12 Juin 2013
C'était à la Noël 1950, j'avais huit ans, et reçu pour cadeau le livre de Jules Verne Le tour du monde en 80 jours.
Vous en connaissez les personnages et héros. D'abord le flegmatique « so british » Philéas Fogg, membre d'un des clubs les plus réputés de la bonne société londonienne, qui prend le pari de faire le tour du monde en 80 jours, ce qui, à l'époque ( 1872 ) était une performance possible, à la limite, mais hautement improbable. Fogg engage sa fortune tout entière dans l'aventure où l'accompagne son domestique fidèle, et Français, Passe-Partout.
Je n'entreprendrai pas de résumer la palpitante histoire.
Seulement ce passage du roman où Mr Fogg, malgré le temps que cela lui coûte, alors qu'il traverse les Indes, à dos d'éléphants, s'oblige « Nobility obliges » à un long détour pour sauver la jeune et ravissante épouse d'un vieux maharajah défunt, qui selon la coutume chez les brahmanes, en ce temps là, devait être sacrifiée à l'aube du jour suivant, suivant les coutumes religieuses en ce milieu, de l'Inde millénaire.
Evidemment, le gentleman réussira dans son entreprise, dont je ne ferai pas le récit palpitant, pour en venir à mon propos du jour.
Est-il besoin de dire que je fus le supporter ardent du grand Philéas, et accueillis avec soulagement la réussite de son acte héroïque.
En 1950, tout comme en 1842 ( quoique déjà un peu moins ) les occidentaux ne croyaient pas encore, comme de plus en plus actuellement ( ce dont ils mourront peut-être, sauf retour aux sources de la vraie grandeur ) que tout se vaut, que toutes les cultures s'équivalent dans leurs « différ ( a ) nces ». Les Anglais aux Indes admiraient l'architecture, les danses, prenaient en considération ce qu'ils trouvaient d'admirables chez les penseurs de la ( des) tradition hindoue.
Ils n'en combattaient pas moins ce qu'ils appelaient des coutumes barbares.
C'est au nom de ce que nous appellerions aujourd'hui, pompeusement « les droits de l'homme » que Fogg sauva la jeune veuve indienne, Mrs Aouda.
J'ai repensé à cette histoire quand j'ai lu en 1988 le remarquable ouvrage de l'universitaire philosophe américain Allan Bloom : L'âme désarmée ( Julliard ).
Dès son introduction à l'ouvrage, Bloom déplore ce qu'il appelle « la dictature du relativisme ». Evidemment, il faut avoir le sens du relatif. Ce sens est ce qui ouvre l'esprit à la complexité des choses et des âmes, nous apprend à ne pas considérer nos coutumes comme bonnes en soi, et celles des autres comme nulles et à éliminer sans autres forme de procès. Il nous enseigne à nous perfectionner nous même, à nous corriger de nos défauts. Qui dit défaut évoque le plein dont nous sommes privés, et que nous devons chercher à atteindre. En occident, les grands esprits comme Platon, Montaigne, Pascal, et même Nietzsche, pour nous en tenir à ceux-là, nous ont enseigné cette quête par le moyen de l'esprit critique.
Le relativisme est le postulat selon lequel il n'y a aucune vérité ( Sauf...le relativisme...of course ! ). Que chaque civilisation, chaque culture, en tant que telles, porte en soi sa vérité, irréductible à toute autre. Et même, dans sa forme très actuelle, que chaque individu est à lui même la seule référence axiologique ( concernant les valeurs ) en morale en esthétique, etc, et que toute tentative de conversion de l'autre à un point de vue qui n'est pas le sien est une atteinte à son droit d'individu.
Sous cette forme, le relativisme est synonyme de subjectivisme intégral. Nous sommes dans le domaine de l'incommunication intégrale, en conséquence de l'émiettement social, et de l'individualisme absolu.
C'est ce que le pape Benoit XVI, récemment, définissait ainsi : « L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne connait rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs ».
Revenons à Allan Bloom et à ses étudiants.
Ceux-ci donc, pris en main par les médias, vecteurs de l'esprit du temps, par l'éducation qu'on leur a prodigué sous la direction des François Peillon américains, et donc relativistes jusqu'à la moelle des os.
« Bien entendu, écrit Bloom, les étudiants "ne peuvent justifier leur opinion : c'est quelque chose qu'on leur a inculqué comme une doctrine. Au mieux, ils font remarquer la très grande variété des opinions et des cultures qui existent et ont existé dans le monde. De quel droit puis-je dire, de quel droit quelqu'un peut-il dire que l'une est meilleure que les autres ? Si je leur pose les questions de routine destinées à réfuter leur thèse et à les faire réfléchir — par exemple : « Si vous aviez été administrateur britannique en Inde, auriez-vous laissé les indigènes placés sous votre responsabilité brûler une veuve au moment des funérailles de son mari? » — ou bien ils gardent le silence ou bien ils répondent que, d'abord, les Anglais n'auraient jamais dû se trouver en Inde. A vrai dire, ils ne savent pas grand-chose des autres nations, ni de la leur, mais la question n'est pas là. L'objectif de l'éducation qu'ils ont reçue n'était pas de faire d'eux des jeunes gens cultivés, mais des jeunes gens ouverts.
Tout système d'éducation comporte une fin morale, qu'il essaie d'atteindre et qui inspire son programme. Il tend à produire un certain type d'être humain. Cette intention est plus ou moins explicite, plus ou moins réfléchie; mais même les disciplines neutres, comme la lecture, l'écriture et l'arithmétique, occupent une certaine place dans la vision qu'on se fait d'une personne instruite. Dans certaines nations, l'objectif était de former des hommes pieux, dans d'autres de former des guerriers, dans d'autres des gens industrieux; et il y a un facteur important, toujours présent : le régime politique, qui a besoin de citoyens en accord avec ses principes fondamentaux ». ( L'âme désarmée, page 24 ).
Ce que veulent ces étudiants, c'est la satisfaction immédiate de leurs désirs, quels qu'ils soient, au nom des « droits de l'homme » ( la tarte à la crème des pseudos intellos qui donnent le ton à « la télé »).
Mais le relativisme est aussi le thème d'intellectuels célèbres, tel en France l'ancien professeur au Collège de France, Claude Lévi-Strauss.
Dans son récent ouvrage De l'amour ( une philosophie pour le XXI ème siècle, Chez Odile Jacob ), Luc Ferry cite une interview de Levi-Strauss à un journaliste du Figaro, le 22 juillet 1989.
Le journaliste lui ayant posé la question de savoir si la barbarie nazie a signé la fin de la civilisation allemande et européenne, Notre professeur au Collège de France répond :
« Non, l'avènement de la barbarie n'amène pas la fin de la civilisation. Ce que vous désignez sous le terme de barbarie, du point de vue d'une civilisation, est civilisation. C'est toujours l'autre qui est le barbare.
le figaro : Mais ici, il s'agit de l'hitlérisme.
lévi-strauss : Mais eux, se considéraient comme la civilisation. Imaginez qu'ils aient gagné, car vous pouvez bien imaginer cela..
le figaro : II y aurait eu un ordre barbare.
lévi-strauss : Un ordre que nous appelons barbare et qui pour eux aurait été une grande civilisation.
le figaro : Basé sur la destruction des autres.
lévi-strauss : Oui, même si les juifs avaient été éliminés de la surface de la terre (je me place dans une hypothèse du triomphe de l'hitlérisme), qu'est-ce que ça compte au regard des centaines de millénaires ou de millions d'années ? Ce sont des choses qui ont dû arriver un certain nombre de fois dans l'histoire de l'humanité. Si on regarde cette période avec la curiosité d'un ethnologue, il n'y a pas d'autre attitude que de se dire, bon, une catastrophe s'est abattue sur une fraction de l'humanité dont je fais partie et voilà. C'est très pénible pour les gens qui sont juifs, mais... ».
Et voilà, chers lecteurs la raison pour laquelle je considère le relativisme ( non le sens du relatif ) comme le monstre qui nous dévore.
Evidemment, il y a en France, en Europe, aux USA, même, des foyers de résistance à ce délitement général. Je ne crois pas que tout soit perdu. Je crois même que rien n'est jamais définitivement perdu. L'Eglise catholique est un des môles de résistance à cette maladie de l'âme. C'est pourquoi elle est l'objet d'attaques si acharnées de nos adversaires.
Mais le danger qui nous menace est grand. Au nom de quoi lutter contre la consommation de drogue? En arguant que la drogue porte atteinte à ma possibilité de me perfectionner pour tenter d'atteindre le modèle du gentleman, de « l'honnête homme » comme on disait au XVII ème siècle. Mais n'importe quel môme me répliquera qu'il n'en a rien à f... de mon « délire ».
J'ai entendu un gaminet « de rien du tout » ( vous lui eussiez purgé le nez, il en fut sorti du lait. Une sorte de Clémant Méric ) me dire un jour « Kant pense ceci. Mais moi je pense cela ».
Et pourquoi pas? L'argument d'autorité ( c'est vrai parce untel l'a dit ) n'a jamais été celui des philosophes. Et c'est kant lui même qui a écrit : « on n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher ». On peut convaincre d 'erreur Kant ou tout autre. Mais par une analyse, une argumentation, une enquête rigoureuse au sujet de ce qu'a dit ce géant de la pensée, qu'on adhère ou non à sa pensée.
Mais il ne s'agit pas d'argumentation dans le cas du relativisme, qui est un refus de la raison, et de l'idée même d'une vérité universelle. Dans cette perspective que signifie l'expression même de « droits de l'homme ».
Vous êtes contre l'excision des jeunes filles, selon la tradition, contre la lapidation des femmes adultères?
Mais au nom de quoi? D'une idée de l'homme qui, entre parenthèses, est d'inspiration largement chrétienne.
Mais n'est-ce pas de l'impérialisme culturel aus yeux de la débilité relativiste?
Au fait, cher lecteur, qui m'a fait l'honneur, et pris la peine de me lire jusqu'ici, feriez-vous comme Philéas Fogg, et sauveriez-vous Mrs Aouda?
Edouard Boulogne.