27 Août 2011
Êtes-vous fatigué?
J'ai reçu ce texte hier soir, d'une amie. Il m'était déjà parvenu de plusieurs sources, et, à l'instant d'une dernière. Il m'a plu, je le publie. Non, toutefois sans le faire un peu passer par la moulinette critique.
Il s'agit d'un témoignage individuel, d'un homme qui a été militaire, qui a un parcours personnel qui a contribué à forger ses valeurs, que l'on peut ne pas toutes partager, mais dont l'ensemble est tout à fait honorable, et, je crois acceptable par nombre des lecteurs de ce blog.
Ce qui me tarabuste un peu c'est le titre : « je suis fatigué ». C'est une chose que l'on peut comprendre pour un auteur de 75 ans, même quand on est un jeune auteur de 69 ans comme moi ( sourire sardonique du plumitif scrutatorien !), et même par de beaucoup plus jeunes encore; j'en connais, j'en connais!
Mais je ne suis pas sûr que l'adjectif soit celui qui convient pour caractériser l'état d'esprit de notre interlocuteur. Je traduis pour ma part, peut-être à tort : « je suis découragé ».
Là je m'ébroue, je secoue la tête, et dis « non »!
Le découragement est une faillite du coeur, une défaite du courage. Chaque fois que cette tentation m'effleure, je ne peux m'empêcher de penser au péché. Car le découragement est un péché. Il dissuade d'agir, de lutter contre le mal, et les maux divers qui nous assiègent.
Je reviens souvent, alors, à ma première lecture du Cid de Corneille, en classe de quatrième : « Rodrigue as-tu du coeur? ». Heureusement notre cher Rodrigue ( le Cid ) ne répond pas « non papa »!!! mais « tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure ».
Superbe réponse, mais qui ne correspond pas encore au vrai courage. Car Rodrigue n'est, tout de même, qu'un gamin de 20 ans, et un chevalier, un aristocrate, très pointilleux sur le « point d'honneur ».
Sa réplique peut dénoter seulement la fougue adolescente, le plaisir de se battre, qui fait bon ménage souvent avec la témérité, et la cruauté.
Notre tumultueux personnage découvre vite le vrai courage, dans le cruel dilemme que lui propose son père, le choix épouvantable entre son honneur et son amour, le choix de l'honneur contre l'amour :
(…..) « Mourir sans tirer ma raison!
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire !
Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison!
Respecter un amour dont mon âme égarée
Voit la perte assurée !
N'écoutons plus ce penser suborneur,
Qui ne sert qu'à ma peine.
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.
Oui, mon esprit s'était déçu.
Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse :
Que je meure au combat, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu.
Je m'accuse déjà de trop de négligence :
Courons à la vengeance ;
Et tout honteux d'avoir tant balancé,
Ne soyons plus en peine,
Puisqu'aujourd'hui mon père est l'offensé,
Si l'offenseur est père de Chimène. »
Rodrigue choisit. Il choisit la voie difficile. En cela il est jeune, non par ses 20 ans, mais par sa détermination à ne suivre que le chemin du courage et de la montée vers le Bien, vers l'idéal. Car la jeunesse c'est d'abord cela comme disait Mac Arthur, et il y a, selon ce critère, de jeunes octogénaires, et de très vieux adolescents, ceux qui ne croient plus en rien, qui ne sont capables d'aucun sacrifice à quelque chose qui dépasse le plaisir de l'instant.
Oui, le vieux Corneille est toujours jeune pour qui n'est pas coupé de la culture classique, de la culture de nos racines occidentales authentiques.
Contemporain de Corneille : Descartes, René Descartes. Dans son Traité des passions, il y a un passage que j'aime beaucoup, et qui recoupe notre propos, quoique dans un style moins poétique et plus austère. C'est l'article 153. « En quoi consiste la générosité ».
« Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu'il en use bien ou mal, et partie en ce qu'il sent en soi-même une constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures; ce qui est suivre parfaitement la vertu ». ( Les passages soulignés l'ont été par le scrutateur).
J'espère, chers amis, ne pas vous avoir trop importuné par ces références aux grands auteurs du XVII ème siècle, car, pour moi, ils constituent toujours une cure d'altitude. Mais quelquefois, à notre insu nous jouons les pédants de collège, et je serais navré de l'avoir été bien malgré moi.
Mais pour terminer cette petite « homélie » de ce samedi soir, il est 21h30, je voudrais insister sur le devoir que nous avons de nous imposer de lutter contre le découragement.
Adoptons le vouloir cartésien de générosité.
Cette générosité dont il s'agit n'est point ce que l'on appelle ainsi dans l'ambiance de fin d'un monde où nous vivons, et qui consiste à promettre des dons, par téléphone, lors d'une journée de téléthon.
Elles est une surabondance d'être, une explosion de vouloir vivre bien, et même héroïquement.
Ecrivant ceci, je me reporte à l'un de mes cahiers, ancien, puisqu'il date de 1965, où je notais ( je continue encore cet exercice, presque quotidien ) les textes qui me semblaient le mériter, parmi mes lectures. Et je trouve, dans un passage d'un livre d'Alain sur Descartes, ces belles lignes : « Il n'est point vil d'être vaincu quelquefois; mais il est vil de décréter qu'on le sera toujours. Ce que le héros s'ordonne à lui-même, c'est donc de croire et d'oser ».
Est-il décent quand on est presque septuagénaire d'écrire ainsi sur les héros, de préconiser, presque, ou tout à fait, une morale héroïque?
Ne nous laissons pas intimider.
L'ironie méprisante pour l'homme adulte qui ne s'est pas fondu dans l'honnête médiocrité des importants qui péroreront toute l'année qui vient sur les plateaux de la télévision à l'occasion de la « grande » élection, de ces croquantes et croquants, c'est la même dont Calliclès assassinait Socrate il y a plus de deux millénaires.
Toute fatigue doit être surmontée, tout découragement est à proscrire absolument. Et puis les temps ont toujours été difficiles pour les hommes de coeur. Gardons-nous de l'illusion rétrospective du « Laudator temporis acti » ( C'était mieux avant! ).
Et récitons nous ce beau vers de P. Claudel : « C'est l'hiver, on croit que tout est fini, et voici qu'un rouge-gorge se met à chanter ».
Edouard Boulogne.
Je suis fatigué.
J’ai 75 ans. J’ai travaillé, à l’école d’abord, pas trop mal ; puis comme officier dans cette armée française qui a été tant vilipendée par la gauche et méprisée par la droite jusqu’à ce jour de 1981 où Mr Mitterrand a été élu président de la république, jour globalement funeste à mon sens, mais qui a eu au moins l’avantage d’amener un peu de raison dans la tête de ses partisans et calmer leur antimilitarisme inné. Ne m’étant pas engagé pour faire fortune, je me suis contenté de la solde versée par la République et, si je n’ai pas toujours vécu confortablement, je n’ai globalement pas été matériellement malheureux. Les semaines de travail étaient longues sans « 35 heures ni RTT » ; sans même évoquer les nombreuses charges diverses de service, non compensées pendant très longtemps. C’était comme ça ; peu s’en plaignait vraiment.
Je n’ai pas hérité de biens substantiels ; ma position professionnelle et sociale ne m’a
pas été donnée non plus ; j’ai travaillé pour ça. Au soir de ma vie, je suis fatigué.
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