19 Octobre 2012
Je reçois aujourd'hui deux participations au Scrutateur, l'une provenant d'un lecteur martiniquais, l'autre d'un Guadeloupéen.
Je n'ai pu m'empêcher de poser un lien entre elles. Peut-être partagerez-vous mon sentiment.
Je les publie parce que c'est la mission du Scrutateur de donner à réfléchir, et de contribuer à l'équilibre de nos terres françaises d'outre-mer, qui comme l'ensemble de la France sont actuellement soumis à l'action dissolvante de courants idéologiques dangereux pour l'ensemble de la communauté nationale.
E.Boulogne.
( I ) Envoi du lecteur martiniquais.
( II ) Envoi d'un lecteur Guadeloupéen : Extrait du 1er volume des Mémoires du président Gaston Monnerville Témoignage ( Plon ). pages 28 à 30.
« (…) Mais, en ce qui vous concerne, aimiez-vous l'école ? N'était-ce pas trop contraignant dans ce pays de soleil, où l'être humain est tellement sollicité par la nature ambiante ?
Dès mon plus jeune âge, j'ai été animé d'une envie irrésistible d'apprendre. C'est ce qu'au cours d'un voyage en Guyane, lorsque j'étais député de ce département, rappelait à ma femme la première institutrice "qui m'accueillit à l'école maternelle ; et tous mes instituteurs l'ont confirmé.
C'est vrai, j'étais impatient d'apprendre, j'avais soif de savoir. Tout m'était nouveauté, émerveillement, dans ce microcosme étrange qu'était pour moi l'école. Loin de me rebuter ou de me rendre mélancolique, la rentrée des classes, en novembre, provoquait en moi une sorte d'exaltation; j'allais apprendre des choses nouvelles! Je faisais tout pour avoir de bonnes notes, et tâcher de conquérir les meilleures places, ne serait-ce que pour me réjouir de la propre joie et de la .fierté de mes parents. Mes maîtres, comme mes condisciples, m'ont souvent rappelé depuis que j'avais acquis une mauvaise habitude : celle d'accumuler les premiers prix, sans excepter le prix d'excellence — habitude que j'ai conservée jusqu'au doctorat en droit. Ce sont des choses qu'on peut rappeler à mon âge, sans excès de vanité ; pour la petitehistoire. L'école, puis le lycée, et plus tard les facultés, furent toujours considérés par moi, non pas comme un lieu de contrainte, dont la fréquentation était imposée à des reclus silencieux et tristes, mais plutôt comme des « Temples du savoir », îlot précieux où l'esprit pouvait se concentrer, s'abstraire presque, comprendre et retenir. Il ne m'est jamais venu à l'idée de « chahuter », — jamais ; Dieu sait pourtant si j'étais joueur et turbulent aux récréations ! Mais une fois franchi le seuil de la classe ou de l'étude, j'étais autre ; ce n'était pas le souci du respect de la discipline qui me transformait ainsi ; c'était le besoin de silence, je n'irai pas jusqu'à dire de recueillement, mais certainement d'attention, pour suivre, comprendre, apprendre.
Vous devez donc beaucoup à vos premiers maîtres ?
Sans conteste ! Ce sont eux qui ont doté nos petits pays d'un enseignement primaire solide, cohérent, efficace. Ce sont eux qui m'ont donné les bases fondamentales, inaltérables, de ce que je peux avoir de culture générale. Je leur en reste vivement reconnaissant. L'instituteur, ce qu'il représentait pour nous dans les premières décennies de ce siècle, le rôle important qu'il a joué dans notre formation, l'influence durable — je dis bien : durable — que son enseignement a eue sur notre comportement dans la vie, voilà des choses que comprennent mal nos jeunes contemporains. Nous les surprenons lorsque nous affirmons que l'instituteur, ou l'institutrice, symbolise pour nous non seulement les premiers pas vers le savoir, la découverte encore timide mais enchantée des premiers éléments de la connaissance, mais, en même temps, l'initiation au civisme et à la compréhension mutuelle.
Les nôtres nous apprenaient, naturellement, les rudiments de l'enseignement primaire, comme dans toutes les écoles de France. Mais ils insistaient, en outre, sur notre formation civique. La prise de conscience par l'individu de ses devoirs comme de ses droits, la nécessité et la noblesse du sens des responsabilités, le dévouement envers la collectivité, tout cela était, à leurs yeux, des notions fondamentales que l'homme de la Cité devait cultiver en lui. Dans leur pensée, la collectivité, ce n'était pas seulement la cellule locale au sein de laquelle nous grandissions. Elle était bien plus vaste ; elle s'étendait à la nation dont nous faisions partie, à cette France dont on nous disait qu'elle est la patrie de la Liberté. Il y avait là une notion toute nouvelle pour nos jeunes esprits, et qui nous séduisait. Citoyens français nous l'étions, parce que la France l'avait proclamé en une heure historique. Naissait alors en nous le sentiment, moins d'une allégeance que d'une adhésion allègre et reconnaissante à un acte profondément humain ; tout naturellement s'imposait la notion de devoir et de dévouement vis-à-vis du pays qui l'avait accompli. L'affirmation de notre attachement à ce pays, notre patriotisme, n'était pas une attitude purement formaliste, mais le sursaut naturel qui répondait à celle, fraternelle, d'une nation mue par un si haut idéal humain.
Est-ce que les maîtres qui vous ont ainsi formé étaient eux-mêmes venus en France ?
En général, non. Ils étaient originaires de la Guyane ou des Antilles, et y avaient préparé leurs diplômes. Mais une fois admis dans les cadres de l'Enseignement, ils utilisaient les congés administratifs auxquels ils avaient droit pour un séjour en France. Ils en profitaient pour suivre des cours de perfectionnement, pour prendre un contact utile avec le milieu des enseignants, et aussi pour visiter les hauts-lieux de France que l'Histoire leur avait appris à admirer de loin. Inutile de vous dire qu'à tous ces points de vue, Paris avait leur préférence. Ils revenaient au pays rayonnant de satisfaction, se sentant enrichis de connaissances neuves, impatients de les communiquer à leurs élèves, et même à d'autres.
Quelqu'un qui revenait de France apparaissait comme une sorte de messager nouveau ; il expliquait aux uns et aux autres ce qu'il avait vu et appris. De sorte que, l'histoire et l'éloignement aidant, la France nous apparaissait comme une mère tutélaire incapable d'erreur. Celles que des fonctionnaires, gouverneurs, hauts-magistrats, etc, pouvaient commettre en nos pays, les injustices mêmes dont ils pouvaient se rendre coupables, nous ne les attribuions pas à la France, mais à des représentants indignes d'elle.
Autre chose : les souvenirs de 1870 et de la défaite n'étaient pas loin. Nous aussi, à l'école, nous lisions à haute voix la Dernière Classe, d'Alphonse Daudet. Notre idéalisme patriotique nous inclinait à l'entourer davantage d'affection parce qu'elle nous paraissait malheureuse, douloureuse...
Parce qu'elle avait souffert...
Oui, parce qu'elle avait connu la souffrance de l'humiliation. Et aussi parce qu'elle portait, au flanc, une large blessure ouverte : l'arrachement de l'Alsace et de la Lorraine, après Sedan. L'écho en était d'autant plus profond en nous que l'Alsace était la province natale de celui qui, vingt-trois ans auparavant, avait appelé nos pères à la citoyenneté française. Aussi étions-nous particulièrement sensibles à l'enseignement de nos instituteurs lorsqu'ils nous expliquaient que le devoir de tout Français était de se préparer à contribuer à la réunification de la patrie commune. Il était moins question, dans leur esprit, d'une guerre de revanche que d'une préparation « civique ». Comment pourrait se réaliser cette réunification ? Nul ne le savait exactement ; mais il fallait être prêt, le cas échéant, à y contribuer efficacement ; il fallait donc se former civiquement. Il nous était souvent rappelé la célèbre phrase de Gambetta sur la justice immanente et les justes réparations du droit.
Cet enseignement primaire prenait tout son relief le samedi de chaque semaine. Ce jour-là avait lieu la leçon d'instruction civique et morale. Je me rappelle que c'est avec une sorte de religiosité que nous prononcions les mots : Liberté, Egalité, Fraternité. Ils nous semblaient être moins des vocables que des réalités, réalités précieuses, irremplaçables, à protéger, à sauvegarder, à préserver.
Notre leçon se terminait toujours par un chant patriotique, le Chant du départ, par exemple. »