11 Novembre 2013
Cet ancien élève, devenu père de famille, m'appelle au téléphone. Accepterais-je de rencontrer ses deux fils ( des jumeaux ), actuellement en terminale, pour un petit briefring philosophique? Particulièrement sur des questions qui touchent aux problèmes de l'inconscience, de l'inconscient, de la psychanalyse?
Je ne donne pas de cours particuliers. Mais j'accepte, épisodiquement, et à condition qu'il ne soit pas question de rémunération, (« l'argent vicie tout, comme l'inflation », disait un certain professeur d'économie, un peu maniaque ), de donner des « consultations », et dès lors que m'attache au demandeur quelque sympathie particulière, ou quelque lien du sang.
Donc, tope là! Rendez-vous est pris.
Les deux gamins sont sympathiques, ( sûr qu'il ne liront pas ces lignes, je ne corrige pas le mot « gamin »!! ), éveillés, et de leur âge. Vous m'avez compris, contemporains du Scrutateur, toujours d'accord avec lui, pour chercher la petite bête à ces petits c...! dont le niveau baisse, baisse, baisse! Tenez! Vous vous souvenez, en classe de l'échange musclé de y avec....x. Tu crois qu'ils s'raient capables d'une telle conversation?
Eh basta! C'est vrai, et c'est pas vrai. Je le constate, faisant de la philosophie, sans décorum, sans prétention, mais m'efforçant à la rigueur, tâchant de les conduire sans en avoir l'air, à donner un sens précis aux mots, d'abord d'un simple point de vue grammatical, puis peu à peu au plan philosophique ( toutes les sciences ont leur vocabulaire et leur « jargon », la physique, la biologie, la mathématique, etc, la philosophie a le sien, indispensable pour éviter que le dialogue ne devienne pure battologie ).
Je ne dirai pas ce que nous avons dit en deux heures. Ce qui précède était mon entrée en matière pour expliquer mon choix du texte de ce jour, dans la rubrique « page d'écriture » du blog.
Sachez seulement que par delà des propos qui pouvaient s'apparenter à un cours, ( exposé toujours un peu plat, même quand il remplit son office pédagogique ), j'ai essayé d'insuffler aux deux jeunes, et de l'intérêt pour ce qu'ils sont sensés étudier, et de l'esprit critique, un doute méthodique à l'égard des concepts mis en cause. Doute sans lequel, l'esprit, et donc la philosophie, s'envole, et s'en va, à tire d'ailes.
Ainsi par exemple de cet « inconscient » situé au coeur de la doctrine freüdienne, et dont les oreilles étaient si rebattues au temps de ma jeunesse estudiantine à Paris, au temps du cher Lacan, et de l'école freüdienne de Paris.
Je n'ai pas eu le temps ( deux heures, cela passe vite ) d'évoquer avec eux, un penseur qui m'est devenu précieux au fil des années : Georges Steiner, penseur brillant et profond, de cette race de grands esprits « juifs » européens ( dont Stephan Zweig fut jadis un prototype ), né à Paris, de parents venus d'Europe centrale, ayant fui vers l'Amérique pendant la seconde guerre mondiale, devenu professeur à Cambrigdge, Génève, auteur d'une oeuvre considérable, de critique, et de romancier.
En 1991, Steiner donna au journal Le Point une interview, dont je n'ai pas eu le temps de parler à mes jeunes interlocuteurs, mais que voici pour les lecteurs du Scrutateur.
Il y exprime ses réserves sur la psychanalyse ( du moins celle de Freüd ), sur les thèses de celles-ci sur l'origine des névroses.
Il va même jusqu'à émettre, lui le juif, l'idée que le sacrement catholique de la confession, du sacrement de la « réconciliation », est plus riche et plus profond que la cure psychanalytique.
C'est assez étonnant, et digne d'être lu, que l'on soit convaincu ou non.
Voici l'extrait important de l'interview du Point.
( …. ) « La psychanalyse ne trouve pas grâce à vos y eux. Vous la comparez même aux pratiques exorcistes telles que les a connues le XVIIe siècle.
C'est peut-être même moins intéressant que l'exorcisme qui avait derrière lui une grande vision théologique... Pour moi, la dignité même d'un homme ou d'une femme, c'est le secret. Il y a un livre que personne ne lit en France, qui est mon pays -je suis parisien - c'est le livre d'un homme dont on ne veut pas parler: il s'agit de Pierre Boutang. Il a écrit « L'ontologie du secret » un des chefs-d'œuvre de notre siècle. Je signe ce mot.
Porter en soi le grand secret d'une angoisse, d'une faillite intérieure, d'une défaite terrible, d'une pathologie du désir ou du manque, la porter chaque heure en soi, c'est une des choses les plus importantes pour un être humain. Alors, pour moi, aller raconter à autrui ce qui vous pèse le plus, ce qui vous trouble le plus, vous désarçonne, vous déboussole, angoisse, obsède, c'est une défaite terrible. Sachant surtout qu'il vous faut payer pour qu'on vous entende... Dans la confession -je suis juif et pas catholique - il y a pour le croyant la présence de Dieu. C'est un jeu à trois, et non pas à deux. Ensuite, on ne paie pas un prix pour l'écoute. C'est une grâce gratuite... ( souligné par le Scrutateur ).
Deuxième point: une très belle blague yiddish se raconte ces jours-ci à New York - les blagues yiddish sont notre Talmud actuel, et le plus grand talmudiste d'aujourd'hui, c'est Woody Allen; il y a chez lui des jeux d'esprit d'une profondeur vertigineuse. La blague est la suivante. Un monsieur tue son père et sa mère avec un couteau. On l'amène devant le juge, qui lui demande: « Avez-vous des circonstances atténuantes ? - Oui, monsieur le juge, je suis orphelin... » Pour moi, c'est toute la psychanalyse. Tout comprendre, c'est tout pardonner. Pas pour moi. Tout comprendre, c'est pardonner de moins en moins, hélas.
Vous refusez l'intervention de la psychanalyse pour « expliquer » l'euvre d'art
II me faut d'abord vous rappeler que Freud refusa d'analyser Rainer Maria Rilke, qui était victime d'un , « blocage ». Onze années durant^le poète n'écrit plus. Freud le prévient: « Attention ! si je vous analyse, vous n'arriverez plus à créer.» Freud a eu ce scrupule magnifique et stoïque. L'explosion, plus tard, donnera chez Rilke les chefs d'œuvre que sont les « Sonnets d'Orphée » et les « Elégies de Duine ». Bien sûr, après cela, Rilke meurt d'épuisement total. Mais, auparavant, il a créé des livres qu'il n'aurait pas pu nous donner s'il avait été analysé. Freud était convaincu que l'analyse aurait détruit cette terreur d'où est finalement venue cette œuvre ».
Le point, n°961 du 18 février 1991 p. 86 . Entretien avec Jean Pierrard
Et puisqu'il est question du diable, de Satan, je propose pour ceux qui ont encore la force de lire quelques pages, l'écrit que j'ai consacré à ce « sinistre » personnage, et que j'avais jusqu'ici disposé dans la Chrestomathie du Scrutateur, une rubrique insuffisamment explorée.
Satan :
(2004) : Satan :
( Cet article est l'un des chapitres de mon livre "Libres paroles" paru aux éditions Guadeloupe 2000, en 2004).
« Le sceptique est le désespoir du diable. C’est que le sceptique, n’étant l’allié de personne, ne pourra aider ni au bien ni surtout au mal. Il ne coopère avec rien, même pas avec soi
».
CIORAN.
* Deux approches du diable.
En cette fin d’un 20è siècle de progrès, de lumières, de science, comme chacun sait ( ! ), est-il possible, encore, de croire au Diable. Satan ne serait-il pas plutôt le résidu d’un Moyen
âge enténébré, religieux, obscurantiste en diable (si j’ose dire) comme nul esprit « moderne » ne devrait l’ignorer ?
C’est ce qu’affirme et s’efforce de démontrer dans son « Histoire générale du Diable » parrue récemment aux éditions Robert Laffont, Gérard Messadié. Quatre cent quatre-vingt dix pages, à
vrai dire fort décevantes, tant Messadié réduit la problématique de son sujet à l’esprit d’une loge maçonnique de sous-préfecture quant au fond, et à l’humour discutable d’une « sœur Florence des
petits pieds », du Canard Enchaîné, quant au style. On dirait d’un Charasse reconverti dans l’étude de l’histoire ; même verve hoquetante, même esprit empuanti de vapeurs noires. « Le Diable,
écrit notre auteur dans son introduction, est même scandaleusement absent des grands moments de ces derniers siècles. On n’a jamais vu sa queue, ni ses cornes, lors de la Révolution française
(sic), ne de celle d’octobre 1917. On ne l’a vu ni à Hiroschima, ni sur la lune, pas plus qu’on ne l’avait vu dans le laboratoire de Pasteur, ni dans le bunker de Hitler (resic). On l’eut attendu
au Cambodge, quand y sévissait Pol Pot, et à Sarajevo, quand des femmes et des enfants se faisaient fusiller par des francs-tireurs de la même ville. On n’a vu là que l’expression des passions
humaines. ».
Que le Diable puisse être pour quelque chose dans ce déchaînement de passions humaines, voici qui n’effleure pas monsieur Messadié. Jamais vit-on esprit plus enfoncé dans la matière,
historien plus aveugle et sourd ? C’est dans sa conclusion que notre homme donne toute sa mesure. Le Diable qui n’existe pas, est encore invoqué, évoqué aujourd’hui. Par qui ? Pour quoi ? Quelle
est sa fonction ? Je vous le donne en cent ! Je vous le donne en mille ? Par Jean-Paul 2, voyons, et par ses séides, et…. pour « brider la sexualité » ! Voilà pourquoi votre fille est muette !
Fermez le ban Lisez plutôt la prose de notre vénérable de sous préfecture : « chez les chrétiens, on le sait depuis Saint Paul, avorton comme il se définit lui-même, l’usage du système génital
n’est autorisé que dans le cadre du mariage, et encore à la condition que ce soit em….bêtant (sic). Il faut bien qu’à la fin on le reconnaisse, le grand souci des Eglises a été de contrôler et
codifier l’acte sexuel, et jusqu’aux positions licites. (… ). C’est donc pour cela qu’on maintient Satan en vie, (….) c’est l’épouvantail qui sert à brider la sexualité ».
Après ces pages de pesant et tout à fait classique anticléricalisme, résurgence du temps de Zola et du petit père Combe, il faut faire une cure de Frossard. De-Pierre-Boulle.jpg ( Pierre
Boulle est un romancier français contemporain, auteur - entre autres - de l'immortel "Pont de la rivière Kwai, et de "un métier de seigneur"). Ce livre "A nous deux Satan", n'est qu'un roman,
mais fort documenté, et je crois pouvoir en recommander la lecture à ceux qui s'intéressent au sujet de l'article ci-contre).
Le livre de poche vient de rééditer de cet auteur Les 36 preuves de l’existence du diable que je relis à l’occasion de cette petite étude, dans sa première édition de 1978.
Il s’agit d’un livre éblouissant et profond à la fois, où Frossard, loin du bazar fracassant et nauséabond où se complait trop souvent le « prince de ce monde », nous présente, sous la
fiction de 36 lettres à lui adressées par le Diable, les preuves évidentes de l’action satanique dans le monde contemporain. Le malicieux Frossard réussit, l’exploit n’et par mince, à capter un
temps la confiance du Malin, qui, un peu vantard, lui confie quelques uns de ses tours, de ses horribles farces et attrapes, avant de se découvrir trompé, dans une 36è lettre aigrie. Frossard
nous rappelle Que ? tout déchu qu’il est, Satan est aussi Lucifer, l’ange de lumière capable, mieux qu’Ulysse, de mille et une diableries, plus subtiles les unes que les autres. Dans ses lettres,
Lucifer nous apparaît avec, tour à tour, la subtilité perverse d’un maître Jacques Vergès, et la coquetterie un peu fofolle du serpent Kaa dans le « Livre de la jungle » de Walt Disney. Il
révèle, par exemple, à Frossard son insidieuse et pénétrante action sur une partie importante de l’Eglise post conciliaire, sur nombre de nos révérends pères « modernes » et dans le vent. Jugez
plutôt (11è lettre) : Je les félicite aussi de vous faire chanter tous les dimanches « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, » etc. Sous le coup de la
révélation, les chrétiens des premiers temps eussent probablement inversé l’ordre des verbes, et célébré la mort pour proclamer la résurrection, tant il leur semblait que celle-ci fût l’annonce
la plus intéressante qu’ils eussent à faire. Il faut dire qu’ils y croyaient encore. Vous préférez « proclamer » la mauvaise nouvelle, en vous contentant de « célébrer » la bonne : vous pensez
bien que je n’y vois aucun inconvénient. Après « la mort de Dieu », celle de Jésus-Christ est une proclamation bien agréable à entendre. Lorsque vous aurez joint le Saint-Esprit au convoi, je
m’estimerai comblé ».
Je ne peux résister au plaisir de transcrire encore la 24è preuve qui me requiert particulièrement en cette période de synode diocésain(cf l’article Foi et politique), où la politique
interpelle si fort la foi des catholiques de Guadeloupe (à moins que ce ne soit ce qui en tient lieu à une fraction « marchante » de leur clergé) : « 24è preuve : vos évêques ont décrété naguère
que la politique s’inscrivait désormais « parmi les fins dernières de l’humanité » (assemblée des évêques de France, à Lourdes, 1972, note de l’auteur). Inutile de vous dire combien j’ai apprécié
la formule. J’avais eu bien du regret à me séparer, in extremis, de Charles Maurras qui, sur la fin de sa vie, m’avait indignement lâché pour faire sa soumission à l’Eglise catholique,
apostolique, et romaine. J’ai vu avec plaisir l’institution qui l’avait jadis rejeté, reprendre à son compte le « politique d’abord » qui avait été le motif principal de sa condamnation. Car je
pense que vous ne vous y trompez pas : c’est bien de « politique d’abord » qu’il s’agit ; car dans l’ordre de la pensée religieuse, les fins dernières sont au commencement ». 1
A regret, quittons Frossard –qu’il faut lire intégralement (Albin Michel, et le Livre de poche)- pour aborder la question du Diable sous une face non davantage sérieuse (sous son badinage
apparent, Frossard est sérieux), mais à la fois plus analogique, plus traditionnelle et plus sombre.
*Le témoignage des exorcistes.
Auteur de plusieurs ouvrages, journaliste, spécialiste des questions religieuses, François Dunois-Cassette, qui collabore à Pèlerin Magazine, à Vermeil, et Femme Actuelle, a publié en
1993, chez Robert Laffont, une enquête bien documentée et fort intéressante sous le titre : Les prêtres exorcistes. Exorcistes.jpg
Satan existe-t-il ? Qu’en est-il des cas dits de possession diaboliques, ou, comme dans le film célèbre L’exorciste, Satan s’installe en quelqu’un, pour le faire souffrir et se
l’approprier ? S’agit-il de superstitions, de phénomènes relevant de la psychiatrie, ou au contraire de tristes et sinistres réalités ?
L’accent mis sur le satanisme a beaucoup varié selon les époques. Après le Concile Vatican 2, pour des raisons nombreuses et complexes, qui ne sont pas toutes médiocres, sinon l’Eglise
catholique, du moins une partie de son clergé – disons, au sens large, moderniste- avait mis ces questions sous le boisseau. L’Eglise semblait avoir abandonné celle de ses fonctions à laquelle
rendait hommage, dans les années 30, un célèbre médecin psychiatre, athée pourtant, celle d’une utile « police du merveilleux ».
En 1993, pourtant (ou à cause de cela ?), magnétiseurs de toutes sortes, sorciers et marabouts pullulent, en même temps que se multiplient les phénomènes étranges, autrefois attribués au
Diable. Et comme dans le fascinant film de Polanski, « Rosemary’ s Baby » sévissent les sectes sataniques.
Comme l’écrit Dunois-Cassette, « au siècle des ordinateurs et des psychiatres, le diable est plus populaire que jamais. Le Malin est de retour, c’est un fait. Nos sociétés modernes
l’avaient mis à la porte, il est revenu par la fenêtre ». 40.000 voyants et sorciers exercent actuellement en France, 500 pratiqueraient la magie noire à Paris. Dix millions de Français
consultent chaque année les mages et les voyants.
Du coup, l’Eglise catholique se penche à nouveau sur une question qu’elle avait peut-être trop légèrement considérée, pour éviter les sarcasmes d’une intelligentzia snob et superficielle,
coupée des réalités.
Il y avait moins de 10 exorcistes en France en 1970, ils sont une centaine actuellement. L’exorciste est un prêtre nommé dans un diocèse par l’ordinaire du lieu (c’est-à-dire l’évêque),
dit le Code du Droit canonique, qui précise (Canon 1272, alinea 2) : Cette permission ne sera accordée par l’ordinaire du lieu qu’à un prêtre pieux, éclairé, prudent, et de vie intègre
».
Il a pour charge de recevoir les possédés ou supposés tels, d’examiner leur cas, de discerner s’il s’agit bien de possédés de possédés du diable ou s’ils relèvent de la médecine classique
et de la psychiatrie.Tonqu--dec.jpg
Le discernement, difficile, s’opère au moyen de critères précis, dégagés peu à peu de l’expérience. Dans un suggestif petit livre dont nous reparlerons plus loin, un spécialiste, le père
Joseph de Tonquèdec, en 1938, en énumérait les principaux : Que l’exorciste sache quels signes distinguent le possédé des sujets que travaille la mélancolie ou quelque autre maladie. Les signes
de la présence du démon sont les suivants : parler une langue inconnue, en employant plusieurs mots de cette langue, ou comprendre quelqu’un qui la parle, découvrir ce qui se passe à distance ou
est caché ; déployer des forces disproportionnées à l’âge ou à l’état naturel du sujet, et autres choses du même genre. Et quand ces signes s’accumulent, ils font une preuve plus forte
».
L’exorcisme, c’est la prière, et l’exhortation faite au Malin, au nom de l’Eglise, de quitter et de libérer sa victime. On en trouvera des exemples détaillés dans le livre de monseigneur
Christiani Présence de Satan dans le monde moderne (éditions France Empire) et, dans une moindre mesure, dans le livre de Dunois Cassette dont nous parlons présentement.
Ce livre rapporte les témoignages, sur leurs expériences dans la France contemporaine, de neuf exorcistes, dont on découvre qu’ils sont loin de procéder aux mêmes analyses du phénomène.
En simplifiant forcément, je distinguerai parmi eux deux courants, l’un « traditionnels », l’autre plus « moderniste ».
Les modernistes ont tendance à minimiser, voire à évacuer le « diabolisme », et à médicaliser, à « psychiatriser » le vécu pathétique de leurs patients. « Quand une personne ne se sent
plus maître chez elle, ni de ses pensées, déclare par exemple le père G, ni de son comportement, elle se pense habitée par quelqu’un d’autre, par un démon qui agit à sa place, manipule ses
gestes, ses paroles. Les progrès de la médecine nous ont aidé à comprendre le phénomène, à démystifier l’inexplicable et le diable par la même occasion ».
Frappent dans les propos du père G (pp : 231 à 239) une réelle générosité, une sensibilité extrême, peut être même, m’a t-il semblé une dangereuse fragilité affective. Il est aumônier
d’hôpital psychiatrique, et il multiple les anecdotes : « Au cours d’une célébration, je parlais de la trinité. De l’amour de Dieu, présent dans nos cœurs… Une malade, au premier rang, les
cheveux sur le visage, la démarche raide, s’approche de l’autel. Je lui tend la main. Elle me sourit, vient contre moi et pose la tête au creux de mon épaule. Et j’ai continué ainsi mon homélie,
j’ai continué à parler de l’amour de Dieu, de l’amour des frères, avec cette femme, la tête posée contre ma joue, vêtue d’un méchant peignoir, le visage abîmé, défiguré par la maladie
».
Image touchante et belle dont on aurait tort de sourire, mais qui , confrontée au reste du témoignage du père G, me laisse le sentiment qu’il n’est pas taillé pour ce ministère là. Et
qu’il confond aussi la maladie mentale et la possession, influencé qu’il est par certains médecins de son entourage et certaines modes intellectuelles.
« Le reproche, dit-il, que je fais à l’Eglise, c’est ce doute, cette méfiance qu’elle entretient à l’égard des sciences humaines ». Or ce reproche est en grande partie injustifié. Je
possède un petit ouvrage édité dès 1938 (éditeur Beauschesne), par le père Joseph de Tonquèdec, éminent jésuite, exorciste du diocèse de Paris, et aumônier durant 20 ans de l’hôpital
psychiatrique de Sainte Anne, ouvrage intitulé : Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, . Dans sa préface, l’auteur écrit : « En lisant la description qui précède,
tout médecin psychiatre ou neurologue, toute personne tant soit peu au courant de la pathologie mentale pensera naturellement à des phénomènes morbides, à ce que l’on observe journellement dans
les psychoses ou dans les névroses ? Entre le tableau de la possession et certains tableaux cliniques, les ressemblances sont frappantes. (…)Il importe aussi bien à la théologie, qu’à la médecine
de ne pas confondre les deux aspects du phénomène. Ce serait une erreur de croire que l’Eglise ne s’en préoccupe pas et range aveuglément dans la catégorie des possessions ce qui est susceptible
d’une explication médicale ».
Les 240 pages de l’ouvrage constituent un remarquable petit traité de psychopathologie à l’usage du clergé et des chrétiens cultivés. Il est dommage que le père G semble ignorer de tels
travaux. Comme trop de prêtres « dans le vent », pour se faire accepter de gens qui les vomissent, ils dénigrent leur famille spirituelle et vouent un culte à des théories des sciences humaines
qu’ils ignorent le plus souvent, et dont ils verraient bien dans le cas contraire que leurs principes trop souvent excluent a priori toute spiritualité.
Pour ne parler que de psychologie, à quel courant se réfère le père G. pour comprendre les phénomènes de possession dont il est censé être un spécialiste ? Au courant behavioriste et
expérimentaliste ? Mais cette tendance réduit le comportement au couple stimulus-réponse et la psychologie est une simple réflexologie.
A la psychanalyse freudienne ? A cet égard un ouvrage de Peter Gay, professeur à Yale, qui vient d’être édité aux presses universitaires de France Un juif sans Dieu – Freud et la
naissance de la psychanalyse pourrait l’éclairer. On peut lire dans la présentation de ce livre : « en un temps où une tendance à la religiosité – avec son corollaire, le fanatisme- se manifeste
en divers points du globe et n’épargne point le mouvement psychanalytique, l’essai de Peter Gay apparaît nécessaire : c’est en tant qu’athée que Freud a pu développer la psychanalyse ; c’est à
partir de cette position qu’il a écartée comme vaine toute tentative d trouver un point commun entre foi et incroyance ; c’est enfin parce qu’il était juif athée qu’il a pu faire ses découvertes
».
Dans son enquête, François Dunois Cassette rencontre d’autres prêtres exorcistes aux points de vue bien différents, dont beaucoup travaillent d’ailleurs avec des psychiatres ou des
psychologues, et en équipe, mais sans perdre leur liberté de mouvement. Ce sera pour le lecteur l’occasion de découvrir des faits extraordinaires et effrayants que je ne peux qu’évoquer ici,
telle cette maison de M. F. Claude « qui a brûlé de l’intérieur, sans flammes. Rien qu’un énorme dégagement de chaleur. Sans raison. La maison s’est consumée, ou plus exactement elle a fondu ».
Phénomène attesté, parmi beaucoup d’autres, et comparable aux phénomènes paranormaux montrés dans le célèbre film « L’exorciste ». On pourra les découvrir en lisant l’ouvrage. Pour ma part, je
préfère insister sur les succès, ( guérisons, délivrances) des exorcismes dans les cas de possessions avérés, et sur ces propos qui reviennent chez tous ces prêtres, par delà leurs divergences,
comme un leitmotiv : « La première tâche du prêtre exorciste est de libérer les gens de la peur » (père C, page 159), ou encore « l’action du démon est habituellement liés au péché. Cependant, il
existe d’autres causes particulièrement pernicieuses, favorisant l’infestation : les pratiques occultes, les dépendances aliénantes (drogue, alcool) , les dépravations sexuelles, la divination,
l’ésotérisme, un certain athéisme militant et sectaire, les pactes sataniques, ainsi que la magie noire et la sorcellerie ». (Idem, page 143).
Le point de vue qui m’a paru le plus équilibré, le plus proche de ce que personnellement je crois ou espère, est celui du père Leneuf, exorciste du diocèse de Dijon. Pour lui, la religion
n’est pas la magie. L’écoute est, sans doute, le besoin le plus urgent de notre temps. Faut-il personnaliser le démon ? Question difficile, impossible à résoudre en quelques pages, et peut-être à
résoudre tout simplement. L’important est de rappeler que Jésus est le plus fort. Le démon est le plus souvent dans la banalité de la haine, de la jalousie, de la médiocrité quotidiennes.
L’exorcisme pour les cas extrêmes, mais surtout exalter le désir de se battre pour développer le courage, l’espérance, la confiance, les vertus évangéliques, dans la prière
notamment.
« On ne peut faire totalement abstraction des forces obscures qui travaillent le monde et l’homme. C’est très mystérieux, mais ces forces sont présentes. Certains veulent personnaliser le
démon. C’est plus facile pour en parler, mais cela gène. Je préfère parler de forces. (….). Je ne crois en l’existence du diable que parce que sa présence est attestée dans l’Evangile. Jésus l’a
rencontré… Quant à savoir s’il exerce aujourd’hui une présence quantifiable, mesurable, je ne sais pas. En fait, je n’exclus rien ».
Ce point de vue d’un homme de terrain me paraît judicieux et sain..
Edouard Boulogne.
( Si l'on en croit l'exorciste monseigneur Jean Christiani, dans son livre "Présence de Satan dans le monde moderne", chaque fois que triomphent la haine, l'envie, la jalousie,
chaque fois que le sang coule à flots, que le meurtre s'institue comme la banalité d'un moyen politique ordinaire, Satan est là. Force est de reconnaître alors qu'il est bien présent partout, et
sous les formes les plus subtiles, les plus paradoxales. Et, l'écrivant, je m'exprime en toute lucidité, l'esprit libre de toute représentation terre à terre, ou infantile, une prière, pourtant
au bord des lèvres.
La photographie ci-contre a été prise en avril 2006 lors d'une visite au Mémorial des morts de Verdun, sur les lieux même de la terrible bataille qui dura toute l'année 1916 et fit des
centaines de milliers de morts, autant de blessés, du corps et de l'âme. En ce lieu aujourd'hui si calme, où flannent les touristes, des millions de tout jeunes gens, Français et Allemands,
s'affrontèrent sans merci, dans la boue puante des tranchées, dans le sang, dans les larmes, dans la puanteur des cadavres des copains en décomposition, dans le vrombrissement des mouches. Oui,
Satan était là!).
Pour approfondir.
* Gérard Messadié : Histoire générale du diable. (Robert Lafont).
* André Frossard : Les 36 preuves de l’existence du diable. (Albin Michel et Le livre de poche).
* François Dunois Cassette : Les prêtres exorcistes. (Robert Laffont).
* Joseph de Tonquèdec : Les manifestations nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques. (Beauschène).
* Monseigneur Cristiani : Présence de Satan dans le monde moderne. (Editions France Empire).