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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Réformes des collectivités territoriales : un débat difficile, par Anne-Marie Le Pourhiet.

 

Réforme des collectivités territoriales : un débat délicat.

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( Le débat en cours sur la réforme territoriale est un débat délicat qui suscite de fortes réticences, tant dans la majorité que dans l'opposition, en métropole et en outre mer, et pas toujours, ici et là, pour les mêmes raisons. Pour ses lecteurs qui veulent comprendre cette question complexe de droit constitutionnel, qui engage, pour nous Guadeloupéens, notre avenir lui-même, Le Scrutateur publie deux articles. L'un d'Amédée Adélaide, l'autre du professeur de droit Anne-Marie Le Pourhiet. E.Boulogne).


  1. Europe, Poupées russes et ACP.

     

Le débat sur le texte de la réforme des collectivités locales prévue à l'Assemblée Nationale à partir du 25 de ce mois de mai, a déjà été l'objet de dépôt d'un grand nombre d'amendements. Et gageons que ce n'est que le début, tant cette réforme suscite intérêt et passion. Cela est bien normal, car la future organisation du fonctionnement de la France impliquera de profonds changements pour nous citoyens de ce pays. Nous ne pouvons donc l'ignorer et laisser faire ce que nous regretterions par la suite.

Parmi les nombreux amendements déposés, l'un d'eux a retenu tout particulièrement notre attention. Il s'agit de celui signé par Victorin LUREL et deux de ses collègues députés de la Réunion. Ce texte vise à exclure la Guadeloupe et la Réunion de la modification qui consisterait à remplacer les Conseillers Généraux et Régionaux par les seuls Conseillers Territoriaux ; les mêmes siégeant au Conseil général quand celui-ci se réuni et au Conseil régional lorsque celui-là tient séance.

Que penser alors de l'initiative de notre Président de la Région Guadeloupe, dont nous sommes contraint de rappeler ici qu'il a été élu au premier tour par des voix, dont on peut dire sans risques de se tromper, qu'elles venaient au moins à part égale, d'électeurs de droite autant que d'électeurs de gauche. Ajoutons pour la clarté du débat, que ces électeurs de droite, qui entendent rester dans le droit commun institutionnel, s'étaient détournés de la , liste de l'UMP tout simplement parce que ses dirigeants prétendaient entraîner la Guadeloupe vers un statut spécifique. Ils avaient ainsi -ces électeurs de droite- comme en décembre 2003 et en mars 2004, reportés leurs suffrages vers des positions et des candidats qui rejetaient l'idée d'un statut spécifique et se sont donc, pour cette raison, naturellement reportés vers la liste conduite par Victorin LUREL.

Donnons la parole à Victorin LUREL lui-même, qui dans une interview accordée à un quotidien local justifie ainsi son amendement: « La réforme territoriale ignore les particularités de l'Outre-mer. Pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Réunion, le texte est inadapté et anticonstitutionnel puisque sans consulter les populations concernées, le gouvernement veut fusionner des fonctions électives pour faire un élu hybride qui va faire le travail d'un conseiller général et d'un conseiller régional. Or, l'article 73 dernier alinéa de la Constitution dispose que si l'on change le statut pour supprimer la Région et le Département pour créer une collectivité unique, il faut dans nos régions consulter les populations. Le texte déposé ne le prévoit pas. On ne peut accepter en l'état ce texte. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement, excluant l'application de ce texte en Guadeloupe et à la Réunion ».

Deux explications s'offre à nous :

  • Ou bien, Victorin LUREL, élu du parti socialiste participe, par le dépôt de ce texte, à l'action normale de l'opposition, toujours prête (quelle qu'elle soit) à multiplier les handicaps à l'action du Gouvernement en place. Et, bien que comprenant cela, nous disons danger sur un sujet aussi brûlant.

- Ou alors il s'agit d'une démarche réfléchie et de fond et alors « rien ne va plus » !

En effet, en analysant l'explication que nous donne le Président de la Région Guadeloupe, il saute aux yeux des contradictions et incohérences flagrantes qui nous étonnent de la part d'un esprit habituellement clair et synthétique. Rappelons en préambule que la Réunion n'est pas concernée par l'article 73. Ensuite, la modification dont il est question ici, dans ce projet de loi, ne vise nullement à supprimer les départements et les Régions, mais comme expliqué plus haut, à créer des « Conseiller Territoriaux » qui siégeront au Département d'une part et à la Région d'autre part. S'il en était autrement, et en particulier s'il s'agissait dans l'Hexagone de supprimer les Départements, peut être le Président de Région serait-il fondé à penser nécessaire le recours au référendum local. Ce qui n'est pas certain du tout, tant qu'il s'agirait d'une réforme s'appliquant à l'ensemble du territoire.. Mais nous n'en sommes pas là. La Guadeloupe a déjà été consultée sur la fusion des deux collectivités, le 7 décembre 2003 et a répondu NON à 75% à cette question : « Approuvez-vous le projet de création en Guadeloupe d'une collectivité territoriale demeurant régie par l'article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l'identité législative avec possibilité d'adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ? ».

Nos élus nationaux et locaux feraient bien de s'en souvenir ! Les Quadeloupéens sont attachés au statut de droit commun. S'il évolue en France, ils veulent être de cette évolution là. Et voici pourquoi !

i

L'« Europe » est organisée telle une poupée russe !

Dans l'Europe, il y a Etats européens. Et pour ce qui nous concerne, l'Etat France.

Dans l'Etat France, il y a les Régions.

Dans les Régions, il y a les Départements.

Dans les Départements, il y a les communes.

On voit donc qu'en cas de difficultés, les communes peuvent s'adresser au département,

qui peut recourir à la Région, qui elle-même peut se tourner vers l'Etat, qui peut faire appel

à l'Europe.

L'exemple de la toute récente crise grecque est là pour nous le rappeler, l'Europe protège

ses Etats.

Hors du statut de droit commun, et en cas de crise financière très grave de l'Etat français

ou même de l'Europe, le statut de territoire spécifique ne nous protégerait guère mieux que

celui de pays ACP.

'Pourquoi alors lâcherions-nous la proie pour l'ombre.


Amédée ADELAÏDE

Président de CSLR 15 mai 2010





(II) L'analyse de madame Le Pourhiet.


II y a deux façons d'envisager la question que vous me posez selon que l'on retient une interprétation littérale ou une interprétation logique de l'alinéa 7 de l'article 73.

- une interprétation littérale (de mauvaise foi) conclut à la nécessité d'une consultation populaire avant toute création d'une assemblée délibérante "unique" qui résulterait "de facto "de l'application du nouveau droit commun à la Guadeloupe ou à la Réunion (la Martinique et la Guyane ayant choisi de renoncer au département et à la région au profit d'une collectivité à statut particulier ne sont pas concernées).

- une interprétation logique (et historique) admet que l'article 73 alinéa 7 a institué en 2003 un référendum obligatoire pour déroger au droit commun qui prévoyait à l'époque des conseils généraux et régionaux composés distinctement partout en France. Mais, dès lors que c'est le droit commun lui-même qui prévoit désormais que le conseil régional est composé de tous les conseillers généraux des départements qui composent la région, il est normal de se retrouver en Guadeloupe et à la Réunion avec un conseil régional composé des conseillers généraux du seul département de l'île. Comme l'indique le projet de loi lui-même "les conseillers territoriaux sont membres du conseil général de leur département et du conseil régional de la région à laquelle appartient celui-ci". Il demeure donc bien deux assemblées mais c'est l'élu qui est unique et siège dans les deux. L'exposé des motifs parie bien d'un "élu unique siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional : le conseiller territorial". Il y aurait donc bien, dans les deux DROM restants, deux assemblées distinctes qui auraient simplement des élus identiques.

Ceux qui prétendent qu'un référendum local préalable est nécessaire cherchent assurément à différer l'application de la réforme pour plusieurs raisons : soit la réduction du nombre d'élus inhérente à la réforme ne leur plaît pas parce qu'ils sont nombreux à convoiter les sièges et la parcelle de pouvoir qui va avec ; soit le mode de scrutin à dominante majoritaire ne convient pas à leur parti (ils font leurs projections et calculs électoraux) ; soit ils espèrent que le gouvernement va répéter à la Guadeloupe le scénario martiniquais et guyanais de remplacement du département et de la région par une collectivité à statut particulier dérogatoire.

L'exposé des motifs du projet de loi est particulièrement ambigu sur ce point puisqu'il parle d'adapter par ordonnances "aux départements et régions d'outre-mer de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique, qui font aujourd'hui l'objet de discussions approfondies sur leur avenir (contrairement au département de la Réunion), les dispositions relatives à l'élection et au régime indemnitaire des conseillers territoriaux"...C'est incompréhensible puisqu'il ne devrait plus y avoir, suite aux référendums de janvier, de DROM en Martinique et en Guyane et qu'il n'y a pas eu de proposition officielle de changement de statut en Guadeloupe. C'est peu dire que les intentions du gouvernement ne sont pas claires.

Voilà mes premiers commentaires, mais la lecture des débats parlementaires laisse voir que les élus français en général ne voient pas d'un bon oeil une réforme pourtant saine et nécessaire qui aboutit à réduire de moitié (on passe de 6000 à 3000) le nombre d'élus territoriaux en France. Il est plus que temps d'opérer cette réforme mais on sent bien des tentatives de sabotage à droite et à gauche.

Bien cordialement


Anne-Marie Le Pourhiet

Professeur de droit public à l'Université Rennes 1

 

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