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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Qui fut Esope? par Edouard Boulogne.

Qui fut Esope?


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Il est des noms célèbres de l'histoire, dont il n'est pas certain que ceux qu'ils désignent aient vraiment existés.

Ainsi d'Homère, le père présumé de l'Illiade et de l'Odysée, qui joua un si grand rôle dans la formation de la pensée et de la sensibilité de la Grèce antique, et, par delà, de la civilisation occidentale tout entière.

Peut-être n'y eut-il pas de personne concrète, de chair et d'os, qui se serait appelée Homère. Peut-être l'Illiade et l'Odyssée, ces deux chefs-d'oeuvre ne sont-ils que d'habiles compilations, et surtout compositions tardives (c'est cela qui est important) de créations poétiques, épiques, d'aèdes grecs, au VIIIè siècle avant Jésus-Christ.

Laissons les spécialistes se disputer, et même s'étriper sur cette question compliquée.

Plus que l'auteur, en l'occurence compte l'oeuvre.


Il en est de même pour un autre grand nom de la littérature antique, et universelle, celui du poète et fabuliste Esope.

Esope, fut connu, à une certaine époque, de tous les écoliers français dès leur plus tendre enfance ( j'appris par coeur, pour ma part, des fables de La Fontaine dès le cours préparatoire. Et je me souviens que mes petits camarades et moi, nous nous nous régalions du Corbeau et du renard, ou du « héron au long bec emmanché d'un long cou »). Or Jean de La Fontaine, dans la composition de ses petits chefs d'oeuvres, « Les Fables », s'inspirait souvent, pour les développer, ou les renouveler, de fables déjà existantes, et parfois très anciennes, dont celles d'Esope. Et il songeait si peu à le dissimuler, que dans sa dédicace à Monseigneur le Dauphin, en exergue de l'édition des Fables il écrivit :


«  Je chante les héros dont Esope est le Père,

Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,

Contient des vérités qui servent de leçons.

Tout parle en mon ouvrage, et même les Poissons : » etc.


Voici en exemple à cette imitation créatrice deux fables, l'une d'Esope, et celle qui est l'oeuvre de la fontaine même.


Le Loup affamé et l'Agneau, d'après Ésope.


« Un loup se désaltérait à un ruisseau, et il lui arriva de lever la tête. Un peu plus en aval, il aperçut un agneau qui buvait un peu d'eau.
- Oh! Oh! se dit le loup, voilà mon souper! Je n'ai besoin que d'une bonne raison pour l'avoir. Alors j'aurai du même coup nourriture et breuvage.
- Eh! vous là-bas, gronda-t-il. Qu'est-ce qui vous prend de troubler ainsi mon eau ?
- Pardon, dit l'agneau. Mais il n'est pas possible que je trouble votre eau. Si votre eau est boueuse, ce n'est pas ma faute. Vous pouvez voir que je n'emploie que le bout de ma langue. Et puis je bois plus bas que vous, en-dessous du courant, il n'est donc pas possible que je puisse troubler l'eau en-dessus de l'endroit où vous êtes.
- Ne discute pas avec moi, grogna le loup en montrant les dents. J'ai mes renseignements sur toi. Voilà plus de six mois que tu vas colportant des horreurs sur mon compte.
- Impossible, bêla l'agneau. Il n'y a que trois mois que je suis né.
- Eh bien, répartit le loup, si ce n'est toi, c'est donc ton frère, et ça ne vaut guère mieux.
Et, avant que l'agneau ait pu dire un seul mot de plus, le loup sauta sur le pauvre petit et le dévora.

Mauvaise raison est toujours assez bonne pour un brutal.

Esope.


Et voici maintenant celle de la Fontaine :


Le loup et l'agneau.


La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant

Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.


Jean de La Fontaine.


Qui fut Esope?

Esope.jpg (Une représentation d'Esope).




Autant, sinon plus qu'Homère, son existence réelle est problématique et relève de la légende.

Les propos, le concernant, de Lilian Thuram dans son livre Mes étoiles noires (éditions Philippe Rey), et l'autre soir à la télévision, m'ont incité à faire quelques petites recherches, dans des ouvrages, qui ordinairement font référence.


Voici, par exemple ce qu'en dit l'Encyclopédie Universalis ( éditions de 2006) :


« La vie d'Ésope est le sujet de légendes au milieu desquelles la vérité est devenue presque impossible à démêler. Samos et Sardes, Mésembrie en Thrace et Cotyéum en Phrygie prétendaient lui avoir donné le jour. On en fait l'esclave d'un habitant de Samos nommé Jadmon ou Xanthus. Il aurait été affranchi par son maître, aurait visité la cour de Crésus et assisterait au banquet des Sept Sages, chez Périandre, à Corinthe. D'après Plutarque, il serait chargé par Crésus de porter une précieuse offrande au temple de Delphes et de distribuer des présents aux Delphiens ; mais il n'aurait pas accompli jusqu'au bout sa mission, détestant cette population qu'il jugeait cupide, et il serait mort, précipité de la roche Hyampée, sous l'accusation d'avoir dérobé une coupe d'or consacrée à Apollon (Aristophane déjà faisait allusion à cette condamnation.) Cependant, une tradition postérieure le représente aux Thermopyles quatre-vingts ans plus tard. La Vie d'Ésope la plus répandue, qui fut retrouvée dans un manuscrit du XIIIe siècle et attribuée à Maximos Planude, le représente accablé de difformités physiques dont les Anciens ne parlaient pas .

Ésope est probablement plutôt un conteur qu'un écrivain. Les fables que nous avons sous son nom n'ont pas été écrites par lui mais sont postérieures. D'autre part, sa réputation était si grande que toutes les fables déjà populaires, remontant à la plus haute antiquité, dont il circulait des rédactions en prose, lui ont été attribuées. Les cent quarante fables recueillies par Planude, écrites dans une prose assez sèche (on a cru longtemps qu'elles avaient été rédigées par des moines byzantins parce que les moralités semblaient tirées de l'Évangile), seront portées au nombre de deux cent quatre-vingt-dix-sept au XVIIe siècle, puis au nombre de quatre cent soixante-quatorze au XIXe (cent quarante-neuf sont fournies par un manuscrit de Florence du XIIIe s.).

Socrate dans sa prison mettait en vers celles qui lui restaient en mémoire. Ces fables « d'Ésope » seront même traduites en vers français par Gilles Corrozet (1542) et mises en quatrains par Bensérade (1678). Nous savons que La Fontaine s'en est fréquemment inspiré. Par ailleurs, c'est en l'honneur d'Ésope que les poètes du Moyen Âge baptisent « Ysopet » leurs recueils de fables.

En fait, ces petits récits, où les animaux donnent des leçons aux hommes, sont issus de la tradition orale : ils ont dû longtemps se transmettre par la bouche des aïeules et des nourrices. Le peuple grec du VIe siècle, déjà soucieux de morale pratique, souhaite alors les voir fixés par l'écriture. À la même période circulent des maximes qu'on attribue, d'une manière analogue, aux Sept Sages ».


Dominique RICHARD

Et voici maintenant ce qu'en dit l'Encyclopédie Philosophique Universelle ( Les oeuvres philosophiques. Dictionnaire (3) page 137.


Esope VIè siècle avant J-C.



« Contemporain des Physiologues de Milet? Esclave phrygien affranchi à cause de sa sagesse? Grand voyageur visitant l'Asie Mineure? Mis à mort par les Delphiens qu'il aurait comparé à des « batons flottants »? ...Esope est certainement un personnage fictif dont le nom sert d'étiquette à un recueil de brefs apologues en prose, décalques probables d'anciens contes populaires Indo-Européens. Deux points sont établis : d'une part, la rédaction des fables fut tardive; d'autre part, ces récits furent connus et appréciés des Grecs du temps de Socrate et d'Aristophane ».


On aura noté le grand nombre de points d'interrogation ponctuant cette brève notice.

De cette recherche il découle que l'oeuvre d'Esope est plus importante que son auteur, en admettant qu'il ait existé, et qu'il faut faire, le concernant, une part plus grande à la légende qu'à l'histoire; une légende qui peut aller en s'enrichissant au fil du temps, et éventuellement des idéologies dont se nourissent les hommes.

C'est peut-être la leçon qu' il faut tirer du bref chapitre que lui consacre Lilian Thuram, ancien champion de football et nouvel historien, dans son livre Mes étoiles noires.

« Esope nous dit-il aurait été (ce conditionnel passé 1ère forme est souligné par le Scrutateur) un Nubien emmené comme esclave en Phrygie et ses fables s'inspiraient sans doute ( souligné par le Scrutateur) des contes de sa région » ( p. 27).

Après tout pourquoi pas?

Selon M.Thuram, Esope était un noir (Nubien), et un esclave. (On sait l'importance de l'esclavage dans l'ancienne Egypte, dont il fut l'une des institutions majeures, et millénaires).

« Au cours de sa vie d'esclave nous dit Thuram, Esope livre un combat incessant contre son maître Xanthos, dont le nom signifie « blond »".


img188.jpg ( Et dans le livre de Thuram).

Mais que l'helléniste ( ou celui qui a relu le texte de notre compatriote) nous livre une juste étymologie du mot « xanthos » ne suffit pas à faire d'Esope un noir, même s'il a été esclave. Car esclave n'est pas synonyme de noir. L'étymologie d'ailleurs de ce mot dérivé du latin médiéval « slavus », désigne les « slaves » (ascendants de MM. Poutine ou Eltsyne) qui, en des temps anciens, nombreux, avaient été réduits en esclavage par les Germains.

Mais tout cela n'est pas très important.

Les encyclopédies dans cinquante ans, compléteront leurs éditions actuelles.

Elles écrieront : « Esope : personnage plus ou moins légendaire, dont l'oeuvre de moraliste est plus importante que la personne. Au début du XXIè siècle, des chercheurs, plus ou moins inspirés, lui auraient trouvé des ascendances nubiennes ».


Et de fait, Esope est remarquable par sa pensée, qu'il soit noir ou blanc, ou jaune.

C'est ce dont je suis pour ma part persuadé, au moins autant que Lilian Thuram.

 

Edouard Boulogne.

 

 

 

 





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