1 Avril 2010
Prosopopée de Pointe-à-Pitre en ce Vendredi Saint 02/04/2010.
(Eglise Saint-Pierre et Saint Paul à Pointe-à-Pitre)
Le Chemin de Croix de la « Pointe »
(version poétique de Claudie ADOLPHE)
A l’approche du Vendredi Saint, en cette période de pénitence , de génuflexion, de flagellation intérieure, de regard sur soi et de ses péchés de l’âme, j’ai vu, en rêve, Pointe-à-Pitre la repentante entamer son chemin de croix sur ses années enfuies et prier pour des jours meilleurs.
( Place de la victoire à Pointe-à-Pitre).
La Pointe, ville qui m’a vu naître et qui, très tôt, me berça dans ses bras de vieille mabo, La Pointe, ville-chapelle de mon enfance, ville-relique,
Ville-album si pleine de visages lointains au parfum oublié, La Pointe….
Elle était là, devant moi, son visage de pécheresse ruisselant des larmes de pluies des « douvants-jours » et pour moi, laissait parler son cœur de mandoline du début de siècle, me chantant à sa manière son antan longtemps , me transmettant les messages oubliés que se chuchotaient dans la touffeur des nuits, front contre front, les balcons ouvragés des demeures créoles et que soufflaient dans un faible râle les lèvres rugueuses des vieilles persiennes.
J’ai vu, en rêve, debout devant moi, la Pointe aux pieds nus d’esclave, au triste
Sourire de mulâtresse solitude, aux tresses frisées de chabine dorée, aux somptueuses toilettes et colliers-choux de matadores. J’ai vu……..
Dans mon rêve, j’ai vu…..j’ai entendu……..
( Le musée St-John-Perse, à P-à-P ).
« Je suis née, me disait son soupir, il-y-a longtemps, si longtemps… dans un
berceau mangrovique , entre marais herbacés, mornes verts et forêts marécageuses. Les siècles en se succédant, ont tourné sur moi leurs pages
aux écritures incertaines, tour à tour heureuses ou douloureuses, me laissant
cheminer à travers guerres, incendies, tremblements de terre, cyclones et épidémies, entre mariages, naissances et baptêmes empreints de folles espérances et enterrements aux goûts amers.
Qui suis-je aujourd’hui devenue pour venir ainsi en repentante implorer le ciel ?
Serais-je la Marie-Madeleine qui a vendu son âme à la ténébreuse insécurité et laissé la drogue gangreneuses dévorer mes artères ?
Ces pas qui ont foulé à une autre époque mes trottoirs défoncés de certaines rues,
sous les éclaboussures des caniveaux d’eau croupissante, résonnent encore devant le vide laissé par les démolitions de mes maisons hautes et basses,
Poussant alors le passant nostalgique à apercevoir derrière la triste laideur des palissades de tôles taguées, le jeu d’ombre et de lumière des dentelles de zinc
Fanfreluchées de ces fantômes évanescents brillant dans leurs enceintes d’herbes-raziers.
( Le marché central de P-à-P )
Pour soulager mon tourment, faire taire ma détresse, pour flatter mon égo, il
Me fut offert ce titre ronflant et honorifique de Ville d’Art et d’Histoire . Pourtant de mes demeures anciennes, je ne puis que pleurer la lente agonie.
Dans d’autres rues, des supports incurvés et des fers forgés de balcons ouvragés semblent implorer le ciel dans le vide laissé par le silence des pas et l’envol brisé des bavardages animant autrefois les planchers aujourd’hui disparus tandis que derrière la sagesse des paupières closes des persiennes, les squatteurs indélicats, en termites dévoreurs, continuent insidieusement, à ronger les âmes de bois, provoquant incendies et déchéances.
Moi, La Pointe, en ces jours de carême torride où la sécheresse souffle sur moi
Son haleine brûlante de louve assoiffée, moi, La Pointe, face au calvaire de mon
Mal de vivre, de mon mal-être, j’entamerai mon chemin de croix et de mon chapelet glissant entre mes doigts tremblants, j’égrènerai des perles de larmes, hurlant au ciel ma déconvenue.
Ah si seulement la horde sauvage des pluies de l’hivernage terrassant le carême
De leur sabots trépidants pouvait, dans le même temps, piétiner et faire disparaître les traces destructeurs que laisse dans mes artères l’insécurité grandissante , si elle pouvait éliminer sur son passage victorieux toutes ces armes blanches, ces armes à feux et anéantir d’un seul coup toute cette violence destructrice, si seulement… si seulement elle pouvait écarter et souffler au loin
De ses naseaux écumants cette drogue asphyxiante qui empoisonne mes poumons, si seulement …. »
( Vus de la Darse à P-à-P, le clocher de l'église de Massabielle, et la tour de la scrutation).
Ainsi m’est apparue en songe La Pointe enveloppée de ce voile d’amertume
Que seuls savent tisser les tourments de l’âme. La Pointe, si chère à mon cœur, la Pointe si pleine de mes souvenirs d’enfance, la Pointe qui m’a vu naître, la Pointe pleurant son identité d’antan, la Pointe entamant son chemin de croix sur son mal de vivre, la Pointe priant pour des jours meilleurs.
Claudie Adolphe