31 Décembre 2013
La mode! Eternel phénomène social. Quels sont ses ressorts? Souhaitez-vous être à la mode? Ce texte est extrait du livre Libres Paroles, d'Edouard Boulogne, encore à disposition en librairie ( notamment dans les Boutiques de la presse? LS.
( Il suffit d'aller à la plage, pour contempler les ravages de la mode, quand elle possède l'individu - et dans la société de masses c'est la maladie la plus dangereuse, plus mortelle que le sida - ravages bien symbolisés par cette image humoristique. L'humour, le meilleur des préventifs, ou des vaccins. Mais, ces tatouages, étant, pari-t-il indélébiles, qu'en sera-t-il quand, la crise adolescente - mais pas seulement les adolescents - étant passée, l'on voudra bien retrouver une peu virginale, et neuve? ).
«Odi profanum vulgus, et arceo » (Je hais le profane vulgaire, et je m’en écarte).
HORACE.
La mode est un produit, d’abord. Produit de l’intelligence et du savoir-faire de quelques-uns, qui lancent la chose, suscitent le désir de la posséder en un nombre de plus en plus important de sujets témoins. Si la promotion est bien faite, le mouvement initial enflera, fera boule de neige. Chacun voudra être dans le coup, à la mode, si ridicule qu’elle puisse éventuellement être. Mode vestimentaire, culinaire, politique, intellectuelle, etc.
La Bruyère là-dessus a tout dit au treizième chapitre de ses Caractères.
Qui ne se souvient d’Iphis ? « Iphis voit à l’église un soulier d’une nouvelle mode ; il regarde le sien, et en rougit ; il ne se croit plus habillé. Il était venu pour se montrer, et il se cache: (…..) le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour…. ».
Qui ne se souvient d’Iphis ? Question qui situe l’auteur, dans le temps. Car, il y a cinquante ans, n’importe quel gamin de sixième connaissait son La Bruyère, avait lu, voire appris par cœur, et commenté en classe Iphis, Gnathon, l’amateur de tulipe. Quel bachelier aujourd’hui ne confondrait l’auteur des Caractères, avec la bruyère en fleurs auprès de laquelle va se recueillir dès l’aube le poète éploré ?
J’exagère à peine. Et nos lycéens ne sont pas coupables d’ignorer ce dont personne ne leur parle plus. Pourquoi ? Peut-être parce que la société mercantile n’aime guère ce qui peut créer un espace entre l’offre et la demande, entre le prurit de la mode et l’esprit qui scrute et juge. Où irait-on si l’école allait permettre au lycéen de se situer par rapport aux modes, de toutes natures, et d’abord idéologiques, de les relativiser, juger pour ce qu’elles sont ?
Tout cela est sans doute trop cérébral. On créera plutôt un module » « sciences de la vente ». Que voulez-vous, ces petits, il faut bien qu’ils s’épanouissent !
La mode est donc un avatar, de l’esprit grégaire, de l’esprit de foule, un bon révélateur de la futilité de l’esprit humain, de sa faiblesse et de son inconséquence. Car que souhaite l’homme « à la mode » ? Etre original ! Et il se fond dans l’anonymat le plus crasse. Pour en sortir, il ne reste plus qu’à fuir en avant dans la recherche permanente de la nouveauté, qui donnera le ton à la nouvelle mode. Mais, horreur ! comme l’écrit Gustave Thibon « La recherche inconditionnelle de la nouveauté est le plus court chemin vers l’anachronisme ».
Sans aller jusqu’à changer de tenue, ou de goût parce que, par hasard, la mode coïncide un jour avec eux, -l’on tomberait alors dans le conformisme de l’anticonformisme, qui ne vaut pas mieux-, il est permis de préférer aux petits marquis à la mode, de Molière, Alceste, le misanthrope, substituant dans son cœur, aux derniers sonnets « à la mode » qui courent les ruelles du Marais, cette vieille chanson toute simple :
Si le roi m’avait donné Paris
Sa grand’ ville,
J’aurais dit au roi Henri
Reprenez votre Paris,
J’aime mieux ma mie, ô gué
J’aime mieux ma mie !
Pour approfondir.
· La Bruyère : Les caractères.
· Molière : Les précieuses ridicules ; Les femmes savantes.
· Roger Mucchielli : La subversion.