29 Octobre 2012
( A droite, M. Pierre Mosco vite t'chié , ministre des finances. Cette insolente et si républicaine légende de la photo est de la rédaction
du Scrutateur, et non de M. Bizeul ).
Monsieur le Ministre, Cher Pierre,
Pardon de cette familiarité. Il y a quelques années, je t'appelais en effet par ton prénom. Oh, nous n'avons jamais été intimes mais, à plusieurs reprises, je me souviens t'avoir accueilli dans mon restaurant de l'époque, le Gourmet's, place Dauphine, Pont-Neuf, Paris (je dis ça pour que tu t'en souviennes ;-)). Nous nous croisions, parfois, le dimanche matin, tôt, au Café de Flore et tu avais la politesse de me saluer, voire de me sourire. Je sais, cette lettre devrait être plus respectueuse, mais après tout, le socialisme devrait permettre une certaine proximité, même si tu es désormais Ministre de l'Economie et des finances.
Je sais, à plusieurs reprises, certains m'ont reproché ici de faire de la politique et, sans doute, je ne devrais pas t'écrire. Mais bon, depuis plusieurs jours, ça me démange vraiment et cet article du monde m'a décidé. A l'heure où je l'écris, je ne sais pas si je le publierai, en vérité, mais je sais que l'écrire me fera du bien, quoi qu'il en soit.
Vois tu, en épluchant la liste de ce qui, en tant qu'entrepreneur, m'attend désormais au niveau fiscal et social, en plus du harcèlement administratif qui est mon quotidien, je ne m'identifie pas, à la réflexion, à un pigeon, mais bel et bien à un rat. Un beau rat de laboratoire, dans une boîte, soumis à des décharges électriques, sans pouvoir désormais ni m'enfuir, ni combattre, comme dans ce vieux film d'Alain Resnais qui mettait en image le travail d'Henri Laborit. Oh, je ne fais pas étalage d'une culture que je n'ai pas, faute de temps puisque depuis que j'ai vingt ans, j'ai sacrifié mon temps libre à ma passion d'entreprendre. Je te parle d'un livre qui m'a marqué et qui ne finit pas bien : à partir du moment où l'on est persuadé que l'on ne pourra pas fuir les expériences douloureuses, on sombre dans l'apathie, puis notre système immunitaire s'effondre et nous mourrons. C'est une affaire de cerveau «limbique»...
Tu veux désormais - et cela se défend selon que l'on a certaines convictions, «aligner le revenu du capital sur celui du travail ». Pourquoi pas, après tout. L'époque est aussi difficile que dangereuse et l'objectif se comprend...
Ce que je ne comprends pas, c'est en quoi mon revenu est un revenu du capital ?
Est il maintenu, si, le matin, je ne vais pas travailler parce que je n'en ai pas envie ?
Si je meurs demain, mes jeunes enfants de 5 et 9 ans feront-il tourner mon entreprise comme si je n'étais pas là en en percevant les fruits ?
Ne suis-je pas caution, sur mes maigres biens, de chaque sou emprunté à mes banques, risquant ainsi en permamence ce «capital» fort mystérieux ?
Aurai je simplement la force et la créativité de m'adapter, au quotidien, à un monde en mutation permanente, secoué de plus par une crise qui me dépasse ? Et si non, que me restera t'il ?
Depuis trente ans, je «sacrifie un bien être actuel en vu d'un bien être futur supérieur», lequel est désormais hypothétique, ce que mon vieux prof de math appelait "investir".
Mais je n'ai pas envie de me plaindre, vois-tu.
Je ne t'écris pas pour ça.
Comme 2 550 000 (oui, tu as bien lu) Très Petites Entreprises, je m'adapterai, je pense, à tout ce que tu vas nous pondre, même à tes mesures actuelles que je ressens comme les plus injustes jamais mises en place et qui, et c'est le plus grave, me suppriment désormais tous mes rêves. Pas ceux de devenir milliionnaire ni d'entrer en Bourse, juste ceux de pouvoir construire une petite entreprise responsable, en vivre en étant proche de mes collaborateurs, qui vivent autour de moi et la transmettre, pourquoi pas, un jour, à mes enfants ou à un autre entrepreneur.
Je ne t'en veux pas, car à la réflexion, je me dis qu'en réalité, tu n'as sans doute AUCUNE idée de ce dont je parle. Ni des conséquences désatreuses pour notre moral des mesures que tu prends. Ni de la fin de notre envie d'investir, de travailler, de participer au «redressement productif de la France». Tu ne nous vois même pas. C'est notre faute. Nous sommes invisibles. Nous supportons tout. Nous n'avons aucun représentant syndical identifié. Nous fermons notre gueule, trop bien élevés, sans doute. Les journalistes ne savent même pas qui inviter à la radio ou à la télé, ni interviewer pour un article sur les TPME. Nous sommes des parias, des intouchables, jamais récompensés, jamais mis en avant, jamais, même, consultés. Et ne me parle pas de ces quelques patrons de Start-up que tu as reçus, ce n'est pas le sujet.
Le sujet, c'est : as tu simplement conscience que nous employons, en plus de nous même, bien sûr, 7 millions de salariés ? Que nous facturons 35 % du chiffre d'affaire de la France et 42 % de sa valeur ajoutée. Que nous exportons, alors que nous ne sommes parfois qu'un couple, dans plus de 30 pays ? Qu'avec les auto-entrepreneurs, nous avons été 580 193, l'année dernière, nouveaux venus, à nous prendre en main, à sauter dans le grand bain, seuls, malgré la conjoncture ? Oh, pas nous, vignerons. Nous tous, gérant de TPE. Ceux qui sont derrière ceux qui révisent ta voiture, ont construit ta maison ou repeint ton appartement, réparent ton évier, cultivent, élèvent, font ton pain du matin, te servent au restaurant, gardent tes enfants, te dépannent quand il te manque du lait le dimanche. Tout ce qu'on appelle la vie. La vraie. L'économie, avec un petit «e», peut-être, mais qui ne peut, celle là, venir de Chine ou y partir...
Pourquoi t'écrire, alors ?
Pour te donner quelques idées, si tu le veux bien.
Tu sais, nous, les TPE, on est des pragmatiques. Alors, je vais te donner quelques pistes, simples, sans doute trop pour ton équipe de grands pontes mais, je te l'assure, ces mesures ne te coûteraient pas grand chose et pourraient te rapporter, à toi et à la France, beaucoup.
Je me lance, je n'ai pas peur du ridicule, tu vois...
Proposition n° 1 : tiens les promesses de ton président. Donne nous le taux d'impôt sur les sociétés que tu nous a promis. Un petit coup de pousse, 15 % jusqu'à 50 000 euros de bénéfices parce que 15 %, on est tous content de les payer. On trouve ça juste, on a besoin du reste pour investir et tu peux taxer ce que l'on distribuera, on dira rien et on sera pas tenté par la fraude, que tu n'imagines pas combien tu es en train d'attiser. Mais si, en plus, nous l'intégrons au capital, ce bénéfice, par une augmentation de capital en «dur», exonère le carrément, s'il te plait, comme les Allemands. En moins de trois ans, nous serons tous bénéficiaires, nos bilans feront plaisir à voir, nos fonds propres seront remis à neuf et nos banquiers nous sourirons.
Proposition n°2 : au delà de 50 000 euros, toujours l'impôt sur les sociétés à 15 %, Mais SEULEMENT si on embauche un salarié en CDI par tranche de 100 000 euros de bénéfice, ou un jeune en apprentissage ou en formation par alternance. Si nous sommes 500 000, soit seulement 20 % d'entre nous, ton problème de chomage est RESOLU. Crois tu vraiment que ce sont les entreprises du CAC 40 qui vont créer 500 000 emplois en France en 12 mois ? Pourquoi alors allez vous leur faire des courbettes ? C'est bête, mais je vais t'expliquer : ma mesure, c'est un salarié de plus pour mon entreprise (et Dieu sait que j'en ai besoin...), un fonctionnaire ou un assisté de moins. 15 000 euros de salaires et de charges contre 15 000 euros de confiscation, pour lui donner sans qu'il travaille. Pas bête, hein ?
Proposition n°3 : relance s'il te plait l'investissement... En nous autorisant simplement à amortir sur 3 ans tous les matériels achetés dans les 24 mois. Comme ça, ton successeur ne pourra pas revenir en arrière Ca te paraît idiot ? Parles en autour de toi... Tu as une armée de fourmis qui ne demandent qu'à bosser. REGARDE les. Considère les. Écoute les. Tu seras surpris du résultat. Fais pareil, tiens, pour les bâtiments professionnels, en passant leur taux d'amortissement possible de vingt à dix ans. Le boom du bâtiment va t'étonner.
Proposition n°4 : relançons ensemble l'automobile, tu veux bien ? Amortissement sur 24 mois d'un véhicule utilitaire, 12 mois pour un véhicule utilitaire tout électrique. Ni bonus, ni rien. Juste ça. Ah, enlève la taxe idiote sur les véhicules de société, et appelle à acheter Français, puisque tu ne peux pas empêcher la concurrence étrangère. Ca devrait marcher aussi très, très bien. On est pas bête, tu vois. Pas aussi intelligent que toi, mais pas bête non plus. Si on nous demande gentiment, on peut acheter Français...
Proposition n°5 : donne plus d'ampleur au financement entre particuliers et entreprises de proximité. Simplifie les démarches. Autorise à déduire un investissement DIRECT, dans une PME de moins de 30 employés, de ses impôts (tu taxeras un jour les dividendes...), en interdisant strictement le passage par des fonds spéculatifs et la prise de commissions indues. Il y a des centaines de milliers de Français qui partagent tes opinions politiques et qui, pourtant, seraient ravis d'accompagner la construction du bâtiment de leur garagiste ou l'extension de leur pâtisserie. Tous entrepreneurs ? Pourquoi pas. Cela permettrai un vrai «pont» social, nous serions mieux compris, alors qu'en ce moment, tu nous désignes plutôt à la vindicte la plus démagogique...
Bon, voilà, Cher Pierre, Monsieur le Ministre, cinq propositions que je sortirai de ma manche si je faisais de la politique.
J'en ai d'autres, comme ça, toutes aussi simples, toutes aussi stupides, penseras tu sans doute.
Une bonne vingtaine qui nous donnerai le moral, de l'espoir, de l'énergie et qui, peut-être, nous donnerait envie de mettre toute notre énergie pour tirer, un peu, à notre échelle, de la France de l'impasse où elle se dirige. A condition, au fait, d'arrêter aussi de nous entraver par de nouvelles règles administratives, quotidiennement, parce qu'on va finir par en crever...
Mais bon, je sais, je ne me fais pas d'idées, ce billet ne sera lu que par 1 000 personnes et demain, samedi, j'irai vendanger et bosser 12 heures, heureux et fier d'être une TPE...
Et puis ça m'a fait un bien, tu peux pas imaginer
Au plaisir de te revoir un jour, sans doute pas pendant les cinq ans qui viennent.
Après, qui sait, nous croiserons nous un jour, dans la rue ?
Hervé Bizeul, vigneron, gérant de TPE.
P.S. : si tu m'invites à déjeuner au ministère, je te parlerai, si tu veux bien, des faisceaux qui relient les différents cerveaux et sont ultra sensibles à la punition (ce que tu fais...) mais aussi encore plus à la récompense (ça marche bien mieux...)
Addendum : merci à François Desperrier d'avoir trouver le passage du film dont je parlais plus haut. C'est ICI et c'est à mon avis à voir : sans pouvoir ni fuir, ni lutter, l'agressivité, même si on la sait inutile, est la dernière voie de survie, consciente ou inconsciente .