13 Juin 2012
Georges Mathieu est mort. Le lien suivant -( http://fr.novopress.info/114466/georges-mathieu-de%CC%81sormais-seul-en-face-de-dieu/?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A%20novopressfrance%20%28%3A%3A%20Novopress.info%20|%20Agence%20de%20presse%20ind%C3%A9pendante%29 ) fournira l'essentiel de sa biographie. Les amateurs d'art, et les curieux, chercheront sur Google (images) à voir quelques-uns de ses tableaux, du moins ce qu'on peut entrevoir de l'univers de l'artiste dans le cadre étroit d'un écran d'ordinateur.
Mais j'ai voulu donner une image plus vraie qu'un simple éloge mortuaire, en citant ci-dessous les trois premières pages d'un des derniers livres qu'ait publié Mathieu Le massacre de la sensibilité ( chez Odilon Media ) en 1996.
Le lecteur le plus pressé ne peut manquer d'être pris, et comme possédé, par la fougue, l'allant, la ferveur polémique du créateur, tout entier à sa quête de vérité par les lignes, et surtout les couleurs, leur enchevêtrement, entremêlement, fusionnement.
Lire Mathieu, c'est comme être envahi par son ébullition intérieure. Le myste est possédé, il nous interpelle, nous saisit puissamment, au fond de notre âme elle-même, pour nous détourner du spectacle des vaines images du gros animal social qu'il méprisait à l'instar d'un Platon, qu'il invectivait pourtant avec feu, peut-être pour exaspérer son grand ami le philosophe Pierre Boutang grand platonicien, entre autres, devant l'éternel.
Qu'on ne s'y méprenne pas Georges Mathieu n'était pas un méchant fanatique inspiré par la haine.
Mais ce n'était pas un tiède. Les très brefs extraits que je propose en témoignent.
Ils nous inspirent, il devrait du moins en être ainsi, le désir de suivre l'auteur en ses inclinations et détestations, de le contredire aussi, pourquoi pas, et si l'on peut, mais en tout cas de sortir du sauna tiède où tant se complaisent, pour vivre de l'esprit et de ses fulgurences . Mathieu ne recule devant rien. Jugez-en : s'en prendre, et avec quelle virulence, à Socrate, Platon, Descartes, Nicolas Boileau « le borné »! Holà!
Mais que l'on prenne garde! Je sais par des gens qui l'ont un peu fréquenté qu'il suffisait de s 'en prendre aux mêmes devant l'artiste, pour qu'il leur vole dans les plumes.
Car il faut se méfier des polémistes, du moins de ceux qui, tel Rodrigue, ont du coeur. Ces messieurs sont souvent des provocateurs. Attaquer Platon, c'est aussi, susciter une bonne querelle qui, peut-être rapprochera du vrai, et aura, du moins, nettoyé les lames qui, sinon, rouillent dans leurs fourreaux.
Avec mon maître et ami des années 1960, le philosophe, tout à fait hors normes lui aussi, Pierre Boutang, Mathieu, m'a t-on dit ( je n'ai pas eu le bonheur d'assister à leurs joutes ), jouait le provocateur. Il trouvait du répondant.
C'était avant la télévision, avant la mainmise de l'Industrie et du Capital sur toute la création artistique.
Il y a des Mathieu encore, pourtant, des Boutang, des Olivier Messiaen ( leur pair pour la musique ).Ils sont soigneusement occultés par les Jack Lang, et les Frédéric Mitterrand de France et d'ailleurs.
On ne les connait pas. Aviez-vous, une fois depuis trente ans, entendu parler de Georges Mathieu?
Ils persévèrent cependant dans leur quête d'absolu, enfoui pour l'instant, à des lieues sous la surface dégoulinante des sunlights de la « TV ».
Mais si le grain n'est pas semé, comment germinerait-t-il.
Dans leur exil, les créateurs persévèrent.
Dans les ténèbres, ils attendent et espèrent.
Au bout de la nuit il a toujours de la lumière.
Même si l'aurore, parfois, tarde à poindre.
Georges Mathieu, sûrement, arpente maintenant ces champs élyséens, là où toutes larmes sont essuyées, toute peine consolée.
Edouard.Boulogne.
La conception hégélienne de la modernité a
fourni autant d'alibis à des multitudes
d'artistes sans talent que le respect de la
tradition en a accordés à autant de peintres sans génie.
Georges Mathieu
introduction
La France, pays de culture par excellence, eut longtemps le privilège de ressentir plus que d'autres nations, la politesse de l'esprit, la grandeur des sentiments, les délicatesses et les agréments de la vraie "honnêteté". Où donc aurait pu naître et croître ailleurs, un chevalier de Mèré ?
Depuis quelques décennies, hélas, une conjonction de circonstances et d'événements a refoulé, écrasé et massacré ces dispositions du coeur.
Citons en vrac : l'évolution de l'art, l'effondrement de l'esthétique et du goût, la rupture avec les racines, la séparation des générations, les ravages des idéologies, l'égalitarisme prôné comme un bienfait, le dirigisme culturel, l'avènement des techniques audiovisuelles, le rationalisme omniprésent, la civilisation du libéralisme marchand, le déclin de la spiritualité religieuse, le discrédit de la poésie, la démission de ce qui reste de noblesse, la prétention bourgeoise, la résurgence de la barbarie, la perle progressive de l'identité de la France, l'influence des modes américaines...
Nos intellectuels -qui ont aussi une très grande part dans cette lente marche vers la dégradation des valeurs, accentuée par une dégénérescence politique et l'incapacité des philosophes, des artistes, des hommes de bonne volonté à faire sourdre de ce monde ce que j'avais appelé une nouvelle "renaissance" dans De la Révolte à la Renaissance paru aux Editions Gallimard en 1973 se sont enfoncés dans un rare aveuglement croyant trouver dans des dialectiques vaines et illusoires l'alibi de leur carence. Leurs démarches me font penser au comportement d'Edgar Faure me disant un jour, avant de passer à table alors que je le rencontrais pour la première fois : "Mon Cher Maître, je ne comprends rien à la peinture, mais comme je m'y entends en esthétique, je pense que nous allons pouvoir avoir un dialogue fructueux". Ce à quoi je répondis : "Je crains, Monsieur le Président, que cela ne soit pas le cas car l'esthétique procède de la peinture". En effet, à peine était-on à la fin des hors d'oeuvres qu'il m'injuria après énonciation de ma célèbre inversion sémantique que j'évoque dans le chapitre "De Hugues de Payen au Phallus embaumé d'Osiris" dans mon livre L'Abstraction prophétique, paru aux Ed. Gallimard en 1984 et se mit en colère jusqu'au fromage. Cette prétention de la raison sur la sensibilité remonte très loin. Déjà Socrate croyait pouvoir enseigner à Parrhasios et à Cliton la manière de peindre ou de sculpter.
Platon qui, comme on le sait, ne s'entendait pas plus à la peinture qu'à la musique, accapara jusqu'à la Renaissance toute réflexion sur l'art, en situant dans la même région, le beau, le vrai et le bien, fourvoyant tous les artistes jusqu'à Mondrian compris, lequel croyait, lui aussi, devoir partir d'une idée universelle et transcendante, alors que c'est en descendant en soi le plus profondément que nous pouvons rejoindre tous les hommes. C'est bien un "conte de bonne femme", comme disait Alain, que cette initiation à la Beauté par l'Amour pour atteindre l'absolu, l'âme parvenant au-delà de l'être lui-même.
Il faudra attendre Kant pour retrouver l'autonomie du sensible par rapport à l'intelligible et plus catégoriquement encore c'est à Nietszche que l'on doit la consécration du monde sensible et, pourrait-on dire, la suprématie de l'artiste sur le philosophe. Si Descartes toutefois annonce avant Kant le primat du goût sur le beau en soi, il n'y a pas lieu de s'attarder sur l'apport de l'auteur du Discours de la Méthode, lequel ne s'est jamais exprimé sur l'Esthétique proprement dite, étant incapable comme l'affirme Revault -d'Allones d'unir "les sens et l'entendement, la faculté de percevoir et de juger", mais il y a bien lieu de déplorer les effetsnéfastes du cartésianisme sur la sensibilité, allant jusqu'à l'extravagante suprématie des valeurs intellectuelles qui règnent sur lesvaleurs sensibles depuis trois siècles. Mais c'est à Leibnitz contre Descartes que l'on doit la réhabilitation des concepts de vie, de forme et de fin. A partir de lui, ce n'est plus la raison qui pourra appréhender la manifestation du beau, à partir de lui l'irrationalité acquiert enfin ses titres de noblesse.
Auparavant, je souhaiterais régler son compte à Boileau, le plus horné thuriféraire d'un classicisme qui n'a pour finalité que de peindre d'après nature, réduisant sempiternellement la beauté à une simple représentation de la vérité, ... » ( J'interrompt ici ces quelques extraits de la préface du livre de Georges Mathieu ( édition Odilon Media ).