7 Décembre 2012
Si, à une heure du jour, n'importe laquelle, - elles parlent toutes à qui peut les entendre, - vous êtes fatigués du bruit, des fausses « bonnes » obligations, des criailleries qui gerbent en myriades de vomissures aux fades odeurs, ne vous sentez obligés, si vous en avez le loisir, par rien d'autres que du souci de votre salut personnel.
Prenez votre voiture, laissez la en lieu sûr, puis partez par la montagne, ou fréquentez les grèves, baguenaudez par les sentiers, de préférence les plus humbles, et les moins fréquentés. C'est de cela que vous avez faim : de contemplation et de paix.
Ce souci, il y a peu, m'imposa ce détour, par le nord de la Grande Terre, ( en Guadeloupe ) vers les falaises de Sainte Marguerite, et j'en revins rasséréné.
Quittez la route départementale, du lieu-dit La Rosette en direction de Petit Canal, et au signalement fléché, engagez-vous vers la plage de Ste Marguerite.
Laissez votre calèche aux premières pentes très abruptes d'un chemin bétonné.
« Prenez vos pieds » comme on dit chez nous, jusqu'à la plage, et engagez vous, sur la droite, dans le petit sentier, qui n'a l'air de rien, mais qui camoufle bien ses pouvoirs pour ne pas trop appâter les âmes de touristes un peu trop communs, qui, comme l'on sait « font » l'ancien cimetière d'esclaves, ( tout proche ) en 10 minutes, comme d'autres « font » le Louvre en une matinée.
Mon sentier est, à première vue, très ordinaire. Rien de commun avec les pistes himalayennes, ou même celles de notre Soufrière, ou de la redoutable ble Pelée de nos amis Martiniquais.
D'où vient qu'il pacifie, régule les vapeurs noires, contrôle l'horloge intérieure. Je vous le laisserai découvrir, en vous signalant toutefois que la sente est prudente et discrète, qu'elle ne parle qu'à ceux qui l'écoutent, et quelquefois l'interrogent, ce qui demande quelques dispositions intérieures, qui s'acquièrent, lentement, au fil des jours, des mois, des ans, par la lecture des poètes, parfois des philosophes, et la patiente écoute d'un J-S Bach, d'un César Franck, du Chopin des « Nocturnes », de Gabriel Fauré, et même d'un Erick Satie.
Peut-être mon écoute » était-elle préparée par de très anciennes lectures comme celle de Martin Heidegger, dont je vous livre ce beau passage : « Mais le chemin ne nous parle qu'aussi longtemps que des hommes, nés dans l'air qui l'environne, ont pouvoir de l'entendre. Ils sont les servants de leur origine, mais non les esclaves de l'artifice. C'est en vain que l'homme par ses plans s'efforce d'imposer un ordre à la terre, s'il n'est pas ordonné lui-même à l'appel du chemin. Le danger menace, que les hommes d'aujourd'hui n'aient plus d'oreille pour lui. Seul leur parvient encore le vacarme des machines, qu'ils ne sont pas loin de prendre pour la voix même de Dieu. Ainsi l'homme se disperse et n'a plus de chemin. A qui se disperse le Simple paraît monotone. La monotonie rebute. Les rebutés autour d'eux ne voient plus qu'uniformité. Le Simple s'est évanoui. Sa puissance silencieuse est épuisée.
Le nombre de ceux qui connaissent encore le Simple comme un bien qu'ils ont acquis diminue sans doute rapidement. Mais partout ces peu nombreux sont ceux qui resteront. Grâce à la puissance tranquille du chemin de campagne, ils pourront un jour survivre aux forces gigantesques de l'énergie atomique, dontle calcul et la subtilité de l'homme se sont emparés pour en faire les entraves de son oeuvre propre.
La parole du chemin éveille un sens, qui aime, l'espace libre, et qui, à l'endroit favorable, s'élève d'un bond au-dessus de l'affliction elle-même pour atteindre à une sérénité dernière,. Celle-ci s'oppose au désordre qui ne connaît que le travail, à l'affairement qui, recherché pour lui-même, ne produit que le vide ».
( Martin Heidegger : Questions III, pp. 12 et 13 ).
Au bout du petit sentier, on débouche sur l'une des falaises du lieu-dit Sainte Marguerite.
Ici encore, nous ne sommes pas à la Pointe du Raz, ni même à la Pointe des Châteaux, dans notre « est » extrême. Seulement à Sainte Marguerite, commune de Petit-Canal. Pas de « grandiosité » pour employer cette tournure populaire créole de notre petite île.
Mais une douce simplicité qui s'impose, malgré les apparences granitiques, ce « simple » dont parle Heidegger et qu'évoque autrement notre Saint-John-Perse : « Comme celui qui se dévêt à la vue de la mer, comme celui qui s'est levé pour honorer la première brise de terre ( et voici que son front a grandi sous le casque ), les mains plus nues qu'à ma naissance et la lèvre plus libre, l'oreille à ses coraux où gît la plainte d'un autre âge, Me voici restitué à ma rive natale...Il n'est d'histoire que de l'âme, il n'est d'aisance que de l'âme ». ( Exil, pp. 130-131, dans l'édition de la Pléïade ).
Voici, chers enfants, nièces et neveux, anciens élèves de générations diverses, de 07 à 60 ans ( ou plus, comme le suggère Hergé ) les petites pensées de ce 07 décembre, que le vieux Papy, vous adresse.
En vous souhaitant de devenir pérégrins, et de vous rencontrer ainsi, un clair matin, qui sait, sur le chemin des sources.
Le vieux Papy,
Edouard.