18 Octobre 2010
Hommage à Guy HAZAEL-MASSIEUX
Dans le cadre de la Semaine du créole, je réédite cet hommage à mon ami Guy Hazaël-Massieux, éminent spécialiste de la langue créole, qui n'est pas cette langue "
nasyonale" que voudraient faire croire les séparatistes guadeloupéens, mais la dernière en date des langues romanes. Cet article sera, dans les jours qui suivent, suivi d'autres publications sur
ce sujet.
Edouard Boulogne.
( L’hebdomadaire l’Express a récemment consacré à la langue créole un dossier, au cœur duquel figurait une intéressante interview de Marie-Christine
Hazaël-Massieux, universitaire, spécialisée dans l’étude des créoles, particulièrement du créole Guadeloupéen.
Dans son blog Guadeloupe-Attitude ( http://halleyjc.blog.lemonde.fr ) notre
ami Jean-Claude Halley lui rend, hier 4 février, un juste hommage, et rappelle la difficulté qu’il y eut, il y a une trentaine d’années à lancer le grand projet de réhabilitation et de promotion
du créole, dans nos sociétés, et dans le cadre universitaire.
Je voudrais aujourd’hui compléter son bel article, en parlant à mon tour de l’époux de Marie-Christine : Guy Hazaël-Massieux.
Celui-ci, (1936-1993) est né en Guadeloupe. Universitaire, agrégé d’Espagnol, docteur en linguistique , il fut un grand créoliste. Sa thèse de
doctorat : Phonologie et phonétique du créole de la Guadeloupe, fait autorité.
Mon texte est celui de l’hommage que je lui ai rendu lors du colloque qui lui a été consacré, en Guadeloupe, deux ans après son
décès.
Il a paru auparavant dans les Actes du colloque, sous le titre : “Créoles de la Caraïbe”, [ éditions Karthala], et dans mon livre “Libres paroles” [éditions
Guadeloupe 2000] ).
Guy Hazael-Massieux, pionnier d’une créolité heureuse.
(Guy-Hazaël-Massieux).
(1)La chance d'une rencontre.
Au tout début
des années soixante, jeune bâchelier, j'hésitai un instant entre le métier d'avocat et celui de professeur de philosophie. Peu auparavant , j'avais, au lycée manifesté quelque talent oratoire
dans la représentation théâtrale d'une comédie de Courteline "Un client sérieux". C'était aussi le temps des grands procès politiques des leaders de l'O.A.S, en cette fin de la guerre d'Algérie.
Les actualités bruissaient d'échos des plaidoiries des Maîtres Isorni, Tixier-Vignancour, Le Corroller : pour Jouhaud! pour Salan! pour Challe!
J'entrepris résolument des études de droit.
L'analyse rigoureuse des textes, et surtout la pratique régulière des commentaires d'arrêt allaient assez vite doucher ma juvénile ardeur. Non que je
n'y prisse le plus vif intérêt et n'en tirasse le plus grand profit intellectuel; mais je découvrais que le lot quotidien de l'avocat, pour n'en être peut-être que plus noble, ne correspondait en
rien à ma vision quelque peu romantique des choses. Les grandes causes, pour Dreyfus! pour Maurras! pour Kravchenko ! étaient décidément trop rares. J'optai définitivement pour la
philosophie.
Mon séjour sur les bancs de la fac de droit, en l'occurence de l'ancien Institut Vizioz, ne m'a cependant pas été inutile. De tous les avantages que
j'en ai pu tirer, le plus important, qui fût aussi une chance, fût la rencontre de Guy Hazaël-Massieux.
Jeune et brillant agrégé d'espagnol, notre ami rentrait au pays pour accomplir son service militaire dans "l'aide technique", comme on faisait souvent à
cette époque. Guy qui méditait déjà son projet de thèse sur le créole faisait du droit pour satisfaire son appétit boulimique de savoir, et accroître encore sa culture
encyclopédique.
Nous étions peu nombreux en première et deuxième année de licence, une dizaine en tout, parmi lesquels Jean Nouvel, Félix Cherdieu-d'Alexis,Guy Hazaël.
Un bon cru! Cela facilitait les contacts, les conversations sur les sujets les plus divers. Je garde le souvenir de longues et passionnantes discussions menées jusque tard dans la nuit, au café
de madame Adeline sur la place de la victoire, ou, simplement, sur la place Gourbeyre, devant le tribunal de Pointe-à-Pitre. Il émanait déjà de Guy Hazaël-Massieux une autorité aussi magistrale
que discrète et souriante. J'eus la chance de subir l'influence de cet aîné de quelques années. Sans lui, peut-être eus-je été tenté, -absurdement,dans le contexte politique et culturel très
particulier de ces années là, par esprit de contradiction et de combativité mal conduite,- de répudier une part de l'héritage qui est pourtant tout-à-fait indiscutablement le mien,
celui du créole que je suis.
(2)Une réalité complexe : la créolité.
Je viens d'évoquer
la question de la langue créole à la promotion et à l'exaltation de laquelle Guy Hazaël-Massieux a consacré une part importante de sa vie.
C'est que la Guadeloupe entrait en ces années 50-60 et, au moins jusqu'à la fin des années 80 dans une période turbulente de son histoire, précédemment
riche déjà"de bruits et de fureurs".
La langue créole, durant cette période a été l'objet d'une tentative d'accaparement de la part de groupes idéologiques qui l'instrumentalisaient contre
le français, dans le cadre d'une politique de rupture avec la France.
Dans leur"Charte Culturelle Créole", les dirigeants du G.E.R.E.C, (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créolophone) écrivent qu'en ces années là
: "les implications politiques du créole sont telles qu'elles entretiennent une véritable panique chez les responsables de l'éducation(.....) La notion de français langue étrangère se trouve
évoquée de manière timide et fugace" (page 25).
Pour les intégristes du créole,leur position se justifie parce que le créole a été depuis 1848 interdit dans l'enseignement,et dévalorisé dans la
société par rapport au français. Ils voient dans cette interdiction un projet longuement muri et conscient, profondément "réactionnaire" pour aliéner les anciens esclaves, les déculturer, les
aligner sur un hypothétique "francais moyen", en faire des zombis, des perroquets, des "jacquots", comme me dit un jour un interlocuteur antagoniste au cours d'une controverse
"animée".
C'est encore ce discours que tenait en novembre 1994, un groupuscule politico-religieux : "Peu à peu nous ferons nôtre ce jugement porté sur nous,et
nous aurons honte de notre culture,que nous qualifierons nous-même de "biten a vié neg" en lien avec l'esclavage. Nous aurons alors honte d'être nègres, nous aurons honte du créole que nos
parents analphabètes nous interdiront de parler à la maison....Après 150 ans de ce régime, nous comprenons ce qu'on appelle aujourd'hui l'aliénation culturelle". (Document "Foi et politique",du
Synode des catholiques,cité dans Guadeloupe 2000-Magazine, n°175).
Un tel discours, abondamment répercuté, diffusé, ressassé,a nui à la cause de la créolité.
De cette créolité malheureuse, beaucoup en effet ne veulent pas, et par un réflexe d'humeur ils la rejettent avec sa caricature intégriste, le bébé avec
l'eau du bain.
C'est d'un tel absurde rejet que Guy Hazaël-Massieux m'a, sans trop de peine il faut le dire, très tôt dissuadé. Historiquement la répression du créole
s'inscrit dans un projet d'éradication révolutionnaire global de toutes les langues régionales françaises, que l'on peut regretter, mais dont l'intention n'était pas “réactionnaire” comme le
croient les créolistes malheureux.Sous la Révolution, le français, en France n'est encore très souvent parlé que par l'élite, et il est perçu comme un moyen de diffusion des idées des
"philosophes" et des révolutionnaires.
A la Convention le 18/12/92 Lauthenas déclare : "Il faut que les intérêts de la République soient maintenant connus de tous ses membres : et ils ne
peuvent l'être comme il convient, qu'en rendant la langue nationale parfaitement familière à tous. Partout où les communications sont génées par les idiomes particuliers,qui n'ont aucune espèce
d'illustration et ne sont qu'un reste de barbarie des siècles passés, on s'empressera de prendre tous les moyens nécessaires pour les faire disparaître le plus tôt possible". (cité in
Histoire-Magazine,n° 2 de février 1980,pp 34-35). Propos repris par l'abbé Grégoire le 30/09/93, et qui s'achève le 17/10/93 par un décret qui décide que les enfants doivent apprendre "à
parler,lire,et écrire en langue française" dans toute la République.
Chez nous ,on le sait après la première abolition de l'esclavage, en 1794, l’esclavage sera rétabli, et les dispositions révolutionnaires sur la
question du créole, ne seront pas suivie d'effets. Ce n'est qu'en 1848 que le créole sera vraiment traité en "idiome grossier" (abbé Grégoire dixit) "prolongeant l'enfance de la raison et
l'enfance des préjugés".
En Europe, on commence alors à prendre conscience que l'idéologie de la Révolution n'engendre pas que des effets positifs. Dans l'esprit d'hommes aussi
différents que Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Alexis de Tocqueville, on s'insurge contre une normalisation jacobine excessive.
L'histoire est parfois malicieuse. En 1870, trois personnalités lancent une pétition en faveur des langues provinciales, dont un certain Charles de
Gaulle, grand oncle du général : "ne pouvons-nous demander (pour les idiomes provinciaux) qu'ils restent les idiomes de la poésie et de la conservation,qu'ils soient conjointement avec le
français la langue de l'école primaire? N'est-ce pas un immense avantage pour un peuple que de parler deux langues? (.....) La question du reste est grave. Il s'agit ici des intérêts de plus d'un
tiers de la France. La sagesse en politique, ne consiste -t-elle pas à résoudre les questions avant qu'elles aient passionné l'opinion publique? Celle des langues locales se posera tôt ou tard.
Evitons les tiraillements, les haines de clocher à clocher. Que l'administration, en renonçant franchement, radicalement, aux abus du système centralisateur, achève de dissiper les derniers
soupçons et d'enlever leur prétexte aux récriminations". (Ibid)
Aux Antilles à 7000 kms, en ce temps des lampes à huile et de la marine à voiles, on est loin d'adopter ce point de vue, quelque peu
"réactionnaire".
En 1980 encore, dans un recueil d'entretiens publiés à l'initiative et sous la direction de Daniel Maragnès : "Les antilles dans l'impasse", un homme
aussi intelligent qu'Yvon Leborgne, que je ne voudrais pas avoir l'air de récupérer, tant il est éloigné de moi, du moins en apparence, sur certaines questions politiques et philosophiques, mais
que je cite parce que sur ce point son propos s'inscrit dans le fil du mien, déclare : "Les premiers instituteurs qui ont eu la tâche d'élever les premiers élèves nègres savaient parfaitement
quel usage pédagogique on pouvait faire du créole, et ils se gardaient bien de confondre le créole et le français. Ils savaient très bien à quoi servait le français dans cette lutte pour la
promotion sociale par laquelle a commencé la résistance anti-colonialiste, l'avènement et le progrès d'une conscience nationale. Ils savaient qu'il était urgent et nécessaire de pouvoir pénétrer
les intentions les plus secrètes et les plus subtiles du Maître en possédant sa langue.(.....) Ce n'était pas satisfaction d'orgueil,c'était la constitution d'une sorte de ressort culturel qui
devait pousser le Guadeloupéen, l'Antillais en général, jusqu'au sommet de la culture où on découvre la communauté profonde qu'il y a entre les peuples, jusqu'au sommet d'où on aperçoit que le
français n'est pas seulement la langue du Maître, mais que c'est aussi la langue d'un peuple qui a ses traditions révolutionnaires(....)". (Les antilles dans l'impasse,édition
l'Harmattan,p.116)
(3)Vers la synthèse.
En 1962, quand je m'entretiens avec lui, Guy Hazaël-Massieux perçoit clairement les risques du triomphe d'une
créolité malheureuse. L'histoire nous a laissé de nombreuses meurtrissures, bosses et plaies. Au lieu de les panser, certains les grattent et les exacerbent. L'idéologie marxiste alors
puissante a érigé la division, l'opposition, le conflit en levain moteur de l'Histoire. Elle se sert de tous les prétextes, de tous les malaises, pour, officiellement , faire "avancer "l'Histoire
dans le sens du "progrès", en réalité au service de l'impérialisme soviétique.
En Alsace,le M.R.A.L (Mouvement régionaliste d'Alsace-Lorraine) déclare cité par le journal L'Aurore du 17/10/72 : "Si notre langue et nos
coutumes ne conviennent pas aux Français de l'intérieur, séjournant en Alsace, qu'ils s'en aillent. Nous ne les avons pas priés de venir et leur départ ne nous causera aucune
gène. Le français est une langue étrangère". Les Bretons du Front de Libération de la Bretagne "déclarent, cités dans la revue "Permanences" de juin 1973 que les ethnies souffrent d'une :
"aliénation dont l'aspect principal a été la lutte entreprise par l'Etat bourgeois centralisateur contre les langues aissi riches et aussi inscrites dans la réalité populaire que le Breton,le
Basque et l'Occitan".
La même technique subversive est appliquée chez nous aux Antilles. Dans l'éducation nationale particulièrement, des groupes idéologiques pratiquent une
revendication de plus en plus radicale.
Calme et souriant, Guy Hazaël dans Guadeloupe 2000-Magazine (n°88 de juin 1983) rappelle que : "l'enseignement est une mission confiée à l'enseignant
par toute la communauté et non pas la transmission autoritaire de névroses individuelles".
Il s'efforce de calmer le jeu en précisant que:
(a)Le débat sur le créole est important, mais"qu'il ne doit pas se confondre avec des problèmes de statut territorial. Il touche
l'homme lui-même, et les démarcations passent peut-être au sein de chacun. "(Ibid).
(b)Le créole doit pouvoir être enseigné à l'école comme la loi française le permet. Il précise ce qui à ses yeux doit être la
finalité de cet enseignement c'est-à-dire : "permettre qu'un Guadeloupéen puisse tout dire en français ou en créole (...) Rendre à chacun la disposition de son patrimoine, c'est-à-dire faire
percevoir la dignité de l'héritage créole comme contribution à l'enrichissement de la culture nationale. L'enracinement n'est pas la négation d'une intégration à de plus vastes ensembles, il en
est la condition". (Ibid).
(4)Pour une créolité heureuse.
Dans un livre connu "L'invention de la France", deux sociologues, Hervé Le Bras, et Emmanuel Todd, rappellent que la France n'a pas
d'unité raciale, qu'elle n'est ni celte, ni germanique, ni latine, mais un carrefour ethnique. Elle est même quelque chose de plus, me semble t-il : une nation, un creuset de races, de
mentalités, unifiées par la langue, l'administration, et historiquement le christianisme. Une diversité qui fait sa richesse et sa fragilité. La créolité est l'une de ses modalités, et de manière
frappante, comme un microcosme par rapport au macrocosme : belle ébauche d'une maquette d'un monde possible de demain qui aurait réussi l'unité dans la sauvegarde des
diversités.
La créolité qui s'est forgée au cours de l'histoire, au rythme des pulsations de celle-ci et des battements de coeur de la nation, est dans une phase
décisive de son développement.
Guy Hazaël-Massieux récuse les attitudes extrèmes, celle du mépris, comme celle de la survalorisation de nous-mêmes. "La prise en considération du
créole pose donc à la communauté antillaise, nous dit-il, une question qui la touche au coeur et qui peut donc aussi bien nous libérer de nos fantasmes (et de nos blocages) que libérer nos
fantasmes et nous verrouiller dans nos refoulements."(Guadeloupe 2000,n°88,Juin 1983).
C'est avec le plus grand plaisir que j'ai accepté de participer à cet hommage rendu à Guy Hazaël-Massieux ; et l'on aura compris ce pour quoi je vois en
lui l'un de mes maîtres sur les questions dont nous avons parlé.
En ce moment,je revois son visage affable et souriant, je crois entendre sa voix, cette voix un peu haut perchée, si préoccuppée de convaincre,
chaleureuse et nuancée, à l'instar de sa pensée souple, subtile, extraordinairement cultivée, -lisant ce qui fut la conclusion d'un de ses grands articles "Pour une politique de
l'enseignement du créole" : Si les choses prennent le tour que nous espérons ,disait-il:"nous pourrions nous insérer dans un grand dessein où nos affinités culturelles contribuant également
à la promotion du français et du créole,nous permettraient de jouer un rôle non négligeable dans l'ensemble national."
Edouard Boulogne.
(Mon livre "Libres
paroles" contient entre autres choses plusieurs chapitres consacrés aux questions sur le créole. Il est en vente dans toutes les librairies de Guadeloupe, et en particulier dans les Boutiques de
la presse.
On peut aussi le commander aux distributeurs :
En Guadeloupe : CMA- Distribution SARL BP 330. 97161.Pointe-à-Pitre Cedex. Tel 0590 26 78 62.
En Métropole : SA D.P.F., BP , 86190 Chiré-en-Montreuil.
Ou encore directement chez l'auteur Tour Massabielle. Appt 28. 97110.Pointe-à-Pitre, contre 30 euros TTC.