8 Février 2016
Un lecteur m'adresse cet article d'époque sur le tremblement de terre de Pointe-à-Pitre, le 8 février 1943. Il est intéressant, écrit dans le style particulier propre à cette époque. Il me semble comporter certaines erreurs sur l'horaire de la catastrophe. Mais je n'ai pas le temps, immédiatement, de comparer avec ce qu'en dit par exemple l'historien Auguste Lacour au dernier tome de son Histoire de la Guadeloupe.
Peut-être certains d'entre vous porteront-ils des corrections en envoyant leurs commentaires.
Le Scrutateur.
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8 février 1843 : un tremblement de terre
ravage Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
(D’après « La Semaine des familles », paru en 1859)
http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article13160
Avant le tremblement de terre de 1843, la ville de la Pointe-à-Pitre était l’une des plus commerçantes et des plus riches des Antilles, et sa population, en tenant compte de sa partie flottante, dépassait vingt-deux mille âmes.
Le 8 février 1843, le soleil se lève radieux comme à l’ordinaire, dissipant, à mesure qu’il monte sur l’horizon, les légers flocons de vapeurs que la brise du matin chasse de la cime et du flanc des montagnes ; leurs formes douces et majestueuses à la fois se profilent mollement sur le bleu limpide d’un ciel sans nuage.
Dix heures sonnent ; la brise cède subitement et fait place, pendant quelques secondes, à un calme effrayant et inusité pendant cette partie du jour. Un bruit semblable à celui de chariots pesamment chargés roulant sur des pavés se fait entendre, accompagné de rafales qui s’élancent dans l’espace en notes aiguës comme le sifflet du maître d’équipage à bord.
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La terre se meut, lentement d’abord, ainsi que le berceau du nouveau-né touché par la main maternelle ; le mouvement s’accélère, agite avec fureur le sol et les bâtiments ; les arbres balayent la terre de leurs branches ; la mer franchit quelque peu ses limites, dépose sur la surface qu’elle empiète une grande quantité de poissons morts, et à une certaine distance du rivage jaillit en minces filets d’eau qui amènent le sable à la superficie : les hommes, agenouillés dans la campagne, poussent des cris lamentables ; les murs des étables s’affaissent, les animaux effarés se précipitent de tous côtés ; les secousses redoublent, ils roulent sur eux-mêmes, se relèvent, l’œil hagard, les oreilles tendues, le poil hérissé, les jambes écartées pour essayer de lutter contre les bondissements de la terre.
Les mugissements des bœufs, les hennissements des chevaux et des mulets, les aboiements des chiens, témoignent que la nature entre dans une de ses convulsions suprêmes ; le volcan prend part à la scène de dévastation par des détonations pareilles à celle de la grosse artillerie ; les navires mouillés dans le port de Pointe-à-Pitre chassent sur leurs ancres, brisent leurs câbles, s’entrechoquent et font côte.
Le mouvement de trépidation succède à celui d’oscillation : les cloches, mues par une main invisible, sonnent à toute volée : l’heure de la colère divine est venue, et, pendant deux minutes, la Guadeloupe se débat sous les serres du génie du mal ; des quartiers de montagnes s’effondrent avec leur antique et verte parure ; le pic Napoléon, qui couronne le sommet de la Soufrière, se détache et laboure le cône dans sa chute.
Tout s’écroule avec un fracas tel que l’oreille humaine en entendit rarement. La colonie n’est plus qu’un immense théâtre de ruine et de désolation ; la ville de Pointe-à-Pitre est devenue un amas confus de décombres où l’œil ne reconnaît plus trace de ce qui fut rue, place ou maison. L’incendie se déclare spontanément, illumine le ciel de ses clartés funèbres, et, phare improvisé par le fléau, désigne aux habitants le siège principal de la catastrophe. Par les issues de la ville déborde la population, qui s’enfuit stupide de terreur.
Chacun cherche autour de soi, appelle à grands cris son père, sa mère, son mari, sa femme, ses enfants ; à cet appel, combien manquent, hélas !... Retourner en courant sur ses pas pour tâcher d’arracher à la mort de chères victimes, essayer de reconnaître la place où l’écroulement d’un pan de mur les a séparés... Vain espoir peut-être, car la terre bondit encore par intervalles et jette à bas les fragments de murailles qui ne tenaient que par un miracle d’équilibre ; ces infortunés, aussi à plaindre que ceux qu’ils cherchent, sont quelquefois ensevelis sous ces nouveaux débris.
Après bien des recherches, l’un d’eux reconnaît tout à coup un meuble, un effet quelconque qui lui indique que là, quelques minutes auparavant, fut la demeure paisible de sa famille ; des gémissements l’accueillent. Comment secourir ces êtres chéris ? En avançant jusqu’à eux, il tasse les matériaux qui les broient, et, en voulant les sauver, il ne fait souvent que hâter le terme de leurs horribles souffrances. Quand Dieu permet que le malheureux puisse ravir à la mort ces objets de sa tendresse, il les retrouve mutilés, presque méconnaissables.
C’est un spectacle heureusement rare que celui de ces femmes égarées par la douleur, les vêtements en désordre, les cheveux hideusement poudrés de chaux et de poussière, errant au milieu de ces ruines qui fument, implorant de chaque passant éperdu qui ne les entend même pas des renseignements qu’il ne peut leur donner. Une de ces pauvres mères s’enfuyait avec ses trois enfants, dont l’un s’attache à sa robe, tandis qu’elle charge les deux autres sur ses bras ; poursuivie par les pierres qui pleuvent sur son passage, elle sent un de ses bras soulagé du précieux fardeau qu’il supporte. A demi folle de désespoir, elle se baisse, écarte avec une rage convulsive les décombres qui viennent de recouvrir l’enfant, relève un coin de sa robe et y dépose à la hâte cette effroyable pâte humaine que les yeux maternels peuvent seuls envisager sans frémir.
L’amiral gouverneur est averti par une ordonnance de gendarmerie de l’œuvre de destruction qui vient de s’accomplir ; il part en toute hâte, suivi du médecin en chef et de tout ce que celui-ci peut détacher du service de l’hôpital militaire en fait de chirurgiens et de sœurs de charité ; une provision considérable de bandages et de charpie est apportée dans la prévision d’un grand nombre de blessés. En arrivant sur le lieu du sinistre, l’amiral et sa suite ne peuvent retenir leurs larmes à la vue de cette riche et populeuse cité n’offrant plus que l’image du chaos.
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La place de la Victoire, grâce au secours des troupes de toute arme et des marins de la rade, se transforme en ambulance où les pansements et les amputations se succèdent avec autant de rapidité que possible par le dévouement des médecins accourus de tous les points de l’île. À mesure qu’une certaine quantité de blessés sont pansés, on les transporte sur des bâtiments qui font voile aussitôt pour la Basse-Terre. L’hôpital militaire les attend ; plusieurs de ces malheureux succombent pendant la traversée.
Les troupes de terre et de mer se divisent par escouades, et, armées de pioches, commencent les fouilles ; l’horloge de la ville, soutenue par le tassement des débris, se dresse sur les ruines de la ville en indiquant inexorablement dix heures comme un formidable rendez-vous de mort auquel se rendirent six mille victimes. Malgré le zèle et l’adresse des travailleurs, l’opération fut longue et dura plus d’un mois, pendant lequel les flammes, la gravité des blessures, la faim, la soif et l’épouvante, firent périr beaucoup de personnes que l’on aurait pu sauver.
La ville de la Basse-Terre, située au pied du volcan, n’eut pas de malheur à déplorer. Seulement les rivières, obstruées par l’effondrement des montagnes, cessèrent de couler pendant plusieurs jours ; puis ensuite, brisant les digues qui s’étaient formées, elles s’élancèrent en masses limoneuses, entraînant après elles des troncs d’arbres et des quartiers de rochers. L’île de la Guadeloupe proprement dite souffrit peu, proportions gardées, mais la Grande-Terre fut complètement ravagée.
Les habitations présentaient le tableau le plus triste ; il ne restait plus vestige de moulins ni d’usines, et des sommes énormes représentaient chaque désastre particulier. Les colons luttèrent énergiquement contre la situation. Le premier moment de stupeur passé, ils s’empressèrent de déblayer les bâtiments pour constater l’étendue des pertes, qui devenaient d’autant plus sensibles que la colonie était en pleine récolte. Les moins maltraités tendirent la main à ceux qui l’étaient davantage ; les matériaux de première nécessité et les animaux furent mis en commun par section de deux ou trois habitations ; avec ces installations provisoires et défectueuses, un tiers environ des produits put être réalisé.
Une immense quantité de marchandises et les approvisionnements de toute espèce avaient été engloutis ou consumés, et la famine était aux portes, quand les îles voisines, à quelque pavillon qu’elles appartinssent, rivalisèrent entre elles de générosité pour les Guadeloupéens. Les vivres, les vêlements, affluèrent, et les listes de souscriptions, qui s’ouvrirent dans chacun de leurs chefs-lieux, furent immédiatement couvertes de signatures. Les places et les abords de la ville se couvrirent bientôt de baraques servant de demeure et de comptoir aux commerçants, et les marchés les plus importants se conclurent sous ces chétifs abris. Les entrailles de la mère patrie tressaillirent aux accents de détresse de sa fille des Antilles. La France entière s’ébranla d’un sublime élan de fraternité ; riche ou pauvre, tous voulurent payer la dette de l’assistance à leurs frères d’outre-mer.
Par la courageuse initiative des habitants de la Guadeloupe, et par l’effet des secours, dont le chiffre fort élevé s’augmenta des offrandes des nations les plus lointaines de l’Europe, les traces du fléau s’effacèrent peu à peu.