l'actuelle Turquie tout en
donnant à leurs croyances un côté hermétique et ésotérique, s'autorisant la dissimulation et le
mensonge pour échapper à leurs tortionnaires.
Il leur a fallu attendre le milieu du XXè siècle pour prendre leur revanche. Soumis aux
occupations militaires étrangères depuis des siècles, les bourgeois musulmans sunnites de
Syrie ont commis l'erreur classique des parvenus lors de l'indépendance de leur pays en
1943. Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que l'institution
militaire n'était qu'un médiocre instrument de promotion sociale, ils n'ont pas voulu y
envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé l'encadrement de l'armée de leur tout jeune pays
aux pauvres, c'est à dire les minorités : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites et surtout
Alaouites. Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux persécutés, vous
prenez le risque à peu près certain qu'ils s'en servent pour voler les riches et se venger d'eux.
C'est bien ce qui s'est produit en Syrie à partir des années 60.
Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d'une des plus modestes familles de la communauté
alaouite, devenu chef de l'armée de l'air puis ministre de la défense, s'est emparé du pouvoir
par la force pour assurer la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille
appartient et des minorités alliées – Chrétiens et Druzes - qui l'ont assisté dans sa marche au
pouvoir. Il s'est ensuite employé méthodiquement à assurer à ces minorités – et en
particulier à la sienne - le contrôle de tous les leviers politiques, économiques et sociaux du
pays selon des moyens et méthodes autoritaires dont vous pourrez trouver la description
détaillée dans un article paru il y maintenant près de vingt ans.[2]
Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements
actuels du monde arabe, son successeur se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer
avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance
par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chiites, Ismaéliens et surtout par les
Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d'Irak et des Coptes d'Égypte.
Car, contrairement à la litanie que colportent les bien-pensants qui affirment que « si l'on
n'intervient pas en Syrie, le pays sombrera dans la guerre civile »…. eh bien non, le pays ne
sombrera pas dans la guerre civile. La guerre civile, le pays est dedans depuis 1980 quand un
commando de Frères musulmans s'est introduit dans l'école des cadets de l'armée de terre
d'Alep, a soigneusement fait le tri des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré
80 cadets alaouites au couteau et au fusil d'assaut en application de la fatwa d'Ibn Taymiyya.
Les Frères l'ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie - que l'oncle de l'actuel
président a méthodiquement rasée en y faisant entre 10 et 20.000 morts. Mais les violences
intercommunautaires n'ont jamais cessé depuis, même si le régime a tout fait pour les
dissimuler.
Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie
d'accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très
exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de
sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective.
Peu habitué à la communication, le régime syrien en a laissé le monopole à l'opposition.
Mais pas à n'importe quelle opposition. Car il existe en Syrie d'authentiques démocrates
libéraux ouverts sur le monde, qui s'accommodent mal de l'autoritarisme du régime et qui
espéraient de Bashar el-Assad une ouverture politique. Ils n'ont obtenu de lui que des
espaces de liberté économique en échange d'un renoncement à des revendications de
réformes libérales parfaitement justifiées. Mais ceux-là, sont trop dispersés, sans moyens et
sans soutiens. Ils n'ont pas la parole et sont considérés comme inaudibles par les médias
occidentaux car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage médiatisé du
« dictateur » comme cela a été fait en Libye.
Si vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et audiovisuels, en particulier
en France, vous n'aurez pas manqué de constater que toutes les informations concernant la
situation sont sourcées « Observatoire syrien des droits de l'homme » (OSDH) ou plus
laconiquement « ONG », ce qui revient au même, l'ONG en question étant toujours
l''Observatoire syrien des droits de l'homme.
L'observatoire syrien des droits de l'homme, c'est une dénomination qui sonne bien aux
oreilles occidentales dont il est devenu la source d'information privilégiée voire unique. Il n'a
pourtant rien à voir avec la respectable Ligue internationale des droits de l'homme. C'est en
fait une émanation de l'Association des Frères musulmans et il est dirigé par des militants
islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier
son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L'Osdh s’est installé à la fin
des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et
fonctionne en quasi-totalité sur fonds séoudiens et maintenant qataris.
Je ne prétends nullement que les informations émanant de l'OSDH soient fausses, mais,
compte tenu de la genèse et de l'orientation partisane de cet organisme, je suis tout de même
surpris que les médias occidentaux et en particulier français l'utilisent comme source unique
sans jamais chercher à recouper ce qui en émane.
Second favori des médias et des politiques occidentaux, le Conseil National Syrien, créé en
2011 à Istanbul sur le modèle du CNT libyen et à l'initiative non de l'État turc mais du parti
islamiste AKP. Censé fédérer toutes les forces d'opposition au régime, le CNS a rapidement
annoncé la couleur. Au sens propre du terme…. Le drapeau national syrien est composé de
trois bandes horizontales. L'une de couleur noire qui était la couleur de la dynastie des
Abbassides qui a régné sur le monde arabe du 9è au 13è siècle. L'autre de couleur blanche
pour rappeler la dynastie des Omeyyades qui a régné au 7è et 8è siècle. Enfin, la troisième,
de couleur rouge, censée représenter les aspirations socialisantes du régime. Dès sa création,
le CNS a remplacé la bande rouge par la bande verte de l'islamisme comme vous pouvez le
constater lors des manifestations anti-régime où l'on entend plutôt hurler « Allahou akbar ! »
que des slogans démocratiques.
Cela dit, la place prédominante faite aux Frères musulmans au sein du CNS par l'AKP turc
et le Département d'État américain a fini par exaspérer à peu près tout le monde. La Syrie
n'est pas la Libye et les minorités qui représentent un bon quart de la population entendent
avoir leur mot à dire, même au sein de l'opposition. Lors d'une visite d'une délégation
d'opposants kurdes syriens à Washington en avril dernier, les choses se sont très mal
passées. Les Kurdes sont musulmans sunnites mais pas Arabes. Et en tant que non-arabes, ils
sont voués à un statut d’infériorité par les Frères. Venus se plaindre auprès du Département
d'État de leur marginalisation au sein du CNS, ils se sont entendus répondre qu'ils devaient
se soumettre à l'autorité des Frères ou se débrouiller tout seuls. Rentrés à Istanbul très
fâchés, ils se sont joints à d'autres opposants minoritaires pour démettre le président du CNS,
Bourhan Ghalioun, totalement inféodé aux Frères, et le remplacer par un Kurde,
Abdelbassett Saïda qui fera ce qu'il pourra – c'est à dire pas grand chose - pour ne perdre ni
l'hospitalité des islamistes turcs, ni l'appui politique des néo-conservateurs Américains, ni,
surtout, l'appui financier des Séoudiens et des Qataris.
Tout cela fait désordre, bien sûr, mais est surtout révélateur de l'orientation que les États
islamistes appuyés par les néo-conservateurs américains entendent donner aux mouvements
de contestation dans le monde arabe.
Ce ne sont évidemment pas ces constatations qui vont rassurer les minorités de Syrie et les
inciter à la conciliation ou à la retenue. Les minorités de Syrie – en particulier, les Alaouites
qui sont en possession des appareils de contrainte de l'État – sont des minorités inquiètes
pour leur survie qu'elles défendront par la violence. Faire sortir le président syrien du jeu
peut à la rigueur avoir une portée symbolique mais ne changera rien au problème. Ce n'est
pas lui qui est visé, ce n'est pas lui qui est en cause, c'est l'ensemble de sa communauté qui
se montrera encore plus violente et agressive si elle perd ses repères et ses chefs. Plus le
temps passe, plus la communauté internationale entendra exercer des pressions sur les
minorités menacées, plus les choses empireront sur le modèle de la guerre civile libanaise
qui a ensanglanté ce pays de 1975 à 1990.
Il aurait peut être été possible à la communauté internationale de changer la donne il y a un
an en exigeant du pouvoir syrien des réformes libérales en échange d'une protection
internationale assurée aux minorités menacées. Et puisque l’Arabie et la Qatar – deux
monarchies théocratiques se réclamant du wahhabisme – sont théoriquement nos amies et
nos alliées, nous aurions pu leur demander de déclarer la fatwa d'Ibn Taymiyyah obsolète,
nulle et non avenue afin de calmer le jeu. Il n'en a rien été. À ces minorités syriennes
menacées, l'Occident, France en tête, n'a opposé que la condamnation sans appel et
l'anathème parfois hystérique tout en provoquant partout – politiquement et parfois
militairement – l'accession des intégristes islamistes au pouvoir et la suprématie des États
théocratiques soutenant le salafisme politique.
Débarrassés des ténors sans doute peu vertueux du nationalisme arabe, de Saddam Hussein,
de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, à l'abri des critiques de l'Irak, de l'Algérie et de la
Syrie englués dans leurs conflits internes, les théocraties pétrolières n'ont eu aucun mal à
prendre avec leurs pétrodollars le contrôle de la Ligue Arabe et d'en faire un instrument de
pression sur la communauté internationale et l'ONU en faveur des mouvements politiques
fondamentalistes qui confortent leur légitimité et les mettent à l'abri de toute forme de
contestation démocratique.
Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que les forces politiques
fondamentalistes cherchent à s'emparer d'un pouvoir qu'elles guignent depuis près d'un siècle
n'a rien de particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche l'empressement
des Occidentaux à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques
que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur
résistent.
Prompt à condamner l'islamisme chez lui, l'Occident se retrouve à en encourager les
maneuvres dans le monde arabe et musulman. La France, qui n’a pas hésité à engager toute
sa force militaire pour éliminer Kadhafi au profit des djihadistes et à appeler la communauté
internationale à en faire autant avec Bashar el-Assad, assiste, l'arme au pied, au dépeçage du
Mali par des hordes criminelles qui se disent islamistes parce que leurs rivaux politiques ne
le sont pas.
De même les médias et les politiques occidentaux ont assisté sans broncher à la répression
sanglante par les chars séoudiens et émiratis des contestataires du Bahraïn, pays à majorité
chiite gouverné par un autocrate réactionnaire sunnite. De même les massacres répétés de
Chrétiens nigérians par les milices du Boko Haram ne suscitent guère l'intérêt des médias et
encore moins la condamnation par nos politiques. Quant à l'enlèvement et la séquestration
durable de quatre membres de la Cour Pénale Internationale par des « révolutionnaires »
libyens, elle est traitée en mode mineur et passe à peu près inaperçue dans nos médias dont
on imagine l'indignation explosive si cet enlèvement avait été le fait des autorités syriennes,
algériennes ou de tel autre pays non encore « rentré dans le rang » des « démocratures », ces
dictatures islamistes sorties des urnes.
À défaut de logique, la morale et la raison nous invitent tout de même à nous interroger sur
cette curieuse schizophrénie de nos politiques et nos médias. L'avenir dira si notre
fascination infantile pour le néo-populisme véhiculé par Internet et si les investissements
massifs du Qatar et de l'Arabie dans nos économies en crise valaient notre complaisance face
à la montée d'une barbarie dont nous aurions tort de croire que nous sommes à l'abri.
Nice le 27 juin 2012
Alain Chouet
« Our coverage of the Arab Spring was over-excited, admits BBC » : Head of news admits reporters may have failed
to explore both sides of the story. Countries where regimes were not overthrown were ignored, says BBC Trust
report by former UN director of communications. Two thirds of mobile footage and other user-generated content
was broadcast without any caveats
« La sortie de crise au Sahel passe par une refondation de la relation franco-algérienne » de Richard Labévière.
"Une analyse de la crise syrienne" de Frédéric Pichon in Cahiers EPEE, Xenophon n°24, publié le 29.6.2012.
« Les ambiguïtés du « Printemps arabe » : Texte publié sur les site internet de l’association des anciens des services
spéciaux de la défense nationale ( ) (2011) « Où en est Al-Qaida » : Table ronde au Sénat sur le thème : le
29.01.2010.
« L'Association des Frères musulmans : Chronique d'une barbarie annoncée » (2006) -- « The Association of
Muslim Brothers »
« Introduction à l'Atlas Mondial de l'Islam activiste » (2006)
« Violence islamique : quels acteurs ? quelles menaces ? quelles réponses ? »
« L'Islam confisqué : Stratégies dynamiques pour un ordre statique » (Texte publié en 1994 in « Moyen Orient :
migrations, démocratisations, médiations » sous la direction de Riccardo Bocco et Mohammed Reza Djalili aux
Presses Universitaires de France).