25 Février 2012
Un témoignage capital sur le séisme des Saintes :
40 secondes pour 40 ans de travail
de Léoncie VALA-NADILLE
Plus malmenée que Terre-de-Haut sa voisine, l’île de Terre-de-Bas a été touchée de plein fouet par le séisme de magnitude 6,3 qui frappa l’archipel des Saintes le 21 novembre 2004 et dont l’impact sur les esprits n’a peut-être pas fini de se faire ressentir. Dégâts matériels importants certes, heureusement sans pertes humaines, mais aussi et surtout, liés au cataclysme, nombreux traumatismes psychosomatiques au caractère quelquefois irréversible et pas seulement chez les moins endurcis.
À l’époque des faits, tant sur les ondes, radio et télé, que dans la presse écrite, les témoignages, spontanés ou plus élaborés, n’ont pas manqué de s’exprimer tout au long des jours, des semaines et des mois qui suivirent ce tragique événement. Mais, à notre connaissance, c’est à l’écrivain marie-galantais Max Rippon que l’on doit la première publication non scientifique sur le sujet. Intitulé naturellement Six virgule trois, et édité chez Jasor en novembre 2006, cet ouvrage, quoique bien documenté et intéressant, se veut avant tout, comme indiqué sur la couverture et en pages de garde, un simple « racontage », autrement dit une sorte de conte inspiré du séisme mais sorti tout droit de l’imagination de son auteur.
Tel n’est pas du tout le cas du livre de Léoncie VALA-NADILLE, publié aux Éditions Nestor en juillet 2011 et intitulé sans équivoque 40 secondes pour 40 ans de travail.
Mais avant d’aller plus loin dans l’analyse de ce livre que nous considérons pour notre part comme un témoignage capital irremplaçable pour l’histoire de l’archipel saintois et les générations futures, quelle que soit par ailleurs leur origine, il convient d’en présenter brièvement l’auteur et sa famille.
Léoncie VALA-NADILLE, elle ne s’en cache pas, est âgée aujourd’hui de 68 ans. Née à Terre-de-Bas, elle a toujours vécu sur son île où elle a commencé à travailler dès 16 ans dans l’épicerie de ses parents. De son mariage avec Raymond VALA, charpentier-menuisier, elle a sept enfants et de nombreux petits-enfants. Ayant elle-même reçu une solide éducation religieuse, (elle a été enfant de Marie et très engagée comme catholique pratiquante dans la vie paroissiale), c’est dans une foi sans faille en Dieu et selon les préceptes de compassion, d’amour du prochain et de charité chrétienne qu’elle élève à son tour ses enfants.
Le jour du séisme, seuls son mari, reconverti dans la boulangerie, sa mère alors âgée de 89 ans, quatre de ses fils et ses petits enfants vivent avec elle à Terre-de-Bas. Les autres membres de la proche famille sont éparpillés en Guadeloupe continentale ou en Métropole. Son frère Mozart Nadille, bien connu aux Saintes, chargé des recherches bibliographiques et auteur d’une superbe et touchante préface qui nous éclaire sur la personnalité de sa sœur Léoncie, est, quant à lui, au congrès des maires à Paris, représentant Fred Beaujour en cure de repos à Matouba. Les époux VALA-NADILLE ont construit, après 40 ans de dur labeur, une superbe maison à Petites-Anses qui fait, jusqu’à ce terrible cataclysme, leur juste fierté... On comprend mieux dès lors l’intitulé de l’ouvrage, illustré par ailleurs de nombreuses photographies.
Ce qui frappe d’abord chez Léoncie VALA-NADILLE et qui la distingue singulièrement de l’excellent conteur-poète marie-galantais à l’imagination fertile, c’est la grande simplicité de l’écriture et le caractère exclusivement authentique du témoignage. Ne prétendant nullement être un écrivain professionnel, et n’en revendiquant aucunement le statut, l’auteur se contente de s’en tenir aux faits, sans rechercher un quelconque effet de style. Son récit des événements semble couler de source, spontanément. On a l’impression qu’elle revit intensément ce qu’elle a vécu sept ans auparavant dans son corps et dans sa tête ce dimanche 21 novembre 2004, elle, ses proches et la communauté insulaire blessée de Terre-de-Bas. Nous sommes transportés au cœur de la dure réalité, et le registre d’expression choisi, plus proche de l’oralité que de l’écrit, ne donne que plus de force et d’authenticité au témoignage, occasion pour elle d’expurger les divers traumatismes subis et de transformer sciemment la parole écrite en indispensable, nécessaire et constructive thérapie.
Cette simplicité ne signifie pas, loin de là, incompréhension du discours, médiocrité ou vulgarité de la part de l’auteur. Le lecteur est surpris au contraire par la clarté de la langue, la profondeur des réflexions qui émaillent en permanence le récit. Juste évocation de la violence des faits, juste expression des sentiments et ressentis. Souffrances physiques et morales, panique, doutes, découragements, inquiétude, impuissance, révolte, intense angoisse paralysante face à la mort entrevue de si près, face au passé détruit, au présent incompréhensible, à l’avenir incertain et compromis, autant de traumatismes qui sont, non pas balayés, mais constamment sublimés par une foi à toute épreuve, c’est le cas de le dire.
Quelle force de caractère, quelle leçon de courage et de vie, quelle volonté de dépasser une réalité difficilement acceptable par le commun des mortels pour finalement l’appréhender comme une bénédiction divine, grâce justement à l’infaillibilité d’une foi lucide et réfléchie, le contraire exact de l’aveuglement et du fanatisme ! Se demandant ce qu’elle lui a fait pour mériter et vivre, elle et ses semblables, pareil sort, Léoncie est sur le point de voir vaciller sa confiance en Dieu. Puis, se reprenant, c’est le retournement logique et implacable du raisonnement : nous sommes vivants alors que nous aurions pu être ensevelis, morts ou blessés sous les décombres : c’est la preuve que Dieu nous a protégés. La maison est détruite, mais j’ai échappé à l’effondrement du mur de la chambre, mes petits enfants sont sains et saufs alors que l’escalier a explosé, ma mère, seule chez elle, n’est pas blessée malgré son âge avancé, mon mari, mes fils et belles-filles sont physiquement indemnes... Terre-de-Bas ne compte pas de morts : merci, mon Dieu, tu nous as épargnés. Et se retournant sur sa maison détruite, le cœur brisé, les larmes coulant de ses yeux comme la pluie qui ne cesse pas ce jour-là de tomber, c’est l’Ecclésiaste qui vient à son secours et lui donne le courage d’affronter l’inacceptable : « Que revient-il à l’homme de tout son travail et de la préoccupation de son cœur, objet de ses fatigues sous le soleil ? »
Et c’est ainsi dans presque tout le livre : peu de chapitres en effet sans une citation appropriée de l’Évangile ou de la Bible. Procédé et références qui, loin de tourner à l’obsession répétitive, témoignent au contraire non seulement d’une parfaite connaissance des Livres saints, mais aussi et surtout d’une solide éducation et pratique religieuses où fatalisme et abdication sont absents, où la force de la foi, celle en Dieu comme celle en nous-mêmes, apparaît dans tout son efficient pouvoir de réconfort et de sublimation.
Merveilleux livre de sagesse aussi dans lequel chacun d’entre nous peut puiser réflexion et nourriture spirituelle face aux épreuves de la vie. Livre d’action de grâce enfin qui nous invite non pas à accepter la vie telle qu’elle vient en nous repliant sur nous-mêmes, mais à la prendre à bras le corps, avec confiance et lucidité, quelles que soient les circonstances, présentes ou à venir, heureuses ou malheureuses, afin d’accomplir, croyants ou pas, une destinée dégagée autant que faire se peut du matérialisme envahissant et des vanités qui nous rabaissent.
Merci Léoncie VALA-NADILLE pour cet émouvant témoignage. Votre ouvrage, qui a également le mérite de nous présenter en annexe un instructif abrégé de l’historique de votre commune, ainsi que des informations capitales sur les risques naturels encourus chez nous, devrait figurer dans toutes les bibliothèques familiales, saintoises et guadeloupéennes, dans tous les établissements scolaires du département. Nous ferons notre possible en ce qui nous concerne pour le faire connaître autour de nous. Il restera, à n’en pas douter, un livre de référence sur un événement dramatique majeur qui nous a tous marqués et rentrera à ce titre dans l’histoire des soubresauts telluriques et humains qu’a connus notre si joli mais si fragile petit archipel. C’est d’ores et déjà, plus qu’un souhait, une certitude et une réalité.
Raymond JOYEUX
Terre-de-Haut, le 6 février 2012