7 Janvier 2013
LE FIGARO. - 2013 sera-t-elle l'annus horribilis?
JEAN D'ORMESSON.- 2012 n'a pas été une année fameuse, mais 2013 sera pire! À en croire François Hollande, qui est un grand optimiste, la crise de l'euro est derrière nous. Il a annoncé avec certitude la décrue du chômage dès la fin de l'année 2013… Qui peut croire que les chiffres du chômage se retourneront si vite? Ce ne sont pas les contrats intergénérationnels qui empêcheront la dégradation des embauches. En faisant une telle promesse, François Hollande a fait preuve d'une imprudence qui ne lui ressemble pas…
Comment ces difficultés économiques et sociales se traduiront-elles politiquement?
Je suis persuadé que les jours de Jean-Marc Ayrault sont comptés. Mais par qui le remplacer? C'est très difficile. Si le président choisit Manuel Valls, ce sera la rupture totale avec la gauche de son parti. Ce qui est particulièrement délicat pour Hollande, c'est l'absence de cohérence. On pourrait énumérer sans fin les contradictions: sur le nucléaire, sur le cannabis, sur Notre-Dame-des-Landes… Mais la contradiction principale touche à la politique économique. Il y a un abîme entre l'aile gauche et l'aile social-libérale du Parti socialiste. En 2012, Hollande s'est efforcé de donner le change. Je ne suis pas sûr qu'il y parvienne en 2013.
Vous pensez que la contradiction entre le Hollande de la campagne et celui de l'exercice du pouvoir va éclater en 2013?
Je pense que Hollande est en réalité un social-démocrate. Peut-être n'est-il pas loin de ce qu'on pourrait appeler un chrétien de gauche - sans la foi, bien entendu -, ou même de ce qu'on nomme aujourd'hui le courant «social-libéral». Le drame, c'est qu'il n'a pas fait une campagne social-libérale. Comme Mitterrand en 1980, il a parié que l'élection se gagnait à gauche. Il a gagné, au prix de promesses qu'il ne peut plus honorer. Le voici donc coincé entre ce qu'il a promis et le mur de la réalité. Ce qui s'est passé à Florange est devenu le symbole de cette réalité qu'il ne peut plus nier. En 2013, les réalités de Florange ne cesseront de contredire les promesses du Bourget . Ce sera une année boomerang!
2013 n'est pas une année électorale. Pourquoi Hollande changerait-il de premier ministre, pourquoi dissoudrait-il?
Il y a deux scénarios. Celui de Hollande est mirifique. Il est convaincu que le plus dur aura été accompli à la fin de l'année 2013. Il se persuade qu'un retour de la croissance à l'échelle mondiale se prépare. Mais si, comme je le pense, l'inversion du chômage n'a pas lieu, si l'activité économique reste très faible, on peut s'attendre à une situation extrêmement difficile. Je n'exclus pas que les gens descendent dans la rue. Hollande va devoir maintenant prendre les mesures les plus cruelles pour son électorat. Il est plus facile d'augmenter des impôts qui visent prétendument les seuls riches que de faire des économies sur les comptes sociaux. La compression brutale des dépenses publiques promise par Hollande à Bruxelles peut exaspérer beaucoup de monde. Pour s'en sortir, qui peut être certain qu'il ne sera pas acculé à une dissolution?
Entre Hollande et le Parti communiste, c'est la fin des haricots?
J'ai été convié au Parti communiste pour les trente ans de la mort de Louis Aragon. Je n'imaginais pas une telle hostilité à l'égard de François Hollande! La rupture est totale…
Vous devriez vous en réjouir…
Oui! Mais Hollande osera-t-il vraiment la politique social-libérale? On retrouve chez lui cette ambiguïté qui avait si fortement marqué les années Mitterrand. François Mitterrand avait des «relations difficiles avec la vérité», disait Pierre Viansson-Ponté. François Hollande n'est pas un menteur, mais il est d'accord avec tout le monde. Chacun ressort de son bureau, parfois sans vraie réponse, parfois avec l'impression de l'avoir convaincu. Il laisse entendre qu'il a un cap, mais soyons sérieux: peut-on soutenir une seule seconde qu'il y aura des réformes structurelles en 2013? Peut-on imaginer que le gouvernement trouvera les 30 milliards d'économie dont il a besoin?
Pour plus de cohérence, doit-il abandonner les Verts et son aile gauche pour gouverner avec le centre?
François Hollande aurait dû mettre les Verts à la porte depuis longtemps. Il ne peut pas, car il a déjà maille à partir avec la gauche de la gauche. Je ne le vois pas sortir de cette incohérence parce qu'il a besoin de cette incohérence pour rester au pouvoir. Il la cultive.
Donc, selon vous, François Hollande ne peut pas devenir un Schröder à la française. Il restera un Zapatero à la corrézienne…
Je pense qu'il va sans cesse hésiter entre les deux. Il ne deviendra jamais franchement l'un ou l'autre. On voit bien que l'hésitation est son trait de caractère. Sur les sujets sociétaux aussi. Un jour il est pour le mariage homosexuel, et le suivant il envisage la liberté de conscience pour les maires. Hollande est habile, il est sympathique, et il donne toujours l'impression à ses interlocuteurs qu'il ne leur est pas hostile, ou qu'il est de leur avis. Il tape d'abord sur l'entreprise et les entrepreneurs, puis quand la coupe est pleine il en fait l'éloge. Tout est à l'avenant.
Il vous rappelle Mitterrand ou Chirac?
Chez Mitterrand il y avait une ambiguïté machiavélique, puissante. Chez Hollande il y a une ambiguïté liée à l'impossibilité de choisir. L'ambiguïté de Hollande est une ambiguïté d'impuissance. Il lui faut toujours avoir deux fers au feu. Il est plus proche de Chirac que de Mitterrand!
Le 20 janvier 2013, on célébrera les cinquante ans du traité de l'Élysée, le couple franco-allemand peut-il toujours porter l'Europe sur ses épaules?
La relation franco-allemande est la clé de tout. Mais elle paraît bien fragile. C'est ennuyeux, car l'Europe reste en mauvais état. On lui a remis le prix Nobel. Mais c'est un prix de consolation. Ce n'est pas un triomphe qu'on célèbre, c'est un échec qu'on essaye de conjurer. La puissance de l'Europe est potentiellement grande, mais elle est uniquement latente. Et à l'intérieur de cette Europe, «l'homme malade», comme on disait jadis, n'est plus l'Empire ottoman, mais la Grèce, l'Espagne, l'Italie - et la France.
Depardieu a demandé la nationalité belge. 2013 sera-t-elle l'année de l'exil des riches de France?
J'en ai peur. Je regrette le départ de Gérard Depardieu, mais je pense qu'on l'a poussé vers la sortie. Il y a maintenant en France une pancarte «interdit de réussir». Les jeunes gens qui veulent réussir l'ont bien compris, et ils partent en flot. Une certaine culture de la médiocrité donne le ton, et elle est décourageante. L'adversaire ce n'est pas la richesse, l'adversaire c'est la pauvreté. Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent, dit-on en Chine.
Est-ce «minable» de quitter son pays?
Il vaut sûrement mieux ne pas faire les choses pour de l'argent. Peut-être vaut-il mieux aussi ne pas décourager ceux qui veulent s'enrichir et enrichir le pays?
Tout cela profitera-t-il à la droite? Croyez-vous en une trêve durable à l'UMP?
La grande chance de l'UMP c'était l'impopularité du gouvernement. Cette impopularité a été suffisamment forte pour lui assurer des succès inespérés dans les élections partielles. Pourtant, la crise de l'UMP a fait beaucoup de mal. Elle a été consternante pour Jean-François Copé et pour François Fillon. Même pour Sarkozy l'affaire n'est pas bonne.
L'UMP peut-elle se remettre de sa lutte au sommet?
Je le souhaite. Sinon, ce serait l'échec électoral assuré. Jean-François Copé a des qualités de batailleur et de manœuvrier. Mais ce qu'il faut pour 2017, c'est rassembler le plus de Français possible. Je pense que Fillon en reste le mieux capable. Peut-être que Sarkozy souhaitait qu'il n'y ait pas un dirigeant qui s'impose trop fort à la tête de l'UMP, mais le résultat aura dépassé de loin ses espérances.
En 2013, le retour de Sarkozy serait-il prématuré?
Il faut qu'il reste silencieux au moins deux ans encore… Mais ne nous focalisons pas sur les personnes. Qui aurait parié un fifrelin sur Hollande il y a cinq ans?
Serez-vous dans la rue le 13 janvier prochain?
Je ne suis pas fanatique des manifestations de rue, mais je soutiens la démarche. Le débat sur le mariage n'est pas une question de morale, c'est une question de grammaire. Dans la plupart des dictionnaires, le mariage y est toujours défini comme l'union d'un homme et d'une femme. Confucius disait que les troubles viennent «quand les mots n'ont plus de sens». Je pense qu'il faut conserver au mariage son sens originel. De même, «le mariage pour tous» est une formule absurde. Vous ne pouvez pas épouser votre sœur ou votre mère! Fais en sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle, disait Kant. On ne peut ériger en règle universelle le «mariage pour tous»…
Le mariage pour tous peut-il provoquer un rejet aussi fort que celui de l'école libre en 1984?
Tant qu'on nous parle de mariage pour les homosexuels, je ne pense pas. Les Français ont tendance à oublier que le mariage civil est une institution républicaine, qui définit un cadre pour la procréation et la filiation. Mais quand on le leur rappelle, ils sont moins enthousiastes. Accorder le mariage aux homosexuels, c'est nécessairement leur ouvrir un droit à l'adoption, ou même à la procréation médicalement assistée. Je pense que les Français vont rejeter la perspective de la procréation médicalement assistée pour les homosexuels.
Est-on forcément un réactionnaire en refusant d'étendre le mariage aux homosexuels?
J'ai tant de sympathie pour les homosexuels que je voudrais leur éviter ça! Ce qu'il y avait de plus séduisant chez les homosexuels, c'était ce refus de la convention. Et maintenant, ils se ruent dans la convention! Pas tous, heureusement. J'ai demandé à un ami homosexuel ce qu'il pensait du mariage homo, et il m'a répondu «ça me dégoûte!». Je tiens à dire par ailleurs que je suis absolument pour la liberté des homosexuels. Je comprends qu'on veuille améliorer l'union civile existante, mais pourquoi cette revendication du mariage? Louise de Vilmorin avait raison de dire que «Plus personne ne veut se marier sauf quelques prêtres et quelques homosexuels». Voilà, nous y sommes.