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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

«Benoît XVI, mon ami», par le cardinal Robert Sarah

«Benoît XVI, mon ami», par le cardinal Robert Sarah

Par Robert Sarah
Publié hier à 19:40, Mis à jour il y a 1 heure
Le cardinal Robert Sarah et le pape émérite Benoît XVI, décédé le 31
décembre. Capture Compte TwitterCardinal Sarah

HOMMAGE - Créé cardinal en 2010 par Benoît XVI, le Guinéen
conservateur Robert Sarah a été nommé l’année dernière membre de la
Congrégation pour les Églises orientales par le pape François.
Auparavant, il était le préfet de la Congrégation pour le culte divin
et la discipline des sacrements.

Pour la plupart des commentateurs, Benoît XVI laissera le souvenir
d’un immense intellectuel. Son œuvre durera. Ses homélies sont déjà
devenues des classiques à l’instar de celles des Pères de l’Église.
Mais à ceux qui ont eu la grâce de l’approcher et de collaborer avec
lui, le pape Benoît XVIlaisse bien plus que des textes. Je crois
pouvoir affirmer que chaque rencontre avec lui fut une véritable
expérience spirituelle qui a marqué mon âme. Ensemble, elles dessinent
un portrait spirituel de celui que je regarde comme un saint et dont
j’espère qu’il sera bientôt canonisé et déclaré docteur de l’Église.

À son arrivée à la curie romaine en 2001, le jeune archevêque que
j’étais - j’avais alors 56 ans - regardait avec admiration la parfaite
entente entre Jean-Paul II et celui qui était alors le cardinal
Ratzinger. Ils étaient tellement unis qu’il leur était devenu
impossible de se séparer l’un de l’autre. Jean-Paul II était
émerveillé par la profondeur de Joseph Ratzinger. De son côté, le
cardinal était fasciné par l’immersion en Dieu de Jean-Paul II. Tous
les deux cherchaient Dieu et voulaient redonner au monde le goût de
cette quête.

Joseph Ratzinger était reconnu comme un homme d’une grande sensibilité
et pudeur. Je ne l’ai jamais vu afficher le moindre mépris. Au
contraire, alors qu’il était submergé de travail, il se rendait tout
entier disponible pour écouter son interlocuteur. S’il avait
l’impression qu’il avait offensé quelqu’un, il cherchait toujours à
lui expliquer les raisons de sa position. Il était incapable d’un acte
tranchant. Je dois dire aussi qu’il faisait preuve d’un grand respect
pour les théologiens africains. Il acceptait même volontiers de rendre
des services pratiques, ou de faire passer un message à Jean-Paul II.
Cette profonde bienveillance et délicatesse respectueuse envers chacun
sont caractéristiques de Joseph Ratzinger.

À partir de 2008, j’ai remplacé le cardinal Dias, préfet de la
Congrégation pour l’évangélisation des peuples dans un certain nombre
de rencontres, car il souffrait d’une maladie invalidante. Dans ce
contexte, j’ai eu la chance d’avoir de nombreuses séances de travail
avec le pape Benoît XVI. En particulier, je devais lui présenter les
projets de nomination d’évêques des plus de 1000 diocèses des pays de
mission. Nous avions des séances parfois assez longues, de bien plus
d’une heure. Il fallait discuter et soupeser des situations délicates.
Certains pays vivaient en régime de persécution. D’autres diocèses
étaient en crise. J’ai été frappé par la capacité d’écoute et
l’humilité de Benoît XVI. Je crois qu’il a toujours fait confiance à
ses collaborateurs. Cela lui a d’ailleurs valu des trahisons et des
déceptions. Mais Benoît XVI était tellement incapable de dissimulation
qu’il ne pouvait croire qu’un homme d’Église soit capable de mentir.
Le choix des hommes ne lui était pas aisé.

De ces longs entretiens répétés, j’ai acquis une meilleure
compréhension de l’âme du pape bavarois. Il y avait en lui une
parfaite confiance en Dieu, ce qui lui donnait une paix tranquille et
une joie continue. Jean-Paul II montrait parfois de saintes colères.
Benoît XVI restait toujours calme. Il était parfois blessé et
souffrait profondément de voir les âmes s’éloigner de Dieu. Il était
lucide sur l’état de l’Église. Mais il était habité par une force
paisible. Il savait que la vérité ne se négocie pas. En ce sens-là, il
n’aimait pas l’aspect politique de sa fonction. J’ai toujours été
frappé par la joie lumineuse de son regard. Il avait d’ailleurs un
humour très doux, jamais violent ni vulgaire.

Je me souviens de l’Année sacerdotale qu’il avait décrétée en 2009. Le
pape souhaitait souligner les racines théologiques et mystiques de la
vie des prêtres. Il avait affronté avec vérité et courage les
premières révélations quant aux affaires de pédophilie dans le clergé.
Il voulait aller au bout de la purification. Cette année a culminé
dans une magnifique veillée sur la place Saint-Pierre. Le soleil
couchant inondait la colonnade du Bernin d’une lumière dorée. La place
était pleine. Mais contrairement à l’habitude, pas de familles, pas de
religieuses, uniquement des hommes, uniquement des prêtres. Quand
Benoît XVI est entré en papamobile, d’un seul cœur tous se sont mis à
l’acclamer en l’appelant par son nom. C’était saisissant, toutes ces
voix masculines scandant à l’unisson «Benedetto». Le pape était très
ému. Quand il s’est retourné vers la foule après être monté sur
l’estrade, ses larmes coulaient. On lui a apporté le discours préparé
qu’il a laissé de côté et il a librement répondu aux questions. Quel
moment merveilleux! Le père plein de sagesse enseignait à ses enfants.
Le temps était comme suspendu. Benoît XVI s’est confié. Il a eu ce
soir-là des paroles définitives sur le célibat sacerdotal. Puis la
soirée s’est achevée par un long moment d’adoration du
Saint-Sacrement. Car il voulait toujours entraîner à la prière ceux
qu’il rencontrait.

Né en avril 1927, Joseph Ratzinger est appelé par Jean-Paul II, de 7
ans son aîné, à devenir préfet de la Congrégation pour la doctrine de
la foi, en 1981. Durant 24 ans de cette étroite collaboration, la
confiance règne entre eux. ANSA/ABACA

Benoît XVI a aimé passionnément les prêtres. La crise du sacerdoce, la
purification du sacerdoce était son chemin de Croix quotidien. Il
aimait rencontrer les prêtres, leur parler familièrement.

Il aimait aussi particulièrement les séminaristes. Il était rarement
plus heureux qu’entouré par tous ces jeunes étudiants en théologie qui
lui rappelait ses jeunes années de professeur. Je me rappelle cette
mémorable rencontre avec les séminaristes des États-Unis lors de
laquelle il riait aux éclats et plaisantait avec eux. Tandis qu’ils
scandaient «We love you», la voix du pape s’est brisée et il leur a
dit avec émotion paternelle: «Je prie pour vous chaque jour.»

Ce pape avait un profond sens chrétien de la souffrance. Il répétait
souvent que la grandeur de l’humanité réside dans la capacité à
souffrir par amour pour la vérité. En ce sens-là, Benoît XVI est grand
!
La prière, l’adoration était au centre de son pontificat. Comment
oublier les JMJ de Madrid? Le pape était resplendissant de joie devant
une foule enthousiaste de plus d’un million de jeunes du monde entier.
La communion entre tous était palpable. Au moment où il commençait son
discours, un terrible orage éclatait. Le décor menaçait de s’écrouler
et le vent avait emporté la calotte blanche de Benoît XVI. Son
entourage a voulu le mettre à l’abri. Il a refusé. Il souriait sous
une pluie battante dont un pauvre parapluie le protégeait à peine. Il
souriait en regardant cette foule dans le vent et la tempête. Il est
resté jusqu’au bout. Quand les éléments se sont apaisés, le
cérémoniaire lui a apporté le texte qu’il devait prononcer, mais il a
préféré omettre le discours préparé pour ne pas entamer le temps prévu
pour l’adoration eucharistique. Quelques instants après l’orage, le
pape était à genoux devant le Saint-Sacrement, entraînant la foule
dans un silence impressionnant et plein de ferveur.

Trois ans après son discours controversé de Ratisbonne, Benoît XVI se
rend à Jérusalem sur l’esplanade des Mosquées, haut lieu de prière
pour les musulmans. «Le dôme du Rocher invite nos cœurs et nos esprits
à réfléchir sur le mystère de la création et sur la foi d’Abraham»,
dit-il alors. Newscom/ABACA

En 2010, je rentrais d’un voyage en Inde. J’avais rendez-vous avec
Benoît XVI pour une audience privée. C’est là qu’il m’annonça son
intention de me créer cardinal au consistoire suivant et ma nomination
à Cor Unum (le dicastère chargé des œuvres de charité). Je n’oublierai
jamais la raison qu’il m’en donna: «Je vous ai nommé car je sais que
vous avez l’expérience de la souffrance et du visage de la pauvreté.
Vous serez le mieux à même d’exprimer avec délicatesse la compassion
et la proximité de l’Église avec le plus pauvre.» Ce pape avait un
profond sens chrétien de la souffrance. Il répétait souvent que la
grandeur de l’humanité réside dans la capacité à souffrir par amour
pour la vérité. En ce sens-là, Benoît XVI est grand! Il n’a jamais
reculé devant la souffrance. Jamais reculé devant les loups. On a
cherché à le faire taire. Il n’a jamais eu peur. Sa démission en 2013
n’est pas le fruit du découragement mais plutôt de la certitude qu’il
servirait plus efficacement l’Église par le silence et la prière.

Après ma nomination par François comme préfet du culte divin en
novembre 2014, j’ai encore eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois
le pape émérite. Je savais combien la question de la liturgie lui
tenait à cœur. Je l’ai donc souvent consulté. Il m’a vigoureusement
encouragé plusieurs fois - en effet, il était persuadé que «le
renouveau de la liturgie est une condition fondamentale pour le
renouveau de l’Église».

Je lui portais mes livres. Il les lisait et donnait son appréciation.
Il a d’ailleurs bien voulu écrire la préface de La Force du silence.
Je me souviens du jour où je lui ai annoncé mon intention d’écrire un
livre sur la crise de l’Église. Ce jour-là, il était fatigué, mais son
regard s’est éclairé. Il faut avoir connu le regard de Benoît XVI pour
comprendre. C’était un regard d’enfant, joyeux, lumineux, plein de
bonté et de douceur, et pourtant rempli de force et d’encouragement.
Jamais je n’aurais écrit sans cet encouragement. Un peu plus tard,
nous avons collaboré de près en vue de la publication de notre
réflexion sur le célibat sacerdotal. Je garderai dans le secret de mon
cœur le détail de ces jours inoubliables. Je garderai dans les
profondeurs de ma mémoire sa profonde souffrance et ses larmes, mais
aussi sa volonté farouche et intacte de ne pas céder au mensonge.

Après sa renonciation en 2013, le pape émérite Benoît XVI a reçu la
visite régulière du pape François dans sa résidence située sur les
hauteurs du Vatican, au monastère Mater Ecclesiae. Ici, le 30 juin
2015. ABACA

Quel portrait dessinent ces souvenirs? Je crois qu’ils convergent vers
l’image du Bon Pasteur que Benoît XVI aimait tellement. Il voulait
qu’aucune de ses brebis ne se perde. Il voulait les nourrir de la
vérité et ne pas les abandonner aux loups et aux erreurs. Mais surtout
il les aimait. Il aimait les âmes. Il les aimait parce qu’elles lui
avaient été confiées par le Christ. Et plus que tout, il aimait
passionnément ce Jésus à qui il a voulu consacrer les trois tomes de
son œuvre maîtresse Jésus de Nazareth. Benoît XVI aimait celui qui est
la vie, le chemin et la vérité.

 

Robert Sarah.

* Préfet émérite de la Congrégation pour le culte divin et la
discipline des sacrements. Dernier livre paru Catéchisme de la vie
spirituelle (Fayard).

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