21 Mai 2012
Le Point.fr - Publié le 20/05/2012 à 17:02 - Modifié le 21/05/2012 à 08:40
Cette exposition titrée Algérie, 1830-1962 avait tout pour provoquer des étincelles ! Évoquer (au
musée de l'Armée !) l'histoire de l'Algérie française, de 1830 à 1962, en donnant la parole aux parties opposées et en n'éludant aucune des polémiques qui ont accompagné 130
années de colonisation, c'était déjà une gageure. Quant à le faire l'année du cinquantenaire de l'indépendance algérienne, cela aurait pu passer pour une provocation, et c'est bien ainsi que
l'avaient ressenti ceux qui - notamment au ministère des Affaires étrangères - voulurent un temps faire capoter cette initiative. Mais le directeur du musée de l'Armée, le général Christian
Baptiste, porteur de ce projet, a su vaincre les réticences.
De fait, une visite récente nous a convaincu que c'est de tout le contraire qu'il s'agit. Organisée par le musée de l'Armée, aux Invalides, cette exposition
accueille plusieurs centaines de visiteurs par jour. Parmi ceux-ci, de nombreux anciens d'Algérie, des deux bords, des familles accompagnées d'enfants parcourent dans une ambiance sereine les
allées menant des vitrines qui présentent des pièces parfois exceptionnelles aux quarante écrans projetant films d'époque et images d'archives.
Arrêtons-nous un instant sur celles-ci, qui ne craignent pas d'appuyer là où ça fait mal : cadavres de soldats français mutilés par les combattants algériens,
torture ou exécutions sommaires de ces derniers par l'armée française, il fallait oser ! Dans l'article qu'il consacre à la violence dans la guerre d'Algérie, publié dans le catalogue de
l'exposition*, l'historien Jacques Frémeaux explique qu'il "serait sans doute excessif et injurieux pour la très grande majorité" d'accuser l'ensemble de l'armée française d'avoir eu recours
à ces pratiques. Il regrette cependant le trop faible nombre de ceux qui "ont voulu les dénoncer publiquement. Les uns souhaitent éviter de donner des armes à la propagande adverse. D'autres
craignent de porter atteinte à l'honneur ou à l'unité de l'armée."
La violence des indépendantistes n'est pas absente de l'exposition et Frémeaux rappelle que le terrorisme, les mutilations, les enlèvements et la liquidation des
harkis se sont déroulés dans un "cortège d'atrocités qui a laissé les souvenirs les plus traumatisants". Pour autant, l'exposition présente sans passion, à partir de documents et de pièces
historiques, les points de vue français et algérien.
On ne saurait cependant s'attarder sur l'ultime épisode de cette tumultueuse histoire sans revenir sur la prise d'Alger en 1830, qui fut suivie en 1841 de la
défaite d'Abd el-Khader face au général Bugeaud - dont la célèbre casquette figure dans l'exposition -, mais aussi d'une farouche résistance, marquée par la défaite française de Sidi-Brahim
en 1845. Jusqu'à ce que les militaires français cèdent la place aux administrateurs civils en 1871, date marquant la fin de la conquête.
De cette épopée, des années qui l'ont suivie, de l'imbrication des Algériens dans l'histoire de France - y compris durant les deux guerres mondiales -, de la
complexe singularité sociale, économique et politique de cette colonisation exceptionnelle, l'exposition ne cache rien. Pas même la période contemporaine, puisque des acteurs de cette
histoire peu banale ont été invités à s'exprimer devant micros et caméras. Venus de part et d'autre de la Méditerranée, ils disent leur part de cette vérité complexe, qui ne pouvait être
univoque.
*Catalogue : Algérie, 1830-1962 avec Jacques Ferrandez, Flammarion, 29 euros ISBN : 9782203051263
Exposition du 16 mai au 29 juillet 2012. Tous les jours de 10 heures à 18 heures, sauf le 4 juin. Entrée : 8 euros, gratuit pour les moins de 18 ans. Musée de
l'Armée, hôtel des Invalides
129, rue de Grenelle, 75007 Paris.