5 Décembre 2013
Cet entretien avec M. Philippe Bilger, ancien avocat général à la Cour d'appel de Paris ( une autorité dans le monde judiciaire ), aujourd'hui retraité, a été publié dans le Figaro. Les illustrations de l'article ont été choisies par Le Scrutateur. LS.
ENTRETIEN - L'ancien avocat général, aujourd'hui président de l'Institut de la parole, n'a rien perdu de son éloquence précise et féroce. Son réquisitoire contre Christiane Taubira en témoigne.
LE FIGARO. - Comment jugez-vous le bilan de Christiane Taubira?
Philippe bilger. - Il est très mince. Et encore ce jugement est bienveillant parce qu'il laisse penser qu'à un moment donné, Mme Taubira s'est réellement préoccupée de sa charge de ministre de la Justice. Sorti du comité de consensus de prévention de la récidive, son bilan se limite au mariage pour tous et à la loi contre le harcèlement.
La loi sur le mariage pour tous a finalement été votée…
Le comportement parlementaire de la gauche et de la garde des Sceaux en particulier sur le mariage pour tous a contribué à déchirer une France que François Hollande voulait rassembler.
C'est donc son inaction que vous jugez sévèrement?
Cette inaction ne l'a pas empêchée d'avoir une influence néfaste. Dans les premiers mois, son discours exclusif et obsessionnel a été de dénoncer le malheur des détenus et des condamnés qui étaient en prison, comme si en réalité ils y avaient été injustement jetés. Comme si les véritables victimes n'étaient pas celles qui ont souffert des crimes et des délits. Elle n'a certes pas créé l'insécurité, elle n'a pas créé le drame du bijoutier de Nice mais je pense profondément que les transgresseurs peuvent ressentir le sentiment diffus que l'on est passé d'une rigueur affichée à une mansuétude proclamée et dogmatique.
Son projet de loi sur la peine de probation peut-il réduire la criminalité?
La peine de probation et la contrainte pénale sont des armes dérisoires contre l'augmentation de la délinquance. Elles renforcent un peu plus l'opposition entre la France confrontée à des quotidiennetés douloureuses et le cercle enchanté des concepts et des dogmes qui n'affrontent jamais le réel.
Elle est très populaire…
Mme Taubira a une haute opinion d'elle-même. Elle n'hésite pas à se couvrir de fleurs et elle est médiatiquement et politiquement couverte d'éloges. Les gens qui l'acclament ne le font pas parce qu'elle a bien mené la mission qui lui avait été confiée par le président de la République mais pour la périphérie : une aura, une intelligence et une oralité. Les attaques racistes qu'elle a subies sont odieuses. Mais ces imbéciles malfaisants ont, d'une certaine manière, facilité le travail que Christiane Taubira ne cesse de faire depuis qu'elle est ministre. C'est-à-dire laisser penser qu'elle est attaquée parce qu'elle a mis en œuvre une politique. Or tous ceux qui adorent Christiane Taubira (dont le journal Elle qui, comble de l'absurdité, en a fait la femme de l'année) ne parlent d'elle qu'en dehors de la parenthèse ministérielle. À aucun moment on n'examine la validité de son rôle comme garde des Sceaux. Elle-même, avec habileté, assure que c'est en qualité de garde des Sceaux qu'elle a subi des attaques racistes. Personne ne peut le croire. Elle se sert de ce statut indiscutable de victime comme bouclier contre ceux qui s'effarent d'une politique aussi inexistante.
Que mettriez-vous à son crédit?
À ma connaissance, la Chancellerie et le pouvoir politique n'interviennent plus dans la gestion des affaires sensibles. Elle a bien fait de mettre fin à l'expérience des jurés citoyens. Enfin, la magistrature est traitée avec respect et courtoisie. Ce n'est pas elle qui viendrait traiter les magistrats de petits pois.
Elle n'a pas fait de chasse aux sorcières…
Elle s'est concentrée sur la Chancellerie. Elle a compris que l'essentiel était de mettre une tonalité d'extrême gauche au sommet puisque le ministère inspire par ses circulaires la politique pénale. Elle est demeurée fidèle à ce qui fait le fond des politiques de gauche quand ils n'ont rien à proposer en matière judiciaire, c'est-à-dire défaire ce qui a été fait auparavant. Par exemple, sa volonté de supprimer les peines planchers est absurde.
À vous entendre il s'agirait d'une icône pour socialistes désespérés…
À partir du moment où la gauche du gouvernement a été obligée de s'accommoder du réel, ou même de plier sous lui, elle a trouvé Christiane Taubira comme consolation. Elle est, en quelque sorte, le résidu miraculeux d'une gauche très minoritaire qu'elle est chargée de réconforter. Autrement dit, il fallait Christiane Taubira pour que la gauche qui rêve d'être toujours la gauche se persuadât qu'elle l'est encore.
On a coutume de mettre en avant son courage…
La grande majorité des médias l'adule. Quand on bénéficie d'un tel encens, on peut se demander où est le courage. Je n'ose pas imaginer ce qu'aurait reçu comme sarcasme un autre garde des Sceaux, par exemple de droite, s'il avait été aussi remarquable par son inaction et son talent oratoire. Son courage est très relatif. Si quelques malfaisants l'ont traînée de manière odieuse dans la boue raciste, il ne faut pas oublier que, pour l'essentiel, elle bénéficie d'une adhésion, d'un soutien que je trouve absolument déplacé. Y a-t-il un autre garde des Sceaux sur lequel les médias ne se seraient pas jetés pour enquêter lorsqu'il y a un tel flou sur les études, les doctorats? Pourquoi n'enquête-t-on pas? Rachida Dati n'a pas eu droit à la même indulgence. La vérité est qu'il y a une révérence de principe. Les médias sont tétanisés. Ils ont peur d'être taxés de racisme.
Vous lui reconnaissez tout de même un talent oratoire…
Oui. Elle a inventé l'action verbale…