Le verdict est tombé début juillet. On le craignait
révoltant. Il le fut. Voici les faits. En avril 2005, une fugueuse de 14 ans s’égare vers une cité hors contrôle de Carpentras. Happée par une meute, elle est, au long du mois
d’avril, violée dans des caves ou des hôtels par environ 30 individus de 16 à 22 ans ; exhibée, filmée par les brutes, elle est même, au long d’une route, prostituée aux automobilistes de
passage.
La malheureuse parle de
« cauchemar ». Ces faits sont d’autant plus graves que la réitération des crimes et la préméditation y sont flagrants. Le lecteur doit ici
savoir ce qu’encourt tout condamné pour “viols en réunion sur mineure de 15 ans”, “séquestration”, “corruption de mineure” et “proxénétisme aggravé” : pour un mineur, de 10 à 15 ans de
prison, le double pour un adulte.
Des arrestations adviennent enfin quand la gamine
s’échappe. Finalement, un procès se tient en juin dernier, à Avignon, devant la cour d’assises des mineurs du Vaucluse. Or, pour qui a encore les yeux ouverts, la lecture des articles
consacrés à ce procès par le quotidien régional la Provence suscite d’abord l’incrédulité puis un dégoût toujours plus vif et enfin, même, un sentiment d’horreur.
Car ce qu’on expose au procès, c’est la Guerre des
boutons ou une histoire de boy-scouts – et pas le massacre d’une jeune fille tel qu’évoqué ci-dessus.
Le psy, d’abord, caricature de gauchiste en chemise à fleurs. Les violeurs ? Ils ont vécu ce passage à l’acte « comme un rite initiatique », s’inscrivant « dans un désir d’appartenance au
groupe ». Des jeunes certes « intolérants à la frustration » mais, hélas, pas « armés pour anticiper la relation avec cette jeune fille » : ils n’ont donc pas « perçu la contrainte
situationnelle » – par groupes de dix dans une cave, à la lueur des
téléphones portables : on goûtera l’artistique minimalisme du qualificatif.
Quant à la jeune fille – là, on se surprend à serrer
les poings –, le psy insinue qu’elle a pu, durant son calvaire, « ressentir
une forme de plaisir affectif ». Mais demain ? interroge quand même un juge.
Tout est au mieux, assure le psy, les violeurs « ne présentant aucun risque de récidive ». Dix lignes plus bas, on lit cependant que, lors du procès, deux des principaux
prévenus sont « détenus pour une autre cause ».
Surprenante, ensuite, l’attitude du quotidien, qui,
passé le rappel des faits, édulcore constamment. Jusqu’à, par exemple, titrer sur ce qui a bien pu se passer « dans la tête de ces enfants terribles ». Pour mémoire, les Enfants terribles, film onirique et précieux écrit par Jean Cocteau sorti en 1950, ressemble autant au viol collectif de Carpentras qu’une
matinée enfantine au carnage de Verdun.
À la fin, le verdict. Il est
« mesuré », se réjouit le quotidien. De façon entortillée, on apprend qu’une poignée des mis en cause passera peut-être deux à trois ans en
prison, mais encore pas sûr, vu le savant mélange du sursis et des peines de prison ferme.
À ce point du récit, un commentaire du criminologue –
mais surtout, un grave constat. Le commentaire : ce procès pue fortement la trouille et l’intimidation.
Chacun – hélas ! pas le seul quotidien et son
journaliste – y est fort attentif à ne heurter aucun des prévenus, dont les familles sont massivement présentes dans la salle. Tous se tiennent à carreau. Tous marchent sur des œufs. Tous
prennent soin de parler par périphrases aimables et euphémismes délicats. Certes l’expert (un second psy) admet « ne pas avoir eu d’entretien prolongé avec les mis en cause » mais assure quand même que ce sont « des personnes plutôt bien » dont le comportement est
« un grand mystère ».
Mais il y a pire que ce climat, disons, sicilien. Et
ce second mystère explique que l’auteur – éberlué – ait patienté tout l’été avant d’écrire cet article. Il attendait en effet la riposte outragée, le collectif cri d’horreur des
féministes – mais rien, juste un silence de mort. Une jeune fille violée à répétition. Prostituée de force. En prime, ce que disent d’elle les avocats de la défense est affreux.
Échantillon : « C’est dans la relation avec le sexe qu’elle va vers l’autre.
Ce n’est pas une recherche de plaisirs ; elle s’exprime avec son cul »
(sic). Or silence sans faille, absolue absence de féministes, admettant tête basse qu’une femme violée en groupe “s’exprime avec son cul”.
Où est Mme Caroline Fourest, qu’on dit fort attachée
à la cause des femmes ? Où sont les Chiennes de garde, ici sans voix ni crocs ? De son côté, Osez le féminisme ! n’a pas franchement osé grand-chose.
Pourquoi ce silence ? Le féminisme bobo
s’évanouirait-il à l’entrée des cités chaudes ? Et comment auraient réagi ces militantes à éclipse si, au lieu de lascars, la “tournante” avait impliqué des adhérents d’un quelconque
parti de droite ?
On ose espérer une réponse. Car dans un drame si
terrible, tout silence retentira comme un accablant aveu. Xavier
Raufer,criminologue
Photo © Patrick Iafrate