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3 Octobre 2013
Où l'inculture des énarques-technocrates du Quai d'Orsay, et leur démocratisme abstrait et mécanique, risquent de replonger le Mali dans la guerre civile, et dans l'horreur, comme avant la colonisation. Un historien, spécialiste de l'Afrique, et « autrement » cultivé, l'explique à qui VEUT comprendre.LS.
A Bamako, le 20 septembre dernier, François Hollande a peut-être parlé un peu vite quand, dans un bel élan d’optimisme, il déclara : « Nous avons gagné cette guerre. Nous avons chassé les terroristes ». Le 26 septembre, moins d’une semaine plus tard, les milices nordistes (touareg et arabes) rompaient les « accords de Ouagadougou » ; signés au mois de juillet précédent ces derniers avaient permis à l’armée et à l’administration sudistes de reprendre pied au Nord. Le 29 septembre un attentat suicide revendiqué par AQMI ensanglanta Tombouctou et le 30, des affrontements armés opposèrent des Touareg du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) à des soldats maliens. Au même moment, à Bamako, des militaires mutinés exigeaient des promotions à l’image de celle obtenue par le capitaine putschiste Sanogo promu général de brigade par le nouveau président… Le nuage islamiste repoussé vers le sud de la Libye, le réel malien est donc vite réapparu. Tout le bénéfice de l’Opération Serval est-il donc perdu ?
Militairement, Serval fut pourtant une réussite, mais, comme il fallait hélas le craindre - et comme je l’avais annoncé -, la « relève » des militaires par le Quai d’Orsay a abouti à une catastrophe pour deux grandes raisons :
1) Mentalement englués dans leur impératif démocratique, les diplomates français en charge du dossier ont appliqué la recette qui, de la Libye à la Côte d’Ivoire a partout échoué dans les situations de crise, à savoir organiser des élections.
2) Les mêmes ne voulurent pas peser sur les Maliens afin de régler une fois pour toutes le problème de fond qui est celui de la question ethno-régionale.
Dans ces conditions, comme aux yeux de toutes les parties maliennes, le principal résultat de l’Opération Serval est d’avoir permis aux Sudistes de réoccuper le nord Mali d’où les Nordistes les avaient chassés, les évènements négatifs vont donc s’additionner. Comment éteindre ce foyer récurrent de troubles qui ne cesse de se rallumer depuis 1960 ?
Le cœur du problème sahélien et notamment malien est que, depuis la nuit des temps, Sudistes et Nordistes sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert du nord et les savanes du sud. Plus au sud, à partir de la fin du XVIII° siècle, les royaumes animistes bambara subirent les razzia esclavagistes menées par les Maures vivant dans le désert, à l’ouest des espaces touareg. Ils furent conquis, ravagés et islamisés. Or, toutes les populations nomades nordistes, Touareg, Maures, Arabes, mais aussi dans une large mesure Peuls, furent esclavagistes et puisèrent dans le « vivier humain » sudiste du Bilad al Sudan, le « pays des Noirs ». Les Sudistes gardent la mémoire de ces périodes dramatiques. La colonisation qui les sauva rassembla ensuite vainqueurs et vaincus, esclavagistes et razziés, nomades et sédentaires, dans les limites administratives du Soudan français. Avec l’indépendance, ce puzzle humain composé de Touareg, de Maures, de Peul, de Songhay, de Bambara, de Soninké et de Malinké devint le Mali. Les Touareg qui refusèrent d’être soumis aux Sudistes se soulevèrent à maintes reprises. Sur ce terreau se développèrent les trafiquants de toutes sortes, puis les islamistes prospérèrent.
Le vrai problème du Mali est donc celui de ses équilibres ethno-régionaux. La question touareg qui, au mois de janvier 2012, fut le déclencheur des évènements n’ayant pas été réglée, et le nouveau président, « IBK », n’ayant ni les moyens ni l’intention de le faire, elle se repose donc avec intensité. Or, sans règlement du problème Nord-Sud, les guerres ne cesseront pas et c’est pourquoi, au lieu de la démocratie d’abord, c’est bien de la question ethnique d’abord qu’il faut parler. Mais un tel changement de paradigme ne peut être pris en compte sans une profonde remise en question des dogmes démocratiques auxquels nos dirigeants sont soumis. Pourtant, l’utopie universaliste est ici d’autant plus crisogène que la variante africaine de la démocratie fondée sur le « one man, one vote » est d’abord une ethno-mathématique qui donne automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les Sudistes, ce que les Nordistes, et pas seulement les Touareg, n’acceptent plus. Dans ces conditions, vouloir faire vivre dans le même Etat et selon les principes démocratiques reposant sur l’addition des votes individuels, les agriculteurs noirs sédentaires du Sud et les nomades berbères ou arabes du Nord, est une nuée dévastatrice des équilibres locaux et régionaux.
Cependant, comme le nord Mali, ou Azawad, n’est qu’en partie peuplé de Touareg et comme il existe en réalité trois Azawad, celui de l’ouest qui est Maure, celui de l’est qui est Touareg et celui du fleuve qui est à majorité Songhay et Peul, il ne peut donc être question de reconnaître aux seuls Touareg, lesquels sont de plus divisés socialement, politiquement et géographiquement, la possession de la totalité de l’Azawad. La solution qui pourrait alors être envisagée serait celle d’une confédération malienne avec un Azawad composé de plusieurs régions. Mais de cela, les Sudistes ne veulent pas, continuant, contre toute évidence, à parler d’un Mali unitaire. L’erreur française fut ne pas avoir conditionné l’intervention militaire au préalable confédéral. Rien n’est donc réglé au Mali. L’Opération Serval aura du moins servi à tester les capacités d’adaptation et de réaction d’une armée française devenue la variable d’ajustement des déficits de l’Etat et dont les moyens sont continuellement rabotés.
Bernard Lugan 02/10/2013 |