28 Octobre 2013
Un point de vue martiniquais futé sur Christiane Taubira.
Christiane Taubira est aujourd'hui, pour une majorité de Français, et en tout cas pour le Scrutateur, un danger public, à cause de sa politique 'pénale », à cause du peu de cas qu'elle fait de la France historique, de la France réelle, à cause de son caractère extraordinairement orgueilleux et provocateur. Personne en Guadeloupe n'a oublié sa collusion extravagante avec le sieur Domota, en 2009. Et les dégâts causés à la Guadeloupe sur les plans économiques et psychologiques du fait du sabotage de l'agitateur de rues relèvent aussi de la responsabilité de cet étrange ministre du gouvernement Aurault.
Mais l'orgueil de la « dame », est tel qu'elle ne se voit plus seulement en présidente d'une Guyane « indépendante ». Christiane semble désormais voir plus haut, et l'on voit ce que je veux dire. Déjà en 2002, elle s'était posée en candidate au pouvoir suprême, en France, contribuant à l'échec aux présidentielles de Lyonnel Jospin.
C'est peut-être ce qui explique certains propos de la très chère lors de l'émission télévisée où elle a étalé sa suffisance, et son « évolution » sur les thèmes institutionnels Antillo-Guyanais. Evolution qui n'a pas échappé à un auditeur martiniquais attentif et malicieux, M. Yves-Léopold Monthieux, qui la commente à sa façon, subtilement ironique, sur le site Politiques-publiques.
LS.
Taubira donne un "coup de vieux" aux indépendantistes
Publié le 11/09/2013
Par Yves-Léopold Monthieux
Plus personne ne l’ignore, la ferveur nationaliste martiniquaise ne va pas au-delà de l’incantation verbale, la caricature des mots et la posture du coup de menton, le tout enveloppé dans l’identitarisme, voire le « noirisme », primaire. Dans la dernière émission « Des paroles et des actes » de France 2, le talent de la ministre de la justice a été unanimement reconnu et la dénonciation qu’elle a faite de certaines méthodes audiovisuelles réductrices et racoleuses a sans doute pris date. Il pourrait bien y avoir, en la matière, un avant et un après Taubira.
Mais on a assisté, mine de rien, de la part de l‘ancienne indépendantiste guyanaise, à ce qui ressemble à un coming out, mais qui est en réalité l’expression d’une position politique déjà affirmée. Elle a profité de l’occasion pour répondre une fois pour toutes aux interrogations sur ses débuts politiques. Au passage, elle a donné un coup de vieux aux « anticolonialistes » martiniquais. Il n’y a pas lieu de distinguer entre les indépendantistes et les autonomistes. La proposition d’autonomie, arrivant au terme d’une argumentation identique à celle de l’indépendance, elle en appelle à la même souveraineté nationale. Cette autonomie n’a donc de sens que par la définition, pourtant vite retirée, qui lui avaient été donnée par Césaire et ses amis dans les années 1970 : l’autonomie politique, étape vers l’indépendance.
Mme Taubira a dénoncé l’obsolescence, depuis trente ans déjà, de la revendication indépendantiste à laquelle elle avait succombé dans sa jeunesse. Elle en a donné deux raisons majeures. D’abord, la revendication séparatrice de Walwari était arrivée, à son avis, à la fin de la période de décolonisation, à la « queue » de ce mouvement, a-t-elle dit. Trop tard, donc. Les colonies africaines s’étaient déjà émancipées depuis plus de 20 ans et, pour la plupart des nouveaux états, leur échec avéré. En manière d’autocritique et d’honnêteté intellectuelle, elle admet que la position qu’elle défendait dans un entre-deux générationnel était dépassée. Elle n’a pas moins continué à être une anticolonialiste s’impliquant dans la défense des principes, comme la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Mais elle a laissé à d’autres leur sémantique habituelle.
En second lieu, Mme Taubira estime que la nouvelle situation créée par la décentralisation a vidé de son contenu les critiques faites alors à l’Etat, dont celle de diriger l’outremer depuis Paris, au mépris des élus locaux. Depuis 30 ans, elle a compris qu’il fallait relativiser l’argumentation utilisée avant la décentralisation en faveur de l’accession à l’indépendance. Elle a ainsi démontré sa capacité d’adaptation et à se méfier des mots, des formules et des clichés où paraissent englués les nationalistes martiniquais.
Césaire n’avait pas su se libérer de son mot d’ordre d’autonomie que lui et ses affidés n’ont jamais su expliquer que par la théologie du « ni – ni ». L’autonomie n’est pas ceci, n’est pas cela. Ce qui a conduit Serge Letchimy à reprendre la phrase du professeur Auby : « ce qui prédomine en matière d’autonomie c’est l’incertitude ». Les autonomistes ont été effrayés par leurs propres tentatives de donner une conclusion logique au discours césairien par des formules aujourd’hui oubliées (tiens, il y a des phrases qu’on oublie…). Elles étaient pourtant claires, ces formules : « européens faites vos valises », « autonomie-étape vers l’indépendance ». Seule cette autonomie-étape pouvait sérieusement justifier le moratoire, dès lors qu’à l’inverse, c’est l’autonomie de fonctionnement, attributaire de pouvoirs, qui a été mise en place et surtout mise en œuvre précisément par Césaire, lui-même, le premier président de la Région. Après avoir théorisé l’autonomie (par le ni-ni, certes), il a eu en mains les manettes de ce pouvoir autonome fonctionnel.
Césaire a donc choisi le moratoire qui est finalement l’art de ne pas décider. Pour preuve, il nous a quittés sans lever la suspension. Christiane Taubira a adopté une autre logique ; les circonstances historiques ayant changé, elle a décidé de tourner la page, de renoncer à son engagement premier et de se conformer sans formules inutiles aux réalités du temps. Cela s’appelle intelligence et liberté. Tandis que l’évolution statutaire et ses avatars occupent depuis trente ans toutes les intelligences de la Martinique, Mme Taubira a vite tiré les leçons d’un mouvement anticolonialiste largement essoufflé et devenu inopportun. Les « anticolonialistes » martiniquais « de bouche » se complaisent dans les habits d’authentiques esclaves d’idées et de mots d’un autre temps, comme englués dans la vénération d’un ancien testament.
On tient le mot indépendance, on incarne donc le concept qu’on fait passer à la moulinette de Fanon et de Césaire et on ne jure que par le parfum dégagé. On tient le mot autonomie, on ne le quitte pas en dépit de ses variations, sauf à le recouvrir de la tunique d’un moratoire, autre mot-culte chargé de faire tout seul son chemin. Peu importe qu’on laisse dire, à l’intention du chaland-électeur, que les gourous ne soient pas en réalité ce qu’ils prétendent, il s’agit de cultiver le romantisme, d’entretenir l’utopie. De même que Césaire n’a jamais rien décolonisé alors qu’il figure parmi les anticolonialistes les plus célèbres, AMJ voudrait bien laisser le souvenir d’un indépendantiste pur et dur.
Et voilà que des engagements pris, il y a 50 ans, dans un monde en plein bouillonnement décolonisateur, lient aujourd’hui encore nos leaders et leurs successeurs. Aussi, preuve que tous sont sous le même bonnet, ce sont curieusement les autonomistes qui ont fixé cette vieille ligne rouge à laquelle les indépendantistes, eux aussi, sont tenus de se plier. Césaire et les siens ont décidé qu’un Martiniquais ne pouvait pas être ministre français, et personne ne songe au non-respect du vieux testament. La tentation de s’en affranchir n’a pas porté chance à Claude Lise. Attendons de voir quel est le premier traitre qui acceptera d’être un ministre français. On se rappelle l’accueil qu’avait reçu au début des années 60 le préfet Raphaël Petit, d’origine martiniquaise. C’est bien la preuve que le discours de rupture est unique et partagé presque mot pour mot par les autonomistes et les indépendantistes, même si les choses pourraient être différentes dans le cœur des uns et des autres. Mais le discours n’est pas sans conséquence, en fait d’exemplarité, sur la jeune élite martiniquaise qui boude les carrières de la haute fonction publique d’Etat et de la magistrature, après que les jeunes sans formation ont été invités à rester travailler, chômer ou « délinquer » au pays.
Cependant lorsqu’on considère les mamours qui sont faits par nos élus refuznics à tatie Christiane et tonton Victorin, ces derniers sont loin d’apparaître, à leurs yeux, comme les traitres du combat anticolonialiste. Reconnaissons néanmoins que ces débordements d’affection ne touchent pas AMJ dont les rapports avec la ministre ont toujours été ténus. Faut-il rappeler ce mot peu empreint de charité de Chaben, parlant de Taubira, encore Delannon à l’époque : « Sé minis i lé vini minis ». C’était bien vu. On n’avait pas interrogé un psy, mais … Reste que personne ne disputera aux Martiniquais la tunique d’anticolonialiste « en bouche ». Nous pouvons garder nos mots, nos formules et nos concepts antédiluviens. La Guyane de Taubira regarde plutôt vers le ciel de Kourou et le large des futurs derricks, alors que la Guadeloupe de Toto affiche l’ambition : « Pôle Caraïbes ». Elles laissent la Matinino de Letchimy et de Marie-Jeanne évoquer ses valeureux ancêtres.
C’est vrai, Christiane Taubira aura donné un sacré coup de vieux aux indépendantistes martiniquais et à leurs pseudos autonomistes. Mais cet aréopage de nationalistes qui conduit en maîtres la politique martiniquaise, c’est le pays tout entier qui en porte les stigmates.
9 septembre 2013