26 Avril 2012
AH! Si Valéry Giscard d'Estaing avait lâché Nicolas Sarkozy, quelle satisfaction pour la gauche! Mais pour VGE Nicolas Sarkozy est « le plus crédible pour redresser le pays ». LS
Avez-vous fait votre choix pour le second tour ?
VALÉRY GISCARD D’ESTAING. Je voterai pour Nicolas Sarkozy. Je suis un homme libre. Je ne suis pas à la tête d’une
formation politique.
J’exprime une opinion. Je me la suis faite en observant la situation de notre pays qui est mauvaise et risque de s’aggraver. On nous
offre le choix entre deux approches : la facilité ou le redressement. La première est plus tentante. En période de crise, les gens préfèrent d’ailleurs tout changer. Mais une politique de
facilité nous conduirait à l’aventure. Elle nous ferait montrer du doigt par tous les experts. Elle nous exposerait à des manœuvres du milieu de la spéculation internationale. Ne nous y trompons
pas : la France est sur la liste après la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne. Dans ce contexte, une politique de facilité serait interprétée comme une fragilité. A l’inverse, une politique
de redressement permettra à la France et aux Français de s’en sortir dans de meilleures conditions.
Comment jugez-vous le bilan de Nicolas Sarkozy ?
Nicolas Sarkozy a été en fonction pendant cinq ans. Il n’avait pas l’expérience, ni la chance que j’ai eue de pouvoir observer pendant sept ans la présidence exercée par un grand homme d’Etat, le
général de Gaulle. Il a improvisé la fonction. Il y a eu des critiques que j’ai parfois partagées. Mais il a cherché à en
tirer les leçons. Je suis sûr que c’est dans cet esprit qu’il exercerait un second quinquennat.
C’est-à-dire ?
La plupart des candidats ont une vision inexacte de la fonction présidentielle. Ils croient que le président de la République exerce un pouvoir personnel. Nous sommes en démocratie. Le président
tient ses pouvoirs de la Constitution qui le charge des grandes orientations gouvernementales. Dans la profession de foi de François Hollande, on trouve trente-cinq fois le mot je. Il écrit par
exemple : « Je ferai construire 2,5 millions de logements. » Mais le président de la République ne fait pas construire de logements! Vos lecteurs peuvent regarder autour d’eux, dans leurs villes
et leurs villages : des logements construits par le président, ils n’en trouveront aucun!
Où est la différence avec Sarkozy ?
Il est le plus crédible pour redresser le pays. Les dernières décisions qu’il a prises permettent d’espérer que nous sortirons de la crise. L’endettement coupable accumulé ces trente dernières
années fait peser sur nous de terribles contraintes. Par ses propos, François Hollande, un homme par ailleurs sympathique et ouvert, laisse croire que l’on pourra toujours payer.
Or, nous ne le pourrons pas et nous irons dans le mur. A l’inverse, le message de Nicolas Sarkozy doit être de rétablir l’équilibre, mais avec une certaine prudence, une certaine
modération. Car les efforts d’économies considérables déstabilisent les sociétés. C’est pourquoi les Français, avec leurs partenaires, devront engager la zone euro dans un programme de stabilité,
mais aussi de croissance.
Que vous inspire le score de Marine Le Pen ?
Le phénomène important, c’est la fin de la diabolisation des électeurs du Front national. Cette diabolisation avait été imaginée par François Mitterrand, avec son talent manœuvrier, pour
priver la droite d’une partie de son électorat. Or, que va-t-il se passer? Si François Hollande est élu au second tour, il le sera avec une partie non négligeable des voix recueillies
par Marine Le Pen au premier tour. C’est une certitude mathématique qu’il ne pourra pas contester.
Mais que révèle cette montée ?
Une souffrance réelle des gens. Cette souffrance n’est pas traitée. Ces personnes ont le sentiment qu’on ignore leurs problèmes, qu’on ne fait jamais rien pour eux. Après les élections, il faudra
une politique qui prenne en compte cette souffrance muette de la société. A cela s’ajoute la crainte du chômage, qui touche aujourd’hui toutes les familles et spécialement les jeunes.
La droite n’a-t-elle pas attisé les tensions, avec son discours sur l’insécurité ou sur l’immigration, par exemple ?
Si ce sont des thèmes réels, il faut bien en parler. Mais s’il s’agit de présenter ces problèmes de façon pernicieuse, alors non. La difficulté est que notre société colore à l’excès le débat,
comme l’a montré la campagne agressive de Jean-Luc Mélenchon, qui tentait de ressusciter la lutte des classes! Face à des extrêmes, de gauche et de droite, représentant près de
30% de l’électorat, il faudrait que, dans des périodes difficiles, les partis de gouvernement se montrent capables de concevoir de grandes coalitions, comme en Allemagne.
La gauche française a-t-elle changé depuis 1981 ?
Elle n’a toujours pas de culture économique. Elle ne regarde pas le monde extérieur, reste dans la même rhétorique et vit, en partie, en dehors de la réalité.
Et Nicolas Sarkozy, a-t-il changé ?
« Le caractère, c’est la destinée », dit un vers d’Eschyle. Les êtres ne changent pas beaucoup. Mais ils peuvent faire un travail sur eux-mêmes. Les hommes de pouvoir peuvent améliorer leur
comportement et leur manière de gouverner. Il est plus facile pour Nicolas Sarkozy de changer sa manière de gouverner que pour François Hollande de changer la manière démodée de penser du PS.
Qu’est-ce qui peut encore faire basculer l’élection ?
Le débat télévisé est un moment important. Il donne des indications sur les capacités personnelles de chacun des candidats.
On peut perdre une élection sur un débat ?
Oui. François Mitterrand pensait y avoir perdu l’élection de 1974. Nous en avions parlé tous les deux par la suite et il m’avait confié : « Votre phrase Vous n’avez pas le monopole du cœur m’a
déstabilisé, elle m’a coupé le souffle. Ce soir-là, j’ai perdu 300000 électeurs. » Un vrai débat peut faire gagner ou perdre, aujourd’hui encore.
Pourquoi avez-vous décidé de vous engager ?
Parce que dans toute mon existence, depuis mon enfance, j’ai vu les malheurs se succéder en France. J’ai vu l’avant-guerre et la défaite humiliante de 39-40, les quatre ans d’occupation militaire
de notre pays puis l’effondrement de la IVe République. A chaque fois, j’ai entendu le même refrain : « On ne nous avait pas prévenus. » Cette fois, s’il devait se produire, dans quelques mois,
une situation humiliante pour la France, je ne veux pas que les Français disent : « On ne nous avait pas prévenus . » Je préfère les prévenir.
Le Parisien