Monsieur le Ministre,
> En ces temps troublés de guerre sur le front extérieur (contre le djihad au Mali) mais aussi sur le front intérieur (contre le mariage en France), alors que notre pays se
prépare, d’un côté, à former une armée malienne forcément exemplaire et, de l’autre, à renoncer aux concepts de « père » et de « mère » forcément rétrogrades, je me permets d’attirer
votre attention sur un carambolage imprévu entre ces deux événements et sur ses conséquences potentielles.
> Bien avant qu’il ne circule largement sur internet, figurez-vous que je tiens le texte suivant d’un jeune… Malien !
> Ce jeune garçon, rencontré au début des années 90 à l’occasion d’un reportage dans la brousse sénégalaise sur les à-côtés peu glorieux du Paris-Dakar, était venu un matin frapper à
ma tente (si j’ose dire…) pour me demander conseil.
> Il voulait échapper à l‘armée de son pays et avait donc recopié une lettre à l’attention de votre homologue malien.
>
> Ce texte savoureux était visiblement déjà connu en Afrique et ce jeune illettré, un peu timide, un peu perdu, en possédait une mauvaise photocopie ! Je me souviens de
l’avoir recopié à mon tour et de l’avoir conservé précieusement dans mes archives personnelles, loin de me douter, à l’époque, que la situation de mon propre pays ajouterait un jour, au
comique de ces lignes, non seulement un peu d’actualité mais aussi beaucoup de pertinence.
>
> C’est donc bien volontiers que je le livre aujourd’hui à votre réflexion, ne doutant pas qu’il alimentera de nombreux débats d’experts au sein de vos services, juridiques
notamment, sur le thème : « Des conséquences imprévues de la recomposition (ou de la décomposition, c’est comme on voudra…) des familles modernes sur la prospective militaire ».
> La notion de filiation, au cœur des polémiques actuelles, y est en effet largement développée, y compris sous ses angles les plus inattendus.
>
> Voici ce fameux texte :
>
> « Monsieur le ministre de la Défense nationale,
>
> permettez-moi de prendre la respectueuse liberté de vous exposer ce qui suit, et de solliciter de votre bienveillance l’appui nécessaire pour obtenir une
démobilisation rapide.
> Je suis sursitaire, âgé de 24 ans, et je suis marié à une veuve de 44 ans, laquelle a une fille qui en a 25.
>
> Mon père a épousé cette fille. À cette heure, mon père est donc devenu mon gendre, puisqu’il a épousé ma belle-fille. De ce fait, ma belle-fille est devenue ma
belle-mère, puisqu’elle est la femme de mon père.
>
> Ma femme et moi avons eu la joie de donner naissance à un fils en janvier dernier.
> Cet enfant est donc devenu le frère de la femme de mon père, donc le beau-frère de mon père et, en conséquence, mon oncle, puisqu’il est le frère de ma belle-mère. Mon fils
est donc mon oncle.
>
> Autre bonne nouvelle : la femme de mon père a eu, à Noël dernier, un garçon qui est donc à la fois mon frère (puisqu’il est le fils de mon père) et mon
petit-fils (puisqu’il est le fils de la fille de ma femme).
>
> Je suis ainsi le frère de mon petit-fils. Et comme le mari de la mère d’une personne est le père de celle-ci, il s’avère que je suis à la fois le père de ma
femme, et le frère de mon fils. Je suis donc mon propre grand-père.
>
> De ce fait, Monsieur le Ministre, ayez l’obligeance de bien vouloir me renvoyer dans mes foyers : la loi interdit en effet que le père, le fils et le
petit-fils soient mobilisés en même temps. »
> À la lumière de l’actualité récente, je reste pour ma part curieux des commentaires que vous inspirera ce texte formidable recopié en plein désert, dans un campement de
fortune, un beau jour de 1992…
> Dans la tente (!), je vous prie de croire, Monsieur le ministre, à l’expression de mes meilleurs sentiments."
>
> Christophe Labarde, le 29 janvier 2013
> **Christophe Labarde
> Journaliste, réalisateur et consultant.
> Son parcours se partage entre journalisme, communication, politique et formation.
> Diplômé d’HEC, il poursuit avec passion un tour du monde « multimédia » qui l’a amené à visiter plus de 50 pays à ce jour.