25 Avril 2013
Ce blog est ( ou se veut ) un lieu de réflexion politique, littéraire etc. Il ne veut pas être un espace de confidences sentimentales. Mais il est aussi, nolens, volens, l'oeuvre d'un homme et en porte la marque.
Comme je suis entré, hier, 25 avril dans l'an soixante douxième de mon âge, et que les articles du blog sont aussi diffusés sur facebook, j'ai voulu remercier ceux, nombreux d'entre vous, qui m'ont manifesté leur voeux en cette occasion, et leur manifester ma reconnaissance pour leur amitié. Nombre d'entre eux sont d'anciens élèves de toutes générations ( les plus anciens sont maintenant de joyeux sexagénaires, et les plus jeunes, pour beaucoup, encore des étudiants ). Je leur adresse donc, mais aussi aux autres, le petit dossier que voici.
E. Boulogne.
( Ce profil en fer forgé du Scrutateur, à l'âge de 23 ans, a été réalisé par M. Emile Isaac, fils du célèbre sénateur de la Guadeloupe, fondateur, notamment du lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, à
la fin du XIX ème siècle ).
Merci à tous mes amis. ( publié sur Facebook ).
J'avais projeté de vous remercier de tous vos voeux, nombreux, à l'occasion de mon anniversaire, ce 25 avril. Je n'ai pu le faire plus tôt, ayant été très pris toute la journée. Et d'ailleurs, il est très tard au moment où je passe à l'acte, puisque je viens seulement de rentrer d'un très sympathique diner.
Je tiens cependant à réaliser mon projet. Le voici, réalisé, dans une euphorie un peu sommeillante.
Mais c'est l'intention qui compte.
Merci, encore merci pour votre amitié.
E.Boulogne.
« Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! "
Ce poème très connu de Baudelaire est admirable dans la forme, assez pessimiste dans le fond. Et en relisant le dernier vers, j'ai ressenti quelque chose en moi, comme une esquisse de colère à l'égard de quelque ( s ) petits jeunes impudents ( tes ) qui pourraient le relire deux ou trois fois, avec délectation, tant il est vrai que certaines notes de dissert restent en travers la gorge, longtemps, très longtemps. N'étant pas de ceux qui supportent ce genre d'insolence j'ai immédiatement trouvé la parade, à savoir, ce poème de Jean de La Fontaine. Lisez, et plutôt trois fois que deux.
( II ) Le vieillard et...les trois jeunes hommes par Jean de La Fontaine.
Un octogénaire plantait.
« Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge ! »
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ;
Assurément il radotait.
«Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie
Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées ;
Quittez le long espoir et les vastes pensées ;
Tout cela ne convient qu'à nous.
- Il ne convient pas à vous-même,
Repartit le vieillard. Tout établissement
Vient tard, et dure peu. La main des Parques
blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage
Eh bien! Défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore ;
Je puis enfin compter l'aurore
Plus d'une fois sur vos tombeaux.»
Le vieillard eut raison l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la République,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre
Que lui-même il voulut enter;
Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.
( III ) Pierre Corneille ( l'auteur du Cid )
Stances à Marquise.
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m’a vu ce que vous êtes ;
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Vous serez ce que je suis.
Cependant j’ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n’avoir pas trop d’alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu’on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qui me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle
Où j’aurai quelque crédit
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.
Pensez-y belle Marquise :
Quoi qu’un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu’on le courtise
Quand il est fait comme moi. »
Ici je glisse un petit lien vers ce poème du vieux Corneille, chanté par Georges Brassens :http://www.youtube.com/watch?v=v4Ww2V-uNRI
Et vers cette chanson aujourd'hui peu connue, interprétée par Georges Thill :http://www.youtube.com/watch?v=yeamwyWmvYQ
( Bien que pas encore trop chenu sur cette photographie, le Scrutateur y est encore reconnaissable ).
( IV ) Rutebeuf : La complainte de Rutebeuf.
(Rutebeuf est un poète du 13 ème siècle. La poésie a-t-elle fait tant de progrès depuis cette époque? A ces extraits du poème original, j'adjoins la chanson Pauvre Rutebeuf, interprétée par le grand Léo Ferré ).
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Pauvre Rutebeuf, dans l'interprétation bouleversante du grand Léo Ferré.
http://www.youtube.com/watch?v=EHqT3by47Xc
( V ) Marcel Proust : Marcel Proust, l'auteur de La recherche du temps perdu a écrit ces quelques lignes, que je vous livre :
« Mais, quand d'un passé ancien, rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leurs gouttelettes presque impalpables, l'édifice immense du souvenir ».
Mais le temps n'est pas l'ennemi du bonheur. Il est aussi ce par quoi je me réalise, où du moins ce par quoi, et en quoi, je peux me réaliser, m'accomplir. Là je vais renvoyer à un philosophe. On me pardonnera, je l'espère, cette petite excursion en philosophie ( c'est chez moi une manie, mais une manie douce ) Le texte est de Gabriel Marcel, dans son livre Présence et immortalité. Vous le lirez, ou pas. Vous êtes libre, et déjà bien aimable si vous avez suivi jusqu'ici :
« Ce que j'ai vu clairement ce matin, c'est l'ambiguïté foncière de ce que j'appelle ma vie, selon que je la traite comme suite de moments ou d'événements ou comme quelque chose qui est susceptible d'être donné, sacrifié ou perdu. Peut-être est-ce seulement en ce second sens qu'on peut accorder une signification à l'idée d'immortalité.
Ma vie, au premier sens, apparaît comme étant limitée, comme occupant un intervalle entre deux dates, comme fournissant la matière d'une chronologie. Elle peut à certains moments me devenir assez extérieure à moi-même pour que je la regarde ainsi, pour que je m'attriste par exemple, en pensant que ces événements ont été peu nombreux. J'en viendrai alors à les considérer comme des îlots, séparés par des vides. J'envisagerai mon avenir du même point de vue ; les événements qu'il me reste à vivre sont sans doute moins nombreux que ceux que j'ai déjà vécus. Pour autant que je me retire ainsi de ma vie pour la constater, je dirai qu'elle se cadavérise. De cette vie, c'est justement la vie qui se retire.
Si maintenant je réintègre ma vie comme on réintègre un domicile, je me trouve engagé dans et tendu vers. Engagé dans quoi? Tendu vers quoi ?
II n'est facile de répondre à ces questions que dans la mesure où je poursuis un certain travail créateur pour lequel je me sens à quelque degré indispensable [...]. Mais réintégrer effectivement ma vie, c'est l'éprouver à nouveau comme plénitude : négativement, cela veut dire que je cesse de l'assimiler à une succession d'épisodes plus ou moins négligeables ; si j'évoque maintenant tel ou tel de ces épisodes, il prendra une valeur, une épaisseur en fonction de cette plénitude retrouvée. Cela veut dire encore que je cesse de comparer ma vie à telle autre vie plus favorisée, plus remplie. La plénitude, c'est l'incomparable.
Mais n'est-il pas clair en même temps que plénitude est liée ici à consécration? Une vie créatrice n'est-elle que dans la mesure où elle est consacrée. Et d'autre part, c'est à partir de cette consécration même que le don de ma vie devient possible ; puisque ce don (qui d'un autre point de vue peut paraître contradictoire et même insensé) réalise seulement une étape de plus sur le chemin de la consécration. Refuser dans certaines circonstances extrêmes de donner ma vie, ce serait non la garder, mais la mutiler. C'est comme si le sacrifice était l'accomplissement même, comme si perdre ici était le moyen de sauver [...]. La mort prend donc ici un sens ou son sens à la fois en tant qu'elle est pensée comme absolue et qu'elle est d'autre part niée au profit d'une réalité qu'elle est incapable de réduire. À la racine du sacrifice absolu, on trouve, disons non seulement un "je meurs", mais un "toi, tu ne mourras pas"» (P.I. 36-38).
Enfin, pour ceux qui sont encore là, ces lignes de Saint Augustin, qui a chercher à comprendre le temps, et qui dans ses Confessionsnous livre cette mémorable analyse. Je n'en livre ici, qu'un très court extrait. C'est passionnant mais, pour un premier contact ce sera suffisant. Il ne s'agit pas de susciter une indigestion, mais plutôt, une petite faim. :
( VI ) Le Temps, selon St-Augustin :
« Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n'y aurait pas de temps passé ; que si rien n'arrivait, il n'y aurait pas de temps à venir; que si rien n'était, il n'y aurait pas de temps présent. Comment donc, ces deux temps, le passé et l'avenir, sont-ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quand au présent s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant d'être ? Si bien que ce qui nous autorise affirmer que si le temps est, c'est qu'il tend à n'être plus ».