4 Février 2020
Allons il ne faut pas désespérer. La France nourrit encore de vrais intellectuels, lucides et courageux.Ceci à droite et à gauche. Celui dont je vous propose aujourd'hui la lecture est un homme de gauche, d'une gauche intelligente (oui cela existe encore et je pourrais en dire autant pour la droite, avec un jeune, de droite celui-là, le philosophe François-Xavier Bellamy). mais Jacques Julliard notre hôte du jour, et Bellamy me l'interdisent.
Lecteurs lisez le constat de Julliard, et n'en tirez pas des raisons de gémir, mais la froide et déterminée raison de vous battre pour gagner. Comme disait de Gaulle à Paris dans un grand discours tenu à l'Hôtel de ville de Paris : « Vive la France éternelle ». (LS).
(https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jacques-julliard-le-malaise-francais-20200202 ).
CHRONIQUE - Climat social violent, forte hausse de la délinquance, agressivité dans les rapports humains… L’historien et essayiste* analyse les ressorts de la triple insécurité physique, sociale et politique que vivent les Français. Face à un véritable «ensauvagement des mœurs», le penseur appelle à dépasser l’individualisme: il nous faut une nouvelle Fête de la Fédération.
Il règne depuis plus d’un an dans ce pays un climat malsain, fait de conflits sociaux interminables, d’incompréhension mutuelle, de haines recuites, de violences ouvertes et répétées.
La défiance est partout, de chacun à l’égard de tous, de tous à l’égard de chacun. Sournoisement, le malaise s’est installé dans la vie quotidienne. Les Français sont de plus en plus dépressifs ; les Français ne s’aiment plus ; les Français ne sont pas heureux, alors que, franchement, ils ont connu pire dans le passé.
Ce qui domine tout le reste, c’est le sentiment d’insécurité et les peurs qu’elle engendre. L’insécurité est à la fois physique, sociale, politique. Tout le monde se plaint de son sort, et le statut social le plus convoité est aujourd’hui celui de victime. Dans cette vallée de larmes, où est donc passé le pays de d’Artagnan, de Fanfan la Tulipe, de Cyrano de Bergerac?
Il est vrai que la France contemporaine est en train de renouer avec le sentiment qui, au dire des historiens des mentalités, dominait la France du passé: celui de la peur de l’agression. Et contrairement à ce que répètent jusqu’à plus soif les docteurs «Rien-à-voir» de la sociologie, ce n’est pas un fantasme. Les services du ministère de l’Intérieur s’ingénient désormais à camoufler derrière un vocabulaire victorien (les fameuses «incivilités») et des statistiques difficiles à lire, la progression annuelle de la délinquance, y compris de la délinquance «hors terrorisme (sic)»: + 8 % de 2018 à 2019. On ne s’étonnera pas de l’augmentation spectaculaire de la délinquance sexuelle, due à la fois à la requalification de certains actes, à la libération, fort heureuse, de la parole féminine, y compris dans les commissariats, et à la désinhibition des pulsions dans la société permissive. Longtemps le sexe fut associé à la faute, plus récemment au plaisir, désormais à l’effroi.
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C’est dans le domaine ultrasensible du religieux que la progression est la plus spectaculaire. Ce sont les actes antichrétiens qui sont de loin les plus nombreux (1052 en 2019, 1068 en 2018), tandis que les actes antimusulmans (154 en 2019 contre 100 en 2018) sont en hausse, mais à un niveau relativement faible. Il est vrai que le degré de tolérance est inversement proportionnel au nombre des délits. Quand Frédéric Fromet, humoriste (sic) attitré de France Inter, traite Jésus de «pédé» et propose de le traiter en conséquence, ce sont les homosexuels, et non les chrétiens, qui crient le plus fort. Et c’est d’abord auprès d’eux qu’il s’excuse, avant de finir par étendre ses regrets aux chrétiens eux-mêmes. Pas grave! À comparer à Mila, cette jeune lycéenne qui, en réponse à des agressions verbales, parle de l’islam comme d’une «religion de merde»: avalanche d’insultes, de menaces de mort et de viol, obligation de changer d’établissement, tandis qu’Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman déclare: «Elle n’a que ce qu’elle mérite (…), elle l’a cherché, qu’elle assume.» L’enquête préliminaire contre Mila pour incitation à la haine raciale, qui a été abandonnée précipitamment, en dit long pourtant sur une époque qui a pour boussole non la liberté d’expression, mais la peur du terrorisme.
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On attend toujours de voir Jean-Luc Mélenchon défiler contre la christianophobie. Et surtout contre l’antisémitisme, lui qui apparemment n’a rien trouvé à redire aux propos de Jeremy Corbyn, cet original anglais, gauchiste et antisémite, qui a conduit le Parti travailliste à une déroute retentissante. Comme dirait M. Zekri, il n’a que ce qu’il mérite.
Or la vérité, c’est que la situation du judaïsme français est dramatique. En un an, les actes antisémites ont bondi, passant de 311 en 2017 à 541 en 2018 (+ 73 %) et à 687 en 2019 (+ 27 %).
Les larmes qui sont versées ces jours-ci à l’occasion du 75e anniversaire de la libération par les Soviétiques du camp d’Auschwitz sont de notre part des larmes de crocodile, nous qui laissons en toute indifférence se dérouler une véritable épuration ethnique dans une partie du territoire français, à savoir les banlieues en voie d’islamisation. Oui, en 2020, sous la République française, patrie, à ce qu’il paraît, des droits de l’homme, les Juifs ont peur pour leur vie, ils déménagent ou bien ils quittent la France. Et le non-jugement pour cause d’irresponsabilité de l’assassin de Sarah Halimi au cri de «Allah akbar», me choque profondément, non par solidarité avec mes amis juifs, mais par respect pour les principes que je professe.
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Le judaïsme français est une communauté en péril, et, au pays de l’affaire Dreyfus, nous restons là les bras ballants. Quand on demande aux Français si la fuite des Juifs vers Israël est une bonne ou une mauvaise chose, ils répondent benoîtement en majorité: «ni l’une ni l’autre»!
Dans ma naïveté, j’avais cru jusqu’ici que provoquer un accident de la route sous l’emprise de l’alcool était une circonstance aggravante ; je sais désormais qu’assassiner son semblable sous l’emprise de la drogue vous met à l’abri des poursuites judiciaires. Messieurs les experts, Messieurs les juges, merci de la recette.
La République, à la place de la continuité de jadis, ressemble désormais à une peau de léopard, c’est-à-dire à la jungle
La ville elle-même, qui dans ses origines médiévales, était un lieu de liberté et de sécurité, la ville française dont nous étions si fiers, est devenue un milieu hostile, que soulignent les immondices, les tags, les vitres rayées du métro, le mobilier urbain défoncé, les trottoirs envahis par les deux et quatre roues, les trajectoires folles des trottinettes et des vélos. Plus grave encore, les bousculades, les agressions, les guets-apens, les attaques à main armée contre les forces de l’ordre et aussi désormais contre les médecins et les pompiers: tout un ensemble d’indices qui, sur fond de terrorisme islamiste toujours menaçant, révèle une régression psychologique collective, un ensauvagement des mœurs, un recul de la civilisation. Parce qu’elle perd insensiblement de nouveaux territoires, la République, à la place de la continuité de jadis, ressemble désormais à une peau de léopard, c’est-à-dire à la jungle. La nation française brûle et nous regardons ailleurs.
Mais il n’y a pas que l’insécurité physique qui colore aujourd’hui tous les rapports sociaux, et qui fait de la vie moderne un jeu de serrures, de codes, de cloisons pour nous mettre à l’abri du monde extérieur. Il y a, depuis la grande première des «gilets jaunes», le 17 novembre 2018, une succession ininterrompue de manifestations, de défilés, d’échauffourées, d’actes de vandalisme suivis de violences policières, de scènes de guérilla urbaine à moitié réelles, à moitié feintes, qui depuis près de quatorze mois tiennent en haleine la population, le gouvernement, la police ; en somme «une ample comédie aux cent actes divers», comme disait La Fontaine, bien que, dans le comput des «gilets jaunes», nous n’en soyons qu’à l’acte 62.
Au vrai, ces nouveaux venus sur le devant de la scène ont bel et bien inventé une nouvelle forme d’action sociale, faite de «reprises», comme on dit à la boxe, à intervalles réguliers, lancinantes et variées dans la forme. La dramaturgie éculée du mouvement ouvrier avec ses sempiternelles déambulations République-Nation, a pris soudainement un coup de vieux, au point que la CGT en a pris de la graine et, à la place d’une action continue, conçue comme un crescendo suivi d’un dénouement, s’est mise elle aussi à établir à l’avance l’interminable calendrier de la colère.
On pense au premier conflit mondial, où à la guerre de mouvement (1914-1915) succède une guerre de position (1915-1917), quand les armées s’enterrent dans les tranchées qui se font face, s’observent, s’écoutent, se bombardent et organisent des «sorties» sanglantes, suivies de nouvelles périodes de latence. Pendant celles-ci, le moral des troupes soumises à l’attente et au stress, face à un ennemi quasi invisible, est devenu un facteur décisif. La guerre des tranchées est aussi une guerre psychologique, où le conflit s’exaspère faute d’un dénouement prévisible.
Eh bien! C’est cela que nous vivons depuis près de quatorze mois, et le moral des troupes, comme celui de l’arrière, est soumis à rude épreuve, de sorte que le jeu finit par l’emporter sur l’enjeu: que réclament, par exemple, aujourd’hui les lambeaux de «gilets jaunes» qui accompagnent les grévistes? On ne le sait pas très bien ; pas sûr qu’ils le sachent eux-mêmes.
Mais il y a aussi une ascension aux extrêmes, avec la polarisation du mouvement sur la personne du chef de l’État. Il a eu beau instituer son premier ministre, Édouard Philippe, chef de guerre, c’est lui qu’on interpelle, c’est lui qu’on maudit et que l’on pend en effigie.
Il n’est pas sûr que la guerre de position soit celle qui le mette le plus à son avantage ; il tient plus de Nivelle que de Joffre, ou même de Bonaparte avec sa (fausse) légende du pont d’Arcole: à défaut de la chevelure, il en a la jeunesse et le profil.
Mais pas la psychologie. «En même temps» n’est pas une formule napoléonienne, et si Macron ne déteste pas les actions commando, il connaît aussi de longues périodes de doute et d’hésitation: c’est Hamlet au pont d’Arcole… (on se rappelle l'interrogation d'Hamlet dans la tragédie de Shakespeare « Être ou ne pas être, telle est la question » Note du Scrutateur).
En voulez-vous, des exemples? Mais cette loi sur les retraites, justement, marquée par l’empreinte contradictoire du président, qui veut le changement du système, et du premier ministre, qui ne songe qu’à son financement! D’où l’imbroglio actuel, qui a sur la population des effets anxiogènes et la pousse à soutenir les grévistes, tout en approuvant le principe de la réforme.
J’en veux encore pour preuve ce fameux discours cent fois projeté, cent fois promis, et finalement cent fois remis, sur la nation, le communautarisme, la laïcité…
À la réflexion, je ne suis pas si pressé que cela de voir enfin sortir des limbes ce discours fondateur. Ou bien, en effet, il reprendra à son compte la doctrine républicaine et universaliste, et toute la gauche collabo va mener un tapage infernal en criant à l’islamophobie, ou bien il reviendra à sa tendance profonde qui est celle d’un communautarisme contrarié par les circonstances, et toute la France républicaine montera au créneau. Dans les deux cas, faute d’avoir agi assez vite et fermement, il ne peut qu’aggraver la situation.
En un mot, il ne rassure pas une France qui a grand besoin de l’être. La jeunesse, qui est un atout dans un contexte d’offensive et de conquête, devient un handicap dans une situation défensive. Il ne manque, en somme, à Macron que le personnage: il a l’autorité, il n’a pas la majesté ; il a la familiarité, il n’a pas le contact ; il a le prestige, il n’a pas le charisme.
Faut-il pour autant le condamner? Ce n’est pas ma pensée: d’abord, son bilan économique est nettement positif, avec un chômage qui recule, des salaires qui en moyenne augmentent et des performances très honorables dans le secteur industriel. Ce n’est pas pour rien que la France est devenue pour les entreprises étrangères un lieu attractif où elles entendent investir. Et comme, dans ce domaine, un président est toujours crédité - ou décrié - pour les actions de son prédécesseur, il n’est que justice de souligner que les bonnes performances de l’économie française actuelle, c’est pour une large part à François Hollande qu’on les doit.
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Et puis surtout, bien qu’il concentre aujourd’hui sur sa personne les critiques et parfois les haines, Emmanuel Macron n’en demeure pas moins le plus petit commun dénominateur des opinions françaises. À supposer qu’il faille à un moment donné se passer de l’homme, sa formule resterait la seule opérationnelle. À moins que la droite se mette à exister autour d’un candidat populaire sinon populiste, puisque la gauche, par sottise autant que par lâcheté, s’est mise délibérément hors du jeu.
De toute façon, devant la montée de cette triple insécurité, physique, sociale et politique, les Français ne pourront indéfiniment faire l’économie d’un retour sur eux-mêmes, sur cette haine dénoncée récemment par Robert Badinter, et sur cet individualisme qui les divise, les ronge et les paralyse. Le monde moderne est né de cet individualisme, c’est de lui qu’il périra. Certains s’en remettent à la «révolution», mot vague, mot vieilli et hors de propos.
Le 14 juillet 1790, au Champ-de-Mars, des gardes nationaux, délégués par tous les départements de France, se réunirent en présence du roi pour prêter un serment civique consacrant la concorde nationale. Aujourd’hui où l’émiettement nous menace, avec son cortège de haines et de peurs, les Français ont besoin de se réunir avec la volonté de refonder la nation. Ce n’est ni du 14 juillet, ni du 4 août 1789 que nous avons besoin, mais d’une nouvelle Fête de la Fédération.
* Éditorialiste à l’hebdomadaire Marianne.