Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
4 Février 2010
Ah! Ces békés! par Jean
Lafosse-Marin.
( Le texte que l'on va lire date de quelques mois. Nous avons attendu que les tensions s'appaisent pour en rendre plus facile
la compréhension par les hommes de bonnes volonté. Le titre ( on l'aura deviné) est du Scrutateur).
1
Jean LAFOSSE-MARIN
Sèvres le 20 avril 2009
10, rue de la Borne au Diable
92310 Sèvres
jean.lafosse-marin@wanadoo.fr
P. Vincent Cabanac
et l’équipe de rédaction
La Documentation Catholique
18 rue Barbès
92128 Montrouge Cedex
Monsieur l’Abbé et toute l’équipe de Rédaction,
Depuis de nombreuses années je suis abonné et lecteur attentif de la Documentation Catholique. J’y
trouve l’essentiel des textes de l’Eglise et des déclarations des autorités ecclésiales pour alimenter ma
réflexion et ma foi. Mon attention a été retenue par la note (1) de la page 303 du dernier numéro, N° 2420
du 15 mars 2009, liée à la lettre pastorale de Mgr Méranville.
Vous écrivez au début de cette note :
« Les békés sont des créoles blancs, descendants des
esclavagistes qui avaient colonisé la Martinique au XVIIe siècle. Ils représentent à peine 2 % de la
population et détiennent la plupart des richesses de l’île. »
Surpris, je vous demandais, par lettre du 31 mars dernier, de m’indiquer vos sources : « d’où tenezvous
cette définition des « békés » ainsi que leur proportion et le niveau de leurs propriétés » ? J’aurais
souhaité connaître votre réponse.
Je dois vous dire combien je suis consterné par le contenu et la formulation de cette note. Je le suis
encore plus comme chrétien ; je suis triste, vraiment, que de tels termes et déclarations, aient pu être écrits
dans une revue dont l’objet est de porter les paroles d’amour et de fraternité de l’Eglise. Enfin comme
« béké » ; j’y vois, ainsi que des personnes de mon environnement, pas nécessairement « békés »,
l’expression d’une totale méconnaissance, voire d’une hostilité, d’autant plus vive que ces propos sont, je
vais vous le démontrer, infondés. Nous y voyons même l’expression d’une incitation à la haine contre
eux, … haine raciale ?
Voici donc lancé au monde francophone, aux chrétiens et aux intellectuels ouverts aux événements et
aux déclarations catholiques, par une revue catholique qui fait autorité, un commentaire erroné, sans
nuance, non étayé, qui de plus, par les termes utilisés, apparaît porteur de rancoeurs, voire de haine.
Je regrette d’avoir à être un peu long, mais cela me paraît nécessaire.
D’où tenez-vous cette définition des békés ? Je ne la retrouve nulle part, hors des ragots médiatiques
diffamants.
En effet, les dictionnaires Larousse et le Petit Robert définissent le « béké » par :
« Créole2
martiniquais ou guadeloupéen descendant d'immigrés blancs »
« un blanc et plus spécialement : blanc par opposition à noir ». Si l’on se tourne du côté de
1
Le texte complet de la note est : « Les békés sont des créoles blancs, descendants des esclavagistes qui avaient colonisé la Martinique au
XVIIe siècle. Ils représentent à peine 2 % de la population et détiennent la plupart des richesses de l’île. Mgr Méranville fait ici allusion à
l’émoi provoqué en Martinique début février par les propos hostiles au métissage tenus dans un reportage du Canal + par le béké Alain
Huyghues
2
‐ Selon le Larousse le mot créole vient de l’espagnol criollo et du portugais crioulo, signifiant « Noir né dans les colonies ». « Se dit d'une
personne dont les ascendants sont originaires d'Europe et qui est née dans les anciennes colonies européennes. »
‐
Pour le Nouveau Petit Robert « Créole, n. et adj.‐1670 ; altération de criolle, criollo a 1643 ; de l’espagnol Criollo, du portugais crioulo
« serviteur nourri dans la maison
‐
Voir http://www.touscreoles.fr/index.php?2008/07/24/17‐la‐signification‐du‐terme‐creole‐a‐t‐elle‐evolue qui s’interroge sur l’usage actuel
de ce mot.
‐
Le Littré discute ce mot de façon intéressante et indique que « Les enfants des Espagnols qui sont nés aux Indes sont appelés criollo ou criolla;
les nègres donnaient ce nom aux enfants qui leur étaient nés aux Indes, pour les distinguer de ceux qui étaient nés dans la Guinée, leur
patrie.... les Espagnols ont emprunté d'eux ce nom
, GARCILASO DE LA VEGA, Hist. des Yncas, t. II, p. 460, trad. française par J. Baudoin, 2 vol.
in
‐12, Amsterdam, 1704‐12, Amsterdam, 1704. »
‐12, Amsterdam, 1704
3
Elodie Jourdain, dans le second volume de sa thèse d’Etat de lettres à la Sorbonne : « Le vocabulaire du parler créole de la Martinique » Lib.
C.KLINCKSIECK, 11 rue de Lille, 1956, page 171. Les notes 1 et 2 discutent longuement les étymologies des mots « béké » et « Créole ».
2
la littérature à travers, par exemple, le lexique des particularismes lexicaux de Joseph Zobel (1915-2006)
4,
un auteur antillais contemporain qui fait autorité, il ressort qu’il parle de « béké » pour dire
« blanc
créole »
5.
Ainsi nulle part, dans les références sérieuses, on ne trouve votre définition du «béké ». Pourquoi
l’avoir ainsi formulée ? Quelles sont vos motivations ? L’avez-vous réfléchie ?
Votre note étiquette brutalement les « békés », sans complaisance ni précision, d’un terme en
« iste », qui n’est dans aucune de leurs définitions et dont on connaît tout le poids négatif et péjoratif
par les siècles d’horreurs que ce terme transporte. Pourquoi ?
Ici, l’emploi du mot
« esclavagiste » appliqué aux seuls « békés » laisse entendre qu’ils portent toutes
les responsabilités de l’esclavage aux Antilles, qu’ils sont les seuls coupables et qu’ils sont encore, dans
ces départements, pourtant régis et contrôlés par les lois de la République Française, dans la mouvance de
ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle et demi et qui est interdit depuis dans tous les pays du monde.
C’est ce que ressent le lecteur, qu’il fasse ou non preuve de sens critique. Est-il sérieux de laisser penser
que perdurent, dans ces départements français, des comportements,
« des méthodes d’une autre
époque
»6, au nez et à la barbe de l’Etat Français, du Préfet de région, du Procureur de la République, des
sénateurs et députés élus par la population, qui retrouvent régulièrement leurs homologues dans les
Assemblées, des Présidents de la République qui visitent fréquemment ces départements et y font même
des réunions de chefs d’Etats ? Au nez et à la barbe des milliers de touristes qui s’y rendent régulièrement
et des congressistes qui y viennent pour des colloques internationaux ? Cela signifierait alors que l’Etat
Français, avec la complicité des descendants des colons, a maintenu et entretient dans les DOM, malgré
l’abolition de l’esclavage et leur statut de département, un
« système d’économie des plantations »,
comme cela est précisé dans le préambule de l’Accord Jacques Bino, signé en présence du Préfet qui
d’ailleurs n’a pas, à notre connaissance, officiellement désapprouvé ces termes. N’est-ce pas insensé ? Le
leader du LKP s’est exprimé sans détour :
« Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir
l’esclavage ».
Personne ne s’insurge. Dans quel monde vivons-nous ? Alors que les conventions
collectives du travail elles-mêmes sont strictement celles négociées et appliquées en Métropole. Il est
surprenant, n’est-ce pas, que se laissent prendre à ce type de propos des personnes en responsabilité ou
présentées comme faisant moralement ou intellectuellement autorité
7.
Le mot
« esclavagiste » contient en lui-même, à juste titre, un poids énorme de dénigrement ; appliqué
aux « békés » d’aujourd’hui, est-ce fondé ? Est-ce honnête ? Est-ce chrétien ? Ce n’est pas seulement
réducteur et stupide, c’est faux. Si vous vouliez vraiment les situer par rapport à la colonisation et à
l’esclavage, il aurait été plus juste d’écrire, par exemple:
« les békés sont des créoles blancs, descendants
des colons immigrés aux Antilles, arrivés au cours et après la colonisation européenne et l’esclavage»
.
Qui sont les « békés », ces « créoles blancs » dont vous parlez ? Ils descendent8 de différents types
de colons
9, arrivés d’Europe tout au long de la colonisation, laquelle ne s’est pas arrêtée à l’abolition de
l’esclavage. Dans les premiers temps, il y eut quelques nobles cadets de famille, mais surtout des marins,
des soldats, des commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, des engagés (blanc travaillant 3 ans sur une
plantation), des indigents envoyés de force aux Antilles. Les femmes, peu nombreuses au début de la
colonisation, étaient pauvres et de milieu modeste ; certaines, orphelines, étaient aussi envoyées de force.
Certaines familles « békés » descendent également d'étrangers tels que des hollandais de confession
protestante, chassés du Brésil, qui amenèrent la culture de la canne à sucre. Il y eut aussi des anglais,
envoyés pendant les périodes où l’Empire colonial britannique possédait l’île.
A la Guadeloupe, les « békés » de la période de l’esclavage furent en grande partie massacrés en 1794
sous la dictature de Victor Hugues, alors commissaire de la République. Ainsi les blancs présents en
Guadeloupe proviennent très majoritairement de la métropole bien après l'abolition de l'esclavage en 1848
et surtout au cours de la seconde moitié du 20
ème siècle. De même, à la Martinique de nombreux blancs
4
Auteur, entre autres, du livre bien connu « La rue Cases‐Nègres », Paris, Froissart, 1950. 314 pages
5
http://pagesperso‐orange.fr/andre.thibault/ZobelExtractionAutomatique.pdf
6
Expression irresponsable, jamais justifiée malgré des demandes d’explication, du Secrétaire d’Etat à l’Outre‐mer, le 14 mars sur France 2.
7
On retrouve l’écrivain Patrick CHAMOISEAU, pourtant prix Goncourt, lorsqu’il parle de manière péremptoire et sans justification d’ «une
tutelle coloniale qui maintient les Antillais dans l’irresponsabilité et la dépendance »,
alors que le statut de ces départements n’est pas
différent de celui des autres départements métropolitains.
8
Voir par exemple pour le début le la colonisation le livre de Léo Elizabeth : «La société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1664‐
1789 »,
« un blanc peut‐être l’engagé d’un noir libre » « Dans la catégorie des blancs et assimilés, entre 1660
et 1667, une personne sur quatre vit sous la dépendance d’une autre. »
, page 31. Ou encore même page : « Plus souvent, le capitaine du
navire qui l’a transporté (l’engagé) le vend à l’arrivée à un habitant pour trente six mois, jusqu’à la décision du 28 février 1670. Pour attirer les
candidats, la durée du service est alors ramenée à 18 mois ».
9
Au sens Petit Robert de « Personne qui est allée peupler, exploiter une colonie – Habitant d’une colonie ressortissant de la Métropole ».
3
sont arrivés, après cette date, de toutes régions françaises ou européennes. Ces derniers sont aussi appelés
« békés » dans le langage courant. Une très forte proportion des « békés » a disparu, avec la totalité des
habitants de Saint-Pierre, lors de l’éruption du Mont Pelé le 9 mai 1902. Encore aujourd’hui des
européens arrivent avec un billet d’avion aller sans retour.
Ainsi quel poids ces braves gens majoritairement modestes, souvent sans instruction, avaient-ils pour
décider quoi que ce soit ? N’étaient-ils pas le plus souvent ou bien de simples aventuriers en mal
d’exotisme, pour les volontaires, ou bien des exécutants, aucun n’ayant de pouvoir sur les décisions
concernant la colonisation et l’esclavage, prises en hauts lieux, dans les salons des capitales ou autres
villes françaises ou européennes, dans les Assemblées nationales ?
Des archives notariées nombreuses permettent d’établir, qu’aux Antilles même, des personnes noires
libres possédaient aussi des esclaves. Doivent-elles être aussi qualifiées d’
« esclavagistes » ?
Les colons, volontaires ou non, exploitaient les terres des colonies, possédées par la Métropole, en
utilisant la main-d’oeuvre qui leur était envoyée, à savoir les esclaves. L’esclavage était pour ces gens des
colonies un fait mondial de société dont tout un chacun, vous le savez, profitait
10. On voit donc que ceux
qui doivent être effectivement nommés
« esclavagistes », ceux que le dictionnaire de l’Académie
Française définit par : «
Qui veut maintenir l'esclavage des nègres ou Qui en fait la traite », ne sont pas
d’abord à chercher de ce côté-ci, même si l’on doit reconnaître que certains ont participé à ce crime contre
l’humanité. N’occultons pas les autres, les principaux.
Qui sont alors les responsables de l’esclavage ? Ceux qui véritablement « avaient colonisé la
Martinique au XVIIe siècle
» et qui sont les « esclavagistes », les vrais, ceux qui ont mis en place,
développé et maintenu le système ? Qui sont ceux qui se sont réellement enrichis ?
Est-il utile de le rappeler ? Ne vivaient-ils pas principalement en France et dans les autres pays
d’Europe ? N’était-ce pas eux qui conduisaient depuis leurs métropoles la politique de leurs empires
coloniaux gigantesques (la quasi-totalité du globe si on les cumule) et de l’esclavage, en se disputant les
pays colonisés, ne donnant par leurs directives que peu de chance de survie aux populations colonisées, à
leurs coutumes, à leurs cultures, à leurs langues, à leurs religion…, légiférant depuis leurs capitales, à des
milliers de kilomètres, définissant et codifiant les moyens de développer la colonisation et l’esclavage,
commanditant des expéditions militaires et négrières, armant des navires commerciaux ou négriers,
faisant piller les matières premières par leurs colons…? On connaît le trio et l’ordre dans lequel cela
fonctionnait : l’Armée, l’Eglise et le Marchand. Où « Le Code Noir »
11 a-t-il été discuté et voté ? Etait-ce
au Parlement français en 1685 à Paris ou bien dans les colonies, en l’occurrence dans les îles, qui étaient
chargées et contraintes de l’appliquer, par les relais que représentaient les Conseils Souverains (les
Parlements locaux) ?
Les peuples amérindiens qui habitaient les îles, les peuples autochtones de nombreux pays colonisés
par les puissances européennes, par exemple en Amérique du Nord et du Sud, n’ont-ils pas été éliminés
dans de vrais génocides, par les armées des puissances européennes colonialistes ? Les décisions ne
venaient-elles pas de leurs assemblées législatives et de leurs gouvernements pour implanter leurs colons
et exploiter les ressources ? Celles-ci étaient, dans le cadre du système de l’Exclusif, transférées sur le
continent européen entretenant le système colonialiste et esclavagiste. Pour ce faire, ils déversaient dans
leurs colonies des hommes et des femmes, tous n’étant pas nécessairement volontaires, et des esclaves.
Je ne m’étendrai pas plus, de nombreuses pages ont été écrites sur la question.
12
Allons plus avant, demandons-nous quelle était la position de l’Eglise. Cette politique coloniale et ce
trafic d’esclaves ne profitaient-ils pas de la bénédiction des plus hautes autorités de l’Eglise sinon de son
assentiment explicite, quelle que soit l’époque que l’on scrute
13 ? Sur ce sujet aussi la littérature ne
10
Vous n’ignorez pas, qu’à la même période de l’esclavage dit « triangulaire », il y avait en méditerranée un non moins terrifiant trafic
d’esclaves blancs. Voir Robert C. DAVIS
« Esclaves chrétiens, maîtres musulmans » Ed. Jacqueline Chambon, 2006, 420 pages. Il est écrit
ailleurs :
« Environ un million à 1.250.000 Européens, pour la seule période comprise entre 1530 et 1780 – période de forte activité
barbaresque en Méditerranée et dans l’Atlantique – furent enlevés de force au cours des razzias sur les littoraux italiens, français, espagnol,
sicilien, corse en Méditerranée et dans l’Atlantique ».
Ou encore : « Au XVIIe siècle, il y eu davantage d’esclave blancs déportés
annuellement aux Amériques que d’Africains » :
Arnaud Raffard de Brienne : « La désinformation autour de l’esclavage », Ed. Atelier Fol’fer,
coll. L’Etoile du berger, 2006. Pages 44 et 45.
« Ces références font tomber l’argument selon lequel l’esclavage aurait été la conséquence
d’un racisme préexistant à l’encontre des noirs », p. 45.
Louis Sala‐Molins. PUF 1987, 292 pages12
Voir par exemple :
‐
Sous la direction de Marc Ferro « Le livre noir du colonialisme », Hachette, 1.120 pages
‐
Gilles Manceron « Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France », 320 pages
‐
Olivier Pétré‐Grenouilleau, « les Traites négrières, Essai d'histoire globale », éditions Gallimard, 2004
‐
Olivier Pétré‐Grenouilleau, « La traite des Noirs », Que sais‐je? PUF, Paris, 1997
‐
Olivier Pétré‐Grenouilleau, « Nantes au temps de la traite des Noirs », Hachette Littérature, Paris, 1998
13
Faut‐il donner des références ? Ainsi, par exemple, à deux périodes éloignées de l’histoire :
4
manque pas. Tout au long de l’histoire, l’Eglise n’a pas manqué d’arguties pour justifier l’esclavage.
Quelle était sa position sur l’esclavage dans le monde colonisé et dans les Antilles à l’époque dont vous
parlez ? Que nous disent par exemple les livres du Dominicain le Père Labat
14 ? On relève entre autre, à
titre de justification de la colonisation, le vecteur de l’esclavage, que l’Eglise devait contribuer à l’oeuvre
de civilisation conduite par les pays colonisateurs et de plus répondre à l’injonction de son Seigneur :
« Allez enseigner toutes les nations »
16 ; est-ce contestable ? Pourquoi l’Eglise, à quelque niveau qu’elle ait été, n’a-t-elle pas
pris clairement et fermement position contre ces pratiques ? Pourtant elle ne manquait pas de pouvoir
politique pour les remettre en cause. Diriez-vous aussi qu’elle était
« esclavagiste » ? Faut-il s’étendre ?
On aurait pu aller voir aussi dans d’autres religions
17.
Comment qualifiez-vous les Africains qui pratiquaient aussi l’esclavage, depuis des siècles, à l’issue
de conflits entre ethnies ou de razzias et vendaient leurs frères noirs pour alimenter le commerce
d’esclaves avec les arabes et celui dit « triangulaire » entretenus par les puissances financières et les
armateurs européens ? Quelles responsabilités leur attribuez-vous ? Oseriez-vous déclarer que leurs
enfants d’aujourd’hui sont des
« descendants des esclavagistes » ? Cela aurait-il un sens ? Quelle nation
au monde n’a pas fait de même, à un moment ou un autre de son histoire ? Quelle proportion de
l’humanité actuelle devrait alors être dite «
descendant des esclavagistes » ? Comment les distingueraiton
? Les nommerait-on tous : « béké » ? N’est-ce pas inepte ?
Où étaient les plus grands profiteurs du commerce de l’esclavage ? N’étaient-ils pas sur le territoire
européen, à titre d’exemple, pour les français, à Nantes
18, à Bordeaux, à La Rochelle, au Havre, dans les
grands et chics quartiers parisiens ou autres villes de province ? La colonisation et l’esclavage n’étaientils
pas essentiels aux économies européennes de l’époque ? Les Français, les Européens ne vivaient-ils
pas en nombre non négligeable de cette colonisation, du trafic et du travail des esclaves ? Sinon, pourquoi
les avoir mis en place, développés, protégés par des lois, par des textes. On sait bien que certains partaient
pour quelques années aux Antilles, afin d’en revenir fortune faite, ce qui leur donnait une reconnaissance
sociale et une entrée à la Cour
19.
Si, à la suite de tout cela, on nous disait, clamant à tout va : « les Blancs européens sont des
descendants des colonialistes esclavagistes qui ont colonisé 90 % du globe et qui détiennent aujourd’hui
la plupart des richesses des pays européens »
, comment réagirions-nous ? Si, de plus, ces propos visaient
particulièrement les chrétiens :
« les Blancs chrétiens européens sont des descendants des chrétiens
colonialistes esclavagistes qui ont colonisé 90 % du globe et qui détiennent aujourd’hui la plupart des
richesses des pays européens »,
que penseriez-vous ? Ce raisonnement et ces propos ne seraient-ils pas
outranciers, pervers et porteurs de haine
20, d’autant plus que l’Eglise et la France ont fait des démarches
de repentance ? Des « békés » martiniquais ont aussi fait une démarche de repentance en 1998
21, trois ans
avant la loi Taubira.
Que sont devenus les « békés » après l’abolition de l’esclavage ? Certains sont rentrés en Europe et
aux Etats-Unis, d’autres blancs métropolitains ou européens sont venus rejoindre ceux qui étaient restés et
se sont implantés dans les îles ; ils sont aussi appelés « békés ». On parle de « békés France » pour les
blancs venant de Métropole et qui sont de première ou de seconde génération aux Antilles.
L’Eglise a été très présente et elle l’est toujours. Elle a été la principale éducatrice de la population
des îles, qu’elle soit noire, métisse ou blanche, à travers ses missionnaires spiritains et les religieuses
Dominicaines et de Cluny. Les Spiritains ont été curés et vicaires de paroisses et ont tenu des
‐
Le 8 janvier 1455, le pape Nicolas V autorise le roi du Portugal à pratiquer la traite (itinéraire : Afrique‐Portugal). Réf : Louis Sala‐Molins :
« Le Code Noir »,
‐
« Histoire des chrétiens d’Afrique du nord », sous la direction de Henri Teissier, p.118 en haut.
14
R.P. LABAT « Voyage aux Îsles de l’Amérique » (Antilles) 1693‐1705. Editions Duchartre. Tome I : 366 pages ; Tome II : 478 pages.
15
Il a fallu attendre Vatican II pour sortir de cette logique. Heureusement que des théologiens comme Bernard Sesbouë ont mis un peu
d’ordre là dedans avec son beau livre
« Hors de l’Eglise pas de salut », chez Desclée. J’ai noté que la déclaration « Dominus Iesus » donne la
position actuelle de l’Eglise ; manifestement elle ne fait pas l’unanimité des théologiens.
16
Voir R.P. LABAT, Tome II, p. 33 et suivantes, par exemple.
17
Pour l’Islam, voir le livre de Malek CHEBEL « L’Esclavage en terre d’Islam, Fayard, 2007, 500 pages. Pensez‐vous que l’on puisse dire des
musulmans d’aujourd’hui qu’ils sont des
« descendants des esclavagistes » ? Quel sens cela aurait‐il ?
18
On avance 1.744 expéditions commanditées de Nantes entre le milieu du XVIIe et au milieu XIXe s. soit 41 % de l’ensemble (4.220) des
expéditions françaises pendant la même période (http://les.traitesnegrieres.free.fr/index2.html )
19
Alain GUEDE : « Monsieur de Saint‐George, Le nègre des lumières », Actes Sud 1999, 400 pages.
20
De manière analogue, peut‐on présenter les Allemands d’aujourd’hui comme « des descendants des fascistes qui …» ?
21
http://www.touscreoles.fr/index.php?2008/02/20/10‐nous‐nous‐souvenons
5
.( A suivre)