En 1954 j'avais douze ans. Jamais jusqu'alors je ne m'étais intéressé à la politique. Un matin pourtant comme je l'ai raconté au tout début de mon
livre France, garde-nous, je tendis l'oreille à ce que disait la radio. Durant la nuit, en Indochine, le camp retranché de Dien Bien Phu était tombé. Voici ce que j'en
écrivis en 1988 ( France, garde-nous, pp.14 et 15 ) :
« J'aime la France. D'un amour viscéral, charnel et spirituel aussi,
inséparablement. Sans doute cet amour est-il plus ancien encore, mais c'est en mai 1954 qu'il s'est révélé à lui-même, a pris conscience de lui-même. Un matin de mai 1954, l'enfant de 12 ans qui
rassemblait « ses affaires » avant de partir pour l'école, tendit soudain une oreille. Du vieux poste d'avant-guerre, aux formes baroques, qu'il n'avait pas eu de mal à soutirer à l'une de ses
grand-tantes, s'égrenaient parmi les nombreux crachements parasites les nouvelles du journal d'information de « Radio Paris ».
Des nouvelles dramatiques. Très loin, là-bas, en Indochine, l'armée française
venait de subir une défaite écrasante ; cette nuit-là, le camp retranché de Diên-Biên-Phu était tombé aux mains des communistes du Viêt-minh.
Nos soldats, disait-on, s'étaient bien battus, avaient héroïquement résisté, mais
avaient dû céder, sous le nombre et faute de moyens, de munitions, de vivres.
J'en ressentis un choc violent qui me poussa, contrairement à mes habitudes, à
suivre le cours des événements.
Quelques jours plus tard, au cinéma, les Actualités Gaumond, rétrospective des
événements de la semaine, très prisées à cette époque non encore saturée d'images, offrirent un reportage sur la chute de Diên-Biên-Phu, sur la situation en Indochine, et sur les conséquences de
tout cela dans la vie politique française.
Les dernières images furent celles de l'Arc de Triomphe de l'Etoile, celle d'un
immense drapeau tricolore frissonnant au vent, sous l'arcade, au-dessus de la tombe du soldat inconnu. Le journaliste concluait sur la décadence d'un pays au passé si glorieux et encore si
récent.
Je me surpris, la gorge nouée, et les poings serrés à ravaler des
larmes.
Du coup, j'interrogeai mon père. Il m'expliqua que la France était très affaiblie
matériellement et moralement, par deux guerres mondiales, et qu'elle allait perdre son empire colonial, travaillé par des courants hostiles en partie suscités par des puissances qui avaient
intérêt à l'abaissement de notre pays, au premier rang desquelles l'Union soviétique et l'idéologie communiste. Il n'est pas dit-il, jusqu'à la Guadeloupe et la Martinique qui ne puissent être
menacées par cette vague antifrançaise de décomposition.
Quelque chose en moi refusa immédiatement cette prophétie, cet avenir-là. Un
sentiment qui s'alimentait à quelque nappe profonde, que je n'ai aucune honte à appeler l'amour de la patrie, malgré l'affectation de dérision à l'égard du patriotisme dont se targuent
aujourd'hui tant d'intellectuels français.
De cette époque date sans aucun doute mon intérêt pour la
politique et un engagement passionné, jamais démenti.(…). »
En 1965, à Paris, je vis, à sa parution, le film beau, et tragique de
Pierre Shoendoerffer,La 317 ème
section.C'est ainsi que je fis connaissance avec l'homme qui est mort aujourd'hui, et
dont le Figaro du jour brosse à grands traits la vie et la carrière :
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ALERTE INFO > 07H52
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"Le réalisateur et
écrivain Pierre Schoendoerffer, 83 ans, est mort (Info Le Figaro)
Le réalisateur et écrivain français Pierre Schoendoerffer est décédé tôt ce matin, a appris Le Figaro auprès de la famille. Il avait 83 ans.
Engagé dans le service cinématographique de l'armée, il est fait prisonnier à Diên Biên Phu, puis devient reporter-photographe de guerre après sa
libération. Il se lance ensuite dans le cinéma et réalise entre autres deux adaptations des romans de Pierre Loti : 'Ramuntcho' et 'Pêcheurs d'Islande'.
En 1963, il tourne 'La 317e section' - adaptation de son propre ouvrage sur le conflit vietnamien. Son documentaire 'La Section Anderson' en 1965,
sur la guerre d'Indochine, remporte l'Oscar dans sa catégorie.
En 1977, Pierre Schoendoerffer adapte 'Le Crabe tambour' - un autre de ses romans - interprété par Jean Rochefort et Jacques Dufilho. Les deux
acteurs remporteront respectivement le César du meilleur acteur et du meilleur second rôle masculin.
En 1982, le réalisateur tourne 'L' Honneur d'un capitaine'. Pierre Schoendoerffer s'accorde ensuite une pause d'une dizaine d'années, et revient
avec une autobiographie, 'Dien Bien Phu', basée sur son expérience au Vietnam. ( Figaro ) ».
Par la suite j'ai vu presque tous les films de Pierre : Le crabe
Tambour, L'honneur d'un capitaine, et le grand film sur Dien Bien Phu, où il fut acteur, puis prisonnier dans les camps du Viet Minh.
Comme il serait souhaitable que les chaines de télévision offrent à un public,
trop souvent gavé de médiocrités, quelques-uns des films de Shoendoerffer. Pour une cure d'altitude, en quelque sorte.
Honneur et Fidélité Monsieur Pierre Shoendoerffer.
A Dieu !
Edouard Boulogne.
( I ) Quelques extraits du film Dien Bien Phu
:
http://www.youtube.com/watch?v=yfY6MQVs4CI
(II ) Rencontre avec Pierre
Shoendoerffer.
http://www.youtube.com/watch?v=pZGaW-YOxCY